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Céline Prunneaux
Le
2 January 2016,
Quand vous visitez
une exposition ou les collections permanentes d’un musée, vous les croisez
forcément : eux, ce sont les agents d’accueil et de
surveillance, les « gardiens », comme on dit plus prosaïquement. Ils
veillent à la fois sur le public et sur les œuvres avec une attention de chaque
instant.
Mes sorties culture est allé à la rencontre de Céline Prunneaux, qui travaille comme agent d’accueil au Centre Pompidou depuis presque 10 ans, et qui travaille aussi sur sa thèse sur l’art conceptuel : elle nous raconte son quotidien et nous éclaire sur ce métier discret et ce lieu emblématique.
Bonjour Céline, et merci d’avoir accepté de nous raconter ton job. Peux tu me résumer ton parcours, pour commencer ?
Après un bac philo, j’ai eu envie de me diriger vers la musicologie et l’histoire de l’art, puis je me suis penchée vers les métiers liés aux expositions (commissaire, curateur…) et je me suis spécialisée dans l’histoire de la pratique sonore dans l’art conceptuel des années 60 et 70. C’est d’ailleurs le sujet de ma thèse, que je n’ai pas encore terminée. Après, il faut bien admettre que dans la culture, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus… ce job d’agent d’accueil, ce n’était pas vraiment une vocation, mais une histoire de rencontres qui se poursuit.
Qu’est ce qui t’attire dans ce sujet de thèse? ça peut paraître très abstrait de prime abord…
L’art conceptuel est à la fois sous-tendu par un engagement politique et par une esthétique épurée, qui ont pu être dirigés contre la marchandisation de l'art. La plupart du temps, la participation perceptuelle du public est requise : j’aime que les choses se dévoilent, de façon sensible, poétique, avec l’implication curieuse du public.
Parle moi un peu de tes conditions de travail comme agent d’accueil
Au Centre Pompidou, c’est très particulier : c’est un lieu à part, les conditions pour les agents d’accueil ne sont pas les mêmes qu’ailleurs. D’une part, nous ne sommes pas fonctionnaires mais contractuels. Par ailleurs, les emplois du temps sont conçus pour nous laisser le temps de mener une activité artistique ou de recherche. D’autres aménagements sont possibles, mais ils pourraient finir par être menacés…
Pourquoi ce statut particulier ?
Le centre Pompidou a été pensé dans une certaine optique : l'ambition initiale était de faire co-exister de manière vivante des activités pluridisciplinaires, celles du Musée National d'Art Moderne dont les collections étaient réinstallées depuis le Palais de Tokyo et celles d'un Centre de Création Industrielle, d'Art et de Culture. La Bibliothèque Publique d'Information participe encore de ce projet. Mais l'émulation qui existait dans le forum n'est plus vraiment la même. Et puis Monsieur Pompidou et sa femme étaient de grands collectionneurs. Donc c’est aussi un lieu qui représente une certaine vision de la culture, dans la France des années 70 – en tous cas pour ce qui est du lieu et des collections permanentes.
Est-ce que tu restes toujours dans la même aile, ou la même exposition ?
Pas du tout : on change tous les jours, et de nombreuses rotations sont organisées dans le service, ce qui participe beaucoup à l'esprit de travail en équipe.
Est-ce que ce n’est pas épuisant, de toujours surveiller ce que fait le public ?
Si, nerveusement c’est parfois fatigant, mais on finit par développer des réflexes.
J’ai quelques fois des expériences malheureuses, notamment avec l'affluence des journées événementielles invitant un large et nombreux public : les parents qui ne fréquentent pas les musées sont peu informés des consignes à respecter pour les déplacements turbulents des enfants, les interdictions de boire ou manger dans les salles, etc. Des contacts qui demandent une certaine diplomatie pour éviter des réactions trop émotives. Ce sont les ambiguïtés de la démocratisation culturelle – qui est évidemment une très bonne chose en soi. Mais en réalité, la plupart du temps, le public est très respectueux !
Quel est le rapport du public avec l’art contemporain, d’après ton expérience ?
