Le drapé mouillé ou comment révéler le nu...
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Votre rédacteur est tombé en pamoison, en flânant sur cette toile moderne appelée le Net, devant une statue d'un Christ couché. Ce Christ dans son suaire, si poignant... impossible d'en détacher le regard. Il a inspiré ces quelques lignes que je me permets de partager avec vous, lecteur.


Le drapé désigne l'agencement des étoffes et des plis des vêtements représentés en peinture ou en sculpture. Motif artistique pratiqué depuis l'Antiquité, on le retrouve dans des statues grecques, dans des pleurants de la fin du Moyen Âge occidental ou dans des œuvres contemporaines. Quelle œuvre d’art ne comporte pas une figure drapée, en mouvement ou statique, un pan de draperie déployé au premier plan ou encore une tenture accrochée à l’arrière-plan ? La difficulté est de restituer à la fois la matière du tissu, son volume et la personne enveloppée dans le vêtement.

Le drapé mouillé est un véritable défi que se jettent les sculpteurs depuis toujours, car c’est une façon de travailler sur la figure humaine et le drapé, celui-ci enveloppant complètement le personnage ou le visage, et paraissant mouillé tant il est transparent. 


Deux drapés mouillés miraculeux sont visibles à la Chapelle Sansevero de Naples, en Italie : Le Christ Voilé et La Pudeur. Cette chapelle, de la période baroque, de style rococo, est un chef-d'œuvre de l'architecture napolitaine. Elle abrite de nombreuses œuvres d'art du 18e siècle.

Le Christ Voilé (image 3) est une sculpture en marbre, considérée comme un des chefs-d’œuvre majeurs de la sculpture mondiale.

C'est à Giuseppe Sanmartino (1720-1793) qu'est confiée la tâche de réaliser "une statue en marbre sculpté, grandeur nature, représentant notre Seigneur Jésus-Christ mort, recouvert d'un linceul transparent fabriqué à partir du même bloc que la statue".

L’artiste sculpte alors un Christ mort, couché et recouvert d'un voile qui adhère à la forme de son corps. Sa maîtrise est telle qu'il parvient à rendre un voile d'une grande finesse laissant deviner les stigmates du martyre subi par le Christ. Que de génie pour faire naître d’un bloc de pierre cette merveille à grands coups de burins et de ciseau ! La veine gonflée et encore lancinante sur le front, les piercings des ongles sur les pieds et les mains fines, le côté évidé et enfin détendu dans la mort libératrice, ainsi que la méticuleuse "broderie" des bords du linceul, sont le signe d'une recherche intense.

Le voile semble si transparent qu’est née la légende… Celle-ci raconte que l’œuvre serait une statue couchée sous un vrai voile, ce dernier s’étant transformé en marbre avec le temps par un processus alchimique complexe et uniquement connu de l’artiste. En fait, une analyse minutieuse ne laisse aucun doute que le travail a été fait entièrement en marbre.

La Pudeur (image 4) est une sculpture d'Antonio Corradini (1688-1752) datant de 1750. Cette statue est voilée, mais reste bien impudique sous ce léger tissu qui ne cache rien de ses courbes voluptueuses. C’est une représentation de la mère de Raimondo di Sangro, Prince de Sansevero, morte peu après sa naissance et qu’il ne connut donc jamais. Mais quelle étrange idée que de représenter sa propre mère, quasi inconnue, sous ces traits si érotiques, pour symboliser la pudeur…


Un autre drapé mouillé surprenant… La Vierge Voilée (image 2), représentant la Vierge Marie, est un buste en marbre sculpté par Giovanni Strazza (1818-1875) au milieu du 19e siècle. Statue en marbre quasi transparent, elle est notable par le travail du voile sculpté dans le marbre avec une technique similaire à la statue Le Christ voilé. En 1856, un évêque canadien passionné d’art, John T. Mullock, considère la statue comme "un bijou d’art et de perfection". Il la ramène depuis Rome pour orner la nouvelle cathédrale de Terre-Neuve. Il existe de nombreuses autres sculptures au drapé similaire, mais celle-ci suscite beaucoup d’engouement. Peut-être est-ce dû à cette ambivalence entre sérénité et sensualité...


Allégorie très mystérieuse, La Femme voilée (image 1), autre statue d’Antonio Corradini (1688-1752), visible au Louvre, donne aussi une sensation extraordinaire de légèreté fondée sur l’illusion. Est-ce une allégorie de la foi, comme on l'a souvent écrit ? Ou bien de la pudeur ? En outre, par-delà la signification allégorique, le tour de force du sculpteur est extraordinaire.


De très nombreux artistes jusqu'à nos jours et dans le monde entier se sont emparés de l'art du drapé et du drapé mouillé, nous laissant des œuvres magnifiques de transparence. Il n'est pas possible de les citer tous. Voici quelques noms : Rafaelle Monti (1818-1881), Thomas Ridgeway Gould (1818-1881), Chauncey Bradley Ives (1810-1894), Giovanni Maria Benzoni (1809-1873), Charles Adrien Prosper d'Épinay (1836-1914)...


Une exposition, sobrement nommée Drapé a eu lieu au Musée des Beaux-Arts de Lyon autour du drapé. Le magnifique catalogue de l'exposition est un peu difficile à trouver.

Un autre beau livre L'art des drapés explique tout l'art du drapé des étoffes dans les vêtements, au travers de l'expérience de l'auteur dans le milieu de la mode.

Sculptures visibles dans l’image :
 1 - La Femme voilée (détail), Antonio Corradini, Musée du Louvre, France
 2 - La Vierge Voilée, Giovanni Strazza, Basilique St. John the Baptist, Saint-Jean, Terre-Neuve
 3 - Le Christ Voilé (détail), Giuseppe Sanmartino, 1753, Chapelle Sansevero, Naples, Italie
 4 - La Pudeur, Antonio Corradini, 1750, Chapelle Sansevero, Naples, Italie


Comme tout devrait finir en chansons, votre rédacteur vous quitte avec "La statue" de Jacques Brel. Cette statue n'a pas de drapé, mais elle aimerait que les enfants ne la regardent pas...


Drapez-vous bien !   

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