Vallotton, guerre et chéchia
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Les colonies des Empires français et britannique jouent un rôle important pendant la Première Guerre mondiale, fournissant aux Alliés des soldats, de la main-d’œuvre et des matières premières.
Côté français, plus de 600 000 soldats et 200 000 travailleurs y participent, venant de toutes les colonies : Afrique du Nord et Afrique Noire, Madagascar, La Réunion, Indochine, Océanie et Les Antilles.

A la déclaration de la guerre, le peintre Felix Vallotton (1865-1925) voit son engagement volontaire refusé, pour raison d’âge. Déprimé, il s’attelle à montrer le cauchemar de la guerre. Images de presse, actualités cinématographiques constituent ses sources d’inspiration. Il compose alors, sur la seule base de son imagination, "Paysage de ruines et d’incendies" visible au Musée des Beaux-Arts de Berne.

En 1916, quelques peintres, dont Vallotton, sont autorisés à se rendre sur le front pour peindre des tableaux d’histoire de la guerre. Il accomplit sa mission artistique en juin 1917 sur le front de Champagne et d’Argonne, revenant trois semaines plus tard, avec son journal et un carnet de croquis dont il tire une douzaine de toiles. 

En fait, en revenant du front, Vallotton est convaincu de la difficulté de représenter la guerre. Il ne parvient pas à représenter des hommes au cœur de l’action, du combat, de la bataille, de la destruction et de l’horreur. Dans "Verdun", visible au Musée des Armées, à Paris, des faisceaux colorés se croisent au-dessus de la terre en feu, envahie par la fumée des incendies et les nuages de gaz. Vallotton nous donne une image de la guerre, violente, mais d’où toute présence humaine a disparu.

A l’automne 1915, dans la région de Souain, une vaste offensive française tente de percer les lignes allemandes sur un front de 5 kilomètres et sur une profondeur de plus de 3 kilomètres. La progression est stoppée… s’ensuivent des combats acharnés. À l'issue des batailles de Champagne, le village de Souain est ravagé, ce que Vallotton montre dans son tableau "L'Église de Souain", datant de 1917, visible au National Gallery of Art de Washington.

Dès 1892, la région de Mailly, située à 150 km à l’est de Paris, retient l’attention du QG des armées pour son intérêt stratégique. Le camp de Mailly, d’une surface de 12 ha, ouvre en 1902, avec une bonne structure d'accueil pour des régiments en manœuvre. En 1912, l'aviation naissante y fait son apparition. Il est très utilisé lors de la Première Guerre mondiale, servant de base pour des troupes.

Dans le tableau "Soldats sénégalais au camp de Mailly", Vallotton ne montre aucune scène d’action, aucune tranchée boueuse, mais plutôt des lieux calmes où sont passés des soldats. Assis entre les baraquements de planches, ceux-ci sont au milieu d'un décor paisible, presque champêtre, qui ferait oublier la guerre. Mais la désolation, l’abattement, la fatigue sont pourtant présentes dans les corps et les visages. Ceux-ci ont l'air absent et triste. Le sol et le ciel sont gris. Seuls les chéchias bleues et rouges, caractéristiques des troupes sénégalaises, colorent harmonieusement ce tableau qui dédouane les Sénégalais de leur réputation de sauvagerie.

1857, le premier uniforme des Tirailleurs Sénégalais est une tenue "à l'orientale" avec une chéchia en guise de protection pour la tête. Leur costume évolue avec le temps, mais la chéchia est conservée, devenant leur emblème. Quand la société Banania substitue un Tirailleur à l'Antillaise sur ses boîtes de cacao, elle l'habille de la tenue orientale et le coiffe de la chéchia. Celle-ci est remplacée, en 1916, au combat, par un casque pour la protection de la tête, la chéchia étant conservé au repos ou pour défiler. Mais les tenues de combat des Tirailleurs Sénégalais restent longtemps dépareillées, comme le montre cette photo de 1917, conservée à la Médiathèque du Patrimoine et de la photographie (MPP) à Charenton-le-Pont, sur laquelle tous les soldats n'ont pas le même couvre-chef.

Ne manquez surtout pas l’exposition "Combattre loin de chez soi - L'empire colonial français dans la Grande Guerre" au Musée de La Grande Guerre de Meaux, jusqu’au 31 Décembre 2024 !

Pour aller plus loin :

En plus d’être peintre, Felix Vallotton est romancier. Dans La vie meurtrière, il nous conte l’histoire de Jacques Verdier, jeune peintre qui, en se suicidant, laisse une lettre à l'attention de celui qui découvrira son corps. Un manuscrit qui déroule le récit d'une vie ne pouvant mener qu'à une mort violente...

Les textes de cette monographie sur Felix Vallotton explorent sa vie, son œuvre, dans le but de réévaluer non seulement sa production mais aussi son héritage. L’ouvrage contient des reproductions de ses dessins et estampes les plus connus, ainsi que des œuvres jusqu’ici inédites.

De nombreux livres, romans et essais, existent autour des Tirailleurs Sénégalais. Frère d’âme de David Diop nous emmène dans les tranchées, à la suite d’Alfa Ndiaye et Mademba Diop. Ce dernier tombe, blessé à mort, sous les yeux d'Alfa, son plus que frère. Alfa se retrouve seul dans le grand massacre, sa raison s'enfuit…

Dans le film Tirailleurs, avec Omar Sy, en 1917, Bakary Diallo s'enrôle pour rejoindre Thierno, son fils recruté de force. Envoyés sur le front, père et fils affrontent la guerre et ses horreurs ensemble… Bakary faisant tout pour ramener son fils vivant.


Bonne exposition !


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