C’est assez mitigé. Parfois je surprends des expressions de ravissement ou de joie chez les enfants en apercevant des installations au contact des volumes ou des échelles desquelles ils sont peu familiers comme l’installation Extension aux effets cinétiques de Jesús Rafael Soto dans les collections. Mais je constate aussi une certaine réticence à l’égard de l’art contemporain en particulier : les gens s’arrêtent souvent après les salles consacrées à l’art moderne. L’art contemporain a assez mauvaise réputation, il manque parfois de médiation et le dictat du marché ne privilégie pas toujours une expérience esthétique diversifiée. Il faut aussi reconnaître qu’en France l’Etat a une certaine mainmise sur la visibilité de l’art contemporain, même si l’enseignement est très développé, tous les artistes ne sont pas soutenus de la même façon.
Est-ce que tu croises des stars de temps en temps, au détour d’une salle ?
Elles ne sont plus si nombreuses qu’avant … quelques politiciens, pas mal de gens du cinéma, notamment Isabelle Huppert, qui est une fidèle. Parmi les artistes, Orlan ou Christian Boltanski et plus largement des personnes du milieu culturel.
Quels sont tes rapports avec tes collègues ?
C’est une partie du travail que j’adore : nous sommes 150 contractuels (plus des vacataires selon les besoins de service), issus de cultures différentes et de différents milieux sociaux. On échange beaucoup entre nous, et ce sont parfois des contacts qui engagent d’autres collaborations.
Je me demande quelles sont les questions les plus récurrentes des visiteurs…
Nous répondons principalement à l’accompagnement des parcours de visite qui ne sont pas évidents au premier contact. Les visiteurs n’ont pas l’habitude d’emprunter des accès répartis de façon périphérique autour du bâtiment. Les espaces intérieurs, larges plateaux tendus de l’extérieur, sont ainsi totalement disponibles. La signalétique garde une empreinte minimale sur l’impression générale de la plastique du bâtiment.
Et est-ce un endroit bien conçu, d’un point de vue architectural ?
Je dirais qu’il est agréable, calme, vaste, lumineux, mais techniquement il y a pas mal de problèmes : c’est un endroit très complexe et coûteux à entretenir . L’isolation pose souvent problème pour les courants d’air comme pour les fuites d’eau. C’est aussi un casse-tête pour la muséographie, dans la mesure où il y a très peu de cloisons. Ça fait partie de l’identité du lieu : peu de cloisons, lumière et transparence, une ouverture maximale… C’est un reflet de l’utopie qui a présidé à sa conception.
As-tu, à titre personnel, de bons souvenirs d’expositions temporaires ou y a t il salles de la collection permanente que tu aimes particulièrement ?
Oui je garde de très bons souvenirs de l’exposition de l’atelier de Giacometti et de celle de Pierre Huygues, et j’aime la période de l’Arte Povera qui n’est pas montrée actuellement. J’attends avec impatience l’exposition de l’été, autour de la Beat Generation. Accompagner la vie du musée, les différentes ambiances et flux de la journée offre une vision privilégiée des œuvres. L’attention que nous devons porter au constat d’éventuelles dégradations ou anomalies aiguise le regard et garde en éveil la curiosité pour des œuvres ou des périodes qu’on apprécierait moins. Des facettes d’artistes peuvent aussi se révéler de manière crue, comme l’attrait aux références monarchiques, feintes ou réelles, d’Yves Klein lors de sa grande rétrospective.
Quels sont tes lieux culturels de prédilection, à Paris ou en France ?
J’apprécie tout particulièrement la fondation Kadist dans le 18è , un tout petit lieu qui accueille des artistes en résidence, mais aussi toutes les galeries parisiennes qui représentent une scène artistique vivante et en constante évolution. J’aime aussi le Plateau Frac île-de-France. Le Palais de Tokyo et le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris restent des valeurs sûres ! Des lieux qui font plus de prospection peuvent être : Plateforme, l’ancienne Brasserie Bouchoule des Instants Chavirés de Montreuil et sa Maison des Arts Populaires, l’espace Mains d’œuvres de Saint-Ouen, le Credac d’Ivry et le MacVal de Vitry-sur-Seine. L’institut d’art contemporain de Villeurbanne a également une programmation exigeante.
