On est bien peu de chose...
Credits image :
Un article qui se voudrait là comme pour titiller nos papilles...


Commençons par la viande

L’image est frappante, presque choquante, incongrue, éloignée des canons de la "nature morte" : une carcasse éventrée pendue à son croc, sous une lumière crue, quasi obscène. 

Rembrandt, comme tous les peintres d’Europe du nord, pratique aussi la "scène de genre", c’est-à-dire la représentation de scènes de la vie quotidienne fortement teintées de sens moral. Il livre ici une image spectaculaire et décalée, en accordant à une carcasse de bœuf le statut de "modèle digne d’intérêt".

Le traitement pictural est hors norme, puisque l’artiste traite son sujet par larges touches épaisses de matière. Il a observé ce modèle sur le vif, et le transcrit dans des empâtements huileux, ce qui crée un double effet d'attirance et de dégoût. 

Le boeuf écorché a la portée morale d'un "memento mori", pour rappeler aux hommes qu'ils sont mortels et la vanité de leurs activités ou intérêts terrestres. 


Et si vous preniez un peu de fromage ?

Les fromages abondent dans les tableaux du siècle d'or néerlandais, comme dans le chef-d'œuvre de Floris van Schooten conservé au Louvre. On trouve fréquemment des meules, entames et coupes. Elles voisinent avec des tulipes, des flûtes à bière, des porcelaines blanc bleu d'inspiration chinoise ou de l'argenterie. 

Dans cette scène, traitée avec une méticulosité extrême, à droite de la charcuterie et derrière quelques pains, on remarque une véritable pyramide de fromages, dont la couleur va du jaune orangée au brun gris.

Ce qu'ils disent est double et paradoxal. D'une part, ils signifient la fertilité du pays, d'autre part, la fermentation de plus en plus prononcée renvoie à la pourriture, à la mort, aux vanités bibliques. Là encore, ce tableau a la portée morale d'un "memento mori".


Un peu de place pour quelques fruits ?

Le style de Mélendez se distingue, dans les natures mortes, à la fois à la fois par l’austérité et par la perfection des représentations. Ses natures mortes présentent l’austère tradition de la nature morte espagnole du XVIIe siècle.

Il étudie les effets de lumière, la texture et la couleur des fruits et des légumes, ainsi que celles des récipients en céramique, verre et cuivre. Il présente le sujet plus près du spectateur, en légère plongée. Les fonds sont neutres, laissant un puissant éclairage mettre en valeur les contours de l’objet représenté. 

Là encore, ce tableau a la portée morale d'un "memento mori".


Troubadours et trouvères

Je ne peux vous laisser finir ce repas sans une larme de musique, J'arrive, de Jacques Brel, ni sans un doigt de poésie, