Un petit garçon à Varsovie
Credits image :
Ghetto de Varsovie, 1943. Un jeune garçon en culottes courtes, coiffé d'une casquette bien trop grande pour lui, se tient debout, les mains en l'air. Et, derrière lui, un soldat pointe une arme dans sa direction.

Cette photographie, datant vraisemblablement d'Avril ou Mai 1943, est prise lors de l'écrasement définitif de l'insurrection du ghetto. Familier et émouvant, mille fois vu, ce symbole de la barbarie nazie n'a joui d'une telle notoriété que depuis les années 1970. L'emplacement exact et le photographe ne sont pas connus.

Le ghetto de Varsovie est le plus important ghetto juif au sein des territoires occupés par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Situé au centre de Varsovie, il est créé en 1940 et détruit en 1943, après l'insurrection de ses occupants. Le général Jürgen Stroop est responsable de la liquidation du ghetto au printemps 1943.

La liquidation du ghetto, c’est l'arrestation systématique des familles juives cachées, immeuble après immeuble, puis leur tri et leur acheminement vers Treblinka. Il faut imaginer les soldats allemands fouillant les "bunkers" précaires dans lesquels la population se terre, ou encore l'élimination des "parachutistes", ces juifs qui se jettent, du haut des fenêtres, des balcons ou des greniers, sur l'asphalte et les pavés, et que les soldats allemands s’amusent à "tirer" comme de vulgaires pigeons, en "plein vol".

A l'origine, cette photographie avec un enfant juif de Varsovie n'est pas seule : elle est l’une des 53 photographies jointes au rapport que le général Jürgen Stroop destine aux plus hauts dignitaires de la SS. Stroop choisit soigneusement chaque cliché afin de glorifier les soldats allemands tombés au combat "pour le Führer et la Patrie" et contre les "bandits juifs".
Son rapport se veut un matériau d'archive, exigé de lui par ses supérieurs, et que Stroop lui-même entend utiliser pour la rédaction de ses propres "Souvenirs" et ses "futurs travaux d'histoire". La photographie, la n°14 du rapport, est isolée sur une page du rapport où est marqué "Tirés de force hors de leurs bunkers".

A côté du petit garçon, au premier plan, une femme se retourne. Peut-être a-t-elle reconnu le soldat qui pointe son fusil sur l'enfant… En effet il s'agit du SS Josef Blösche, portant un pistolet-mitrailleur MP18 ou MP28, bien connu dans le ghetto pour son sadisme. En tant que petit gradé, il dispose du droit de vie et de mort dans le ghetto, où son surnom est "Frankenstein"...
A l’époque, l'image a pour fonction première d'"illustrer la force d'âme d'un grand chef, Jürgen Stroop, ainsi que le dévouement admirable de ces troupes d'élite capables de surmonter l'inhumanité apparente de leur mission au nom de l'idéal nazi".
Pour nous, à l'inverse, tout y dénonce l’horreur : sur le visage des femmes et des enfants que les nazis se font une gloire d'exterminer, c'est la terreur brute que nous reconnaissons.

Jürgen Stroop est jugé pour crime contre l'humanité et exécuté à Varsovie en 1952. A la fin de la guerre, Josef Blösche retourne dans sa famille, se marie et a des enfants. En 1961, un de ses anciens camarades de la SS cite son nom, ce qui déclenche des recherches puis sa découverte. Condamné à mort, il est fusillé en 1969.

Le souvenir du ghetto de Varsovie est marqué par plusieurs monuments, le plus imposant étant le "Monument aux héros du ghetto", à Varsovie. Le chancelier ouest-allemand Willy Brandt, agissant au nom de son pays, véritable demande de pardon, s'y est agenouillé en 1970. Il déclare ensuite "J’ai fait ce que les hommes font quand les mots manquent".


Dans le monde entier, de multiples centres de documentation, musées et monuments commémorent la shoah. Plus près de nous, proposant des visites guidées, le "Mémorial de la Shoah" à Paris est incontournable. Mais ce n'est pas le seul en France ! 

De façon plus générale, le "Mémorial de Caen" est dédié à la Seconde Guerre Mondiale et ses génocides, aux débarquements de Normandie et Provence, puis à la Guerre Froide. Ce musée, très complet et pédagogique, est essentiel pour comprendre le conflit dans son ensemble.

Visite guidée très émouvante. Le Struthof est un camp de concentration nazi implanté en Alsace. Entre 1941 et 1945, environ 52 000 prisonniers, de trente-deux nationalités, y sont enregistrés. Les détenus sont des opposants politiques ou des résistants, des travailleurs forcés raflés dans les pays de l'Est et des Juifs.

Le musée "Kazerne Dossin", en Belgique, est un mémorial, musée et centre de documentation sur l'Holocauste et les droits de l'homme. Il est situé dans l'ancien camp de transit de Malines, à partir duquel, en Belgique occupée, 25 274 Juifs et 352 Roms sont déportés vers les camps d'extermination.


Quelques idées pour compléter ces visites et cette photo :

Septembre 1940. Dans Les Anagrammes de Varsovie, roman de Richard Zimler, le lecteur rencontre Erik Cohen, vieux psychiatre juif qui a emménagé dans le ghetto, chez sa nièce et son petit-neveu, Adam. Il tente de lutter contre la hantise des rafles et des camps de travail, de survivre au rationnement, à l'isolement, aux épidémies, et de protéger les siens. Jusqu'à cette aube où Adam est retrouvé assassiné, mutilé, son petit corps jeté sur les barbelés...

Pologne, printemps 1942. Emilia, 13 ans, vit avec sa famille adoptive à Varsovie depuis que ses parents ont été tués par des Allemands. Forcée de changer d’identité, elle reste enfermée chez elle jusqu’au jour où elle découvre que leur voisine, Sara, infirmière, évacue des enfants juifs du ghetto en secret... Les orphelins de Varsovie, roman écrit par Kelly Rimmer, est l’histoire vraie et extraordinaire d’une infirmière qui sauva des milliers d’enfants juifs du ghetto de Varsovie.   

Fréquemment reproduite (magazines et livres), la photographie de l’enfant juif du ghetto de Varsovie subit des recadrages qui, peu à peu, en font une image de compassion, dépouillée de toute référence aux bourreaux. Frédéric Rousseau, professeur d’histoire contemporaine, dans L'Enfant juif de Varsovie déconstruit et interprète ce récit photographique de 1943 à nos jours et s’interroge sur notre rapport à cette image, qui fait désormais partie de notre mémoire collective et que nous regardons sans voir.

Wladyslaw Szpilman, brillant pianiste juif polonais, échappe à la déportation. Contraint de vivre au coeur du ghetto de Varsovie, il en partage les souffrances, les humiliations et les luttes. Il parvient à s’échapper et à se réfugier dans les ruines de la capitale. Un officier allemand va l’aider et lui permettre de survivre… Le pianiste, film de Roman Polanski, tiré d’une histoire vraie, où Adrien Brody incarne le pianiste, est une terrible peinture du ghetto où, de jour en jour, les conditions de vie s’aggravent.
Ce film obtient la Palme d'or du Festival de Cannes 2002 ainsi que d’autres multiples récompenses, dont sept César et trois Oscars en 2003.


Simone Veil, en 2005, lors d’une interview, déclare :
" "Plus jamais ça", c'est ce que disaient les déportés. Nous avions très peur de disparaître tous et qu'il n'y ait aucun survivant pour raconter cette tragédie. Il fallait que certains survivent pour pouvoir dire ce qui s'était passé et qu'il n'y ait plus jamais de semblable catastrophe. "


Ne jamais oublier !


Vous aussi, publiez vos propres articles
sur TartinesDeCulture !
Je m'inscris