Pour découvrir le Musée d’art Moderne de la ville de Paris avec une visite guidée, cliquez ici
Pour découvrir le Centre Pompidou avec une visite guidée, cliquez ici
Propos recueillis par Sonia Zannad / Mes sorties culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com
Mes sorties culture est allé à la rencontre de Céline Prunneaux, qui travaille comme agent d’accueil au Centre Pompidou depuis presque 10 ans, et qui travaille aussi sur sa thèse sur l’art conceptuel : elle nous raconte son quotidien et nous éclaire sur ce métier discret et ce lieu emblématique.
Bonjour Céline, et merci d’avoir accepté de nous raconter ton job. Peux tu me résumer ton parcours, pour commencer ?
Après un bac philo, j’ai eu envie de me diriger vers la musicologie et l’histoire de l’art, puis je me suis penchée vers les métiers liés aux expositions (commissaire, curateur…) et je me suis spécialisée dans l’histoire de la pratique sonore dans l’art conceptuel des années 60 et 70. C’est d’ailleurs le sujet de ma thèse, que je n’ai pas encore terminée. Après, il faut bien admettre que dans la culture, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus… ce job d’agent d’accueil, ce n’était pas vraiment une vocation, mais une histoire de rencontres qui se poursuit.
Qu’est ce qui t’attire dans ce sujet de thèse? ça peut paraître très abstrait de prime abord…
L’art conceptuel est à la fois sous-tendu par un engagement politique et par une esthétique épurée, qui ont pu être dirigés contre la marchandisation de l'art. La plupart du temps, la participation perceptuelle du public est requise : j’aime que les choses se dévoilent, de façon sensible, poétique, avec l’implication curieuse du public.
Parle moi un peu de tes conditions de travail comme agent d’accueil
Au Centre Pompidou, c’est très particulier : c’est un lieu à part, les conditions pour les agents d’accueil ne sont pas les mêmes qu’ailleurs. D’une part, nous ne sommes pas fonctionnaires mais contractuels. Par ailleurs, les emplois du temps sont conçus pour nous laisser le temps de mener une activité artistique ou de recherche. D’autres aménagements sont possibles, mais ils pourraient finir par être menacés…
Pourquoi ce statut particulier ?
Le centre Pompidou a été pensé dans une certaine optique : l'ambition initiale était de faire co-exister de manière vivante des activités pluridisciplinaires, celles du Musée National d'Art Moderne dont les collections étaient réinstallées depuis le Palais de Tokyo et celles d'un Centre de Création Industrielle, d'Art et de Culture. La Bibliothèque Publique d'Information participe encore de ce projet. Mais l'émulation qui existait dans le forum n'est plus vraiment la même. Et puis Monsieur Pompidou et sa femme étaient de grands collectionneurs. Donc c’est aussi un lieu qui représente une certaine vision de la culture, dans la France des années 70 – en tous cas pour ce qui est du lieu et des collections permanentes.
Est-ce que tu restes toujours dans la même aile, ou la même exposition ?
Pas du tout : on change tous les jours, et de nombreuses rotations sont organisées dans le service, ce qui participe beaucoup à l'esprit de travail en équipe.
Est-ce que ce n’est pas épuisant, de toujours surveiller ce que fait le public ?
Si, nerveusement c’est parfois fatigant, mais on finit par développer des réflexes.
J’ai quelques fois des expériences malheureuses, notamment avec l'affluence des journées événementielles invitant un large et nombreux public : les parents qui ne fréquentent pas les musées sont peu informés des consignes à respecter pour les déplacements turbulents des enfants, les interdictions de boire ou manger dans les salles, etc. Des contacts qui demandent une certaine diplomatie pour éviter des réactions trop émotives. Ce sont les ambiguïtés de la démocratisation culturelle – qui est évidemment une très bonne chose en soi. Mais en réalité, la plupart du temps, le public est très respectueux !
Quel est le rapport du public avec l’art contemporain, d’après ton expérience ?
