Académies Julian et Ranson (2/2)
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Née dans une famille ukrainienne noble et fortunée, Marie Bashkirtseff (1858–1884) grandit essentiellement à l'étranger. En France, elle étudie la peinture à l'Académie Julian, cette dernière étant l'une des rares en Europe à accepter les femmes.

Elle réalise, en 1881, un tableau représentant l’atelier des femmes de l'Académie, visible au Musée d'Art de Dnipro, en Ukraine. Elle y témoigne de l’ambiance d’émulation et de camaraderie qui à l’Académie. "Quant au sujet, il ne m’intéresse pas beaucoup, mais cela peut être très amusant […]. Jamais un atelier de femmes n’a été peint", écrit-elle dans son journal.

Un de ses tableaux les plus notables, "Un meeting" (1884) est visible au Musée d’Orsay. Lorsqu’il est exposé au Salon de 1884, l'accueil du public et de la presse est élogieux.
Mais l’artiste enrage de ne recevoir aucune récompense officielle. Sûre de son talent, elle dénonce ce qui lui semble être une injustice liée à son statut de femme. "Je voudrais être un homme, je sais que je pourrais devenir quelqu'un, mais avec des jupes, où voulez-vous qu'on aille ?", écrit-elle. Elle n'a alors que 25 ans et se sait déjà condamnée par la tuberculose. 

Inspirée par Vélasquez et sous l’influence des idées d’Émile Zola, elle s’engage dans le courant naturaliste. Dans ce tableau, elle en reprend les thèmes, avec une quête acharnée du réalisme et d’une vérité saisissante, ne négligeant aucun détail. Pourtant, l’œil de l’artiste reste neutre, sans empathie ni douceur, et aucune dimension sociale n’y est introduite.

Six jeunes garçons, aux mimiques et aux gestes saisis avec acuité, y font cercle. Leurs habits déchirés ou usagés, la palissade poussiéreuse en bois et les graffitis indiquent qu'ils sont issus des classes populaires. En 1881, les lois Ferry instaurent l'enseignement laïc et obligatoire pour les enfants âgés de 6 à 13 ans, et leurs blouses montrent qu’ils sont écoliers. Cette réunion d’enfants a probablement été observée à Paris, dans les nombreux quartiers en chantier liés à l’haussmannisation de la capitale.

Mais que penser de la fillette vue de dos s’éloignant seule ? Marie Bashkirtseff, dont voici l’autoportrait, militante féministe, y dénoncerait-elle ainsi une injustice ? En effet, à son époque, les femmes sont écartées de tout débat politique ou artistique.

Dans les années qui suivent sa mort, sa mère donne près de la moitié de son œuvre à des musées russes et ukrainiens. Emblématique de cette haute société cosmopolite, qui vit et voyage à travers l’Europe, Marie Bashkirtseff reste liée à sa patrie, l’Ukraine. Météore dans le ciel conventionnel du 19e siècle, sa façon de vivre ne cesse d’interroger.

Le fondateur de l'Académie Julian, Rodolphe Julian, décède en 1907. Les ateliers de l'Académie continuent doucement, en périclitant petit à petit. Ce qui en reste est fermé pendant la Seconde Guerre mondiale et deux de ses ateliers sont vendus en 1946. Ils ferment définitivement en 1974, certains ateliers ayant déjà été rachetés par d’autres écoles artistiques, comme l'Atelier Penninghen.

À la fin du siècle l'Académie Julian est fréquentée par les Nabis. Ces derniers, en 1908, fondent l'Académie Ranson pour venir en aide à leur ami Paul-Elie Ranson, alors dans une situation précaire tant sur le plan financier que de la santé. Après sa mort en 1909, l'Académie est dirigée par son épouse. Maurice Denis et Paul Sérusier y dispensent des cours. Ker-Xavier Roussel, Félix Vallotton et Édouard Vuillard fréquentent aussi l’Académie, ce qui lui confère une bonne réputation.

En 1914, ses effectifs sont réduits en raison de la Première Guerre mondiale, mais l'Académie survit. Après 1918, Maurice Denis et Paul Sérusier partent vers d'autres activités, et de nouveaux professeurs prennent la relève, dont beaucoup sont des anciens élèves. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'Académie reste ouverte pour quelques apprentis, puis rouvre en 1951, mais faute de fonds, ferme définitivement en 1955.

Tout comme à l’Académie Julian, des artistes émérites y sont passés. Citons, parmi les plus célèbres, Amedeo Modigliani, Tamara de Lempicka, Marcel Gromaire et Louise Bourgeois. 

Une exposition sur Tarsila do Amaral, peintre brésilienne, ancienne élève de l’Académie Julian, est prévue au Musée du Luxembourg, du 9 octobre 2024 au 2 février 2025.

Au Musée Zadkine, à Paris, une exposition (du 14 novembre 2024 au 30 mars 2025) s’intéresse à l'amitié artistique qui unit le sculpteur Ossip Zadkine, ancien élève de l’Académie Julian, au peintre Amedeo Modigliani, ancien élève de l’Académie Ranson. À travers près de 90 œuvres mais également des documents et photographies d’époque, elle propose de suivre les parcours croisés des deux artistes, dans le contexte mouvementé et fécond du Montparnasse des années 1910 à 1920.


Quelques idées de lecture, assis sur un banc :

Depuis l’âge de 12 ans, Marie Bashkirtseff a tenu un journal devenu célèbre. Retrouvez-le dans Journal (1873-1877) de Marie Bashkirtseff. Le destin de quelques textes est d'incarner un genre littéraire. Son journal reste, depuis sa parution, un des grands classiques de la littérature autobiographique.

Lectrice du Journal de Marie Bashkirtseff, Colette Cosnier note des détails trahissant une manipulation du texte. Remontant aux sources, elle découvre dans les cahiers manuscrits déposés à la Bibliothèque nationale des passages entiers supprimés par la famille et de trop zélés admirateurs. D'une lecture passionnante, écrit dans un rythme vif, Marie Bashkirtseff, un portrait sans retouches apportait, quand il fut publié en 1984, une véritable révélation sur un personnage attachant et d'une surprenante modernité.


Vous ne viendrez plus dans une exposition ou un musée sans penser aux Académies Julian et Ranson !


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