Tendres banlieues industrielles
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Le développement des chemins de fer et la commercialisation de la peinture en tube favorisent, chez les artistes peintres, le désir de nature et de déplacements hors de l’atelier. Les plus connus (Caillebotte, Renoir, Monet, Signac...), comme les plus discrets, n’hésitent pas à sauter dans un train (à vapeur…) pour rejoindre la banlieue parisienne et y puiser d’autres sources d'inspiration.

Ils témoignent ainsi, par leurs tableaux, des usages du plein-air par les parisiennes et parisiens : canotage, sieste, pêche, baignade, déjeuner sur l’herbe. Des poches d’activités industrielles sont parfois visibles à l’arrière-plan, comme dans ce Soleil couchant à Ivry... Leurs toiles mettent ainsi en lumière la nature, mais aussi les évolutions économiques, urbaines et sociales des alentours de Paris. 

Claude Monet et sa famille s’installent à Argenteuil en 1871. Désireux d’y peindre la Seine, il se fait aménager un bateau-atelier qui lui permet d'accéder à de nouveaux paysages. Malgré ses longues stations au cœur de la nature, il reste profondément conscient des changements de son époque, et est influencé par la modernisation et l'industrialisation du 19e siècle, ces dernières traînant dans leur sillage un cortège de travailleurs harassés, comme ces Déchargeurs de charbon.

En effet, à partir des années 1840, l’industrie quitte Paris, et s'installe en banlieue, sur des terrains moins coûteux, mais bien desservis par les voies d'eau puis, plus tard, par le chemin de fer. Les cadences de travail y sont élevées : en banlieue la main d'œuvre est moins chère, moins qualifiée, et surtout plus docile qu'à Paris. Industries chimiques, mécaniques et métallurgiques s'installent ainsi autour de Paris.

L’usine, comme celles d’Argenteuil ou d’Asnières, s’impose dans un paysage caractérisé par des cheminées fumantes et des habitations miséreuses pour les ouvriers, soumises à une pollution atmosphérique omniprésente et situées au voisinage de terrains vagues.

Notamment, la vaste plaine Saint Denis, partagée entre les communes de Saint Denis, Aubervilliers et Saint Ouen, perd, en 50 ans, son aspect champêtre pour laisser place à un paysage de cheminées d'usine, de bâtiments industriels, de voies ferrées... La chimie et la métallurgie, fuyant la capitale, s'y installent. La Grande Guerre y apporte les constructions électriques. L'industrie attire une main d'œuvre venue de Paris et des communes avoisinantes, ainsi que des migrants originaires du Nord de la France, de Bretagne, ainsi que des Italiens, Polonais, Nord-Africains et Espagnols.

Maurice Fallies (1883-1965) est un peintre reconnu au tournant du siècle pour ses représentations post-impressionnistes, habiles et émouvantes, d'un siècle en voie d'industrialisation. Son tableau privilégie la représentation d’une voie ferrée, mais ce n’est pas celle des liaisons pour voyager : c’est celle de la desserte ouvrière et industrielle de banlieue – les usines sont au bord des rails comme ailleurs au bord de l’eau.

Le paysage peu engageant de la gare évoque la sujétion, jusqu’à nos jours, des salariés au "train de banlieue", en dépit de la modernisation continue des transports franciliens. D’ailleurs, c’est au tournant du 20e siècle que sont nés les premiers "tarifs réduits" de chemin de fer, destinés à faciliter les trajets journaliers entre résidence et travail. 


Pour aller plus loin : 

Rassemblant plus de 200 documents d’archives, peintures, installations… jusqu’au 17 août 2025, au Musée de l'histoire de l'immigration, pour dépasser les clichés, l’exposition "Banlieues chéries" est une immersion artistique au coeur de l’histoire des banlieues. De la ceinture rouge à la "crise des banlieues" en passant par la construction des grands ensembles, l’exposition donne à voir une multiplicité de points de vue de la fin du 19e siècle à aujourd’hui.

N’hésitez pas à aller visiter, à Argenteuil, la Maison de Claude Monet

Le tourisme industriel a le vent en poupe ! Renseignez-vous auprès de l’Office du Tourisme de la Seine-Saint-Denis. Si vous souhaitez visiter leur ancien patrimoine industriel ou celui qui est encore en fonctionnement, ce sont plus de 500 visites d'ateliers, usines, grands sites industriels ou ateliers d'artisans qui sont programmées.

Pour ceux qui veulent savoir comment on construit une automobile en usine, contactez l’association "L’Aventure Automobile à Poissy" et plongez dans l'histoire captivante de l'usine Stellantis Poissy, un site emblématique de l'industrie automobile française.


Pour aller encore plus loin : 

En 1985, Robert Doisneau accepte de répondre à une commande photographique, et, pour cet exercice, choisit de revenir sur "son" territoire, la banlieue, qu'il a magnifiée dans des ouvrages célèbres, en proposant cette fois-ci de s'inscrire dans une démarche plus plastique, travaillant en plus grand format et en utilisant pour la première fois la couleur. Dans La banlieue en couleurs, une centaine de photographies rendent ici compte de son parcours.

Une flânerie à travers les banlieues parisiennes de l'après-guerre, et un voyage dans le temps aux côtés de Cendrars et de Doisneau. Publié en 1949 puis réédité en 1983, cet album, La banlieue de Paris, est re-publié dans une nouvelle conception graphique qui permettra aux lecteurs de Cendrars de redécouvrir un texte dense, à la fois véhément et poétique, et comblera les amateurs de photographie avec les clichés désormais devenus classiques.

Caroline et Francis, couple bancal, acceptent (sans hésiter) une proposition d’Echange de leur appartement de province contre une maison dans la banlieue de Londres. Mais une fois sur place, la maison leur paraît étonnamment vide et sinistre. Peu à peu, Caroline remarque des signes de vie, ou plutôt des signes de sa vie. Les fleurs, la musique, tout cela paraît innocent aux yeux de son mari, mais pas aux siens. La personne chez qui ils logent connaît bien Caroline, ainsi que les secrets qu'elle aurait préféré garder enfouis...


Et encore encore plus loin, c’est la Banlieue Nord de Starmania, et attention quand ils arrivent en ville !


Tableaux cités par ordre d’apparition :  

1 - Soleil couchant à Ivry, 1869, Armand Guillaumin (1841–1927), Musée d’Orsay, Paris

2 – La Seine à Argenteuil, 1873, Claude Monet (1840–1926), Musée d’Orsay, Paris

3 – Déchargeurs de charbon, 1875, Claude Monet (1840–1926), Musée d’Orsay, Paris

4 – Usines à Argenteuil, 1888, Gustave Caillebotte (1848–1894), Collection particulière

5 – Usines d'Asnières, vues du quai de Clichy, 1887, Vincent van Gogh (1853–1890), Musée des Beaux-Arts, Saint-Louis, Missouri


Bonnes banlieues !




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