C’est assez mitigé. Parfois je surprends des expressions de ravissement ou de joie chez les enfants en apercevant des installations au contact des volumes ou des échelles desquelles ils sont peu familiers comme l’installation Extension aux effets cinétiques de Jesús Rafael Soto dans les collections. Mais je constate aussi une certaine réticence à l’égard de l’art contemporain en particulier : les gens s’arrêtent souvent après les salles consacrées à l’art moderne. L’art contemporain a assez mauvaise réputation, il manque parfois de médiation et le dictat du marché ne privilégie pas toujours une expérience esthétique diversifiée. Il faut aussi reconnaître qu’en France l’Etat a une certaine mainmise sur la visibilité de l’art contemporain, même si l’enseignement est très développé, tous les artistes ne sont pas soutenus de la même façon.
Est-ce que tu croises des stars de temps en temps, au détour d’une salle ?
Elles ne sont plus si nombreuses qu’avant … quelques politiciens, pas mal de gens du cinéma, notamment Isabelle Huppert, qui est une fidèle. Parmi les artistes, Orlan ou Christian Boltanski et plus largement des personnes du milieu culturel.
Quels sont tes rapports avec tes collègues ?
C’est une partie du travail que j’adore : nous sommes 150 contractuels (plus des vacataires selon les besoins de service), issus de cultures différentes et de différents milieux sociaux. On échange beaucoup entre nous, et ce sont parfois des contacts qui engagent d’autres collaborations.
Je me demande quelles sont les questions les plus récurrentes des visiteurs…
Nous répondons principalement à l’accompagnement des parcours de visite qui ne sont pas évidents au premier contact. Les visiteurs n’ont pas l’habitude d’emprunter des accès répartis de façon périphérique autour du bâtiment. Les espaces intérieurs, larges plateaux tendus de l’extérieur, sont ainsi totalement disponibles. La signalétique garde une empreinte minimale sur l’impression générale de la plastique du bâtiment.
Et est-ce un endroit bien conçu, d’un point de vue architectural ?
Je dirais qu’il est agréable, calme, vaste, lumineux, mais techniquement il y a pas mal de problèmes : c’est un endroit très complexe et coûteux à entretenir . L’isolation pose souvent problème pour les courants d’air comme pour les fuites d’eau. C’est aussi un casse-tête pour la muséographie, dans la mesure où il y a très peu de cloisons. Ça fait partie de l’identité du lieu : peu de cloisons, lumière et transparence, une ouverture maximale… C’est un reflet de l’utopie qui a présidé à sa conception.
As-tu, à titre personnel, de bons souvenirs d’expositions temporaires ou y a t il salles de la collection permanente que tu aimes particulièrement ?
Oui je garde de très bons souvenirs de l’exposition de l’atelier de Giacometti et de celle de Pierre Huygues, et j’aime la période de l’Arte Povera qui n’est pas montrée actuellement. J’attends avec impatience l’exposition de l’été, autour de la Beat Generation. Accompagner la vie du musée, les différentes ambiances et flux de la journée offre une vision privilégiée des œuvres. L’attention que nous devons porter au constat d’éventuelles dégradations ou anomalies aiguise le regard et garde en éveil la curiosité pour des œuvres ou des périodes qu’on apprécierait moins. Des facettes d’artistes peuvent aussi se révéler de manière crue, comme l’attrait aux références monarchiques, feintes ou réelles, d’Yves Klein lors de sa grande rétrospective.
Quels sont tes lieux culturels de prédilection, à Paris ou en France ?
J’apprécie tout particulièrement la fondation Kadist dans le 18è , un tout petit lieu qui accueille des artistes en résidence, mais aussi toutes les galeries parisiennes qui représentent une scène artistique vivante et en constante évolution. J’aime aussi le Plateau Frac île-de-France. Le Palais de Tokyo et le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris restent des valeurs sûres ! Des lieux qui font plus de prospection peuvent être : Plateforme, l’ancienne Brasserie Bouchoule des Instants Chavirés de Montreuil et sa Maison des Arts Populaires, l’espace Mains d’œuvres de Saint-Ouen, le Credac d’Ivry et le MacVal de Vitry-sur-Seine. L’institut d’art contemporain de Villeurbanne a également une programmation exigeante.
Pour découvrir le Musée d’art Moderne de la ville de Paris avec une visite guidée, cliquez ici
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Propos recueillis par Sonia Zannad / Mes sorties culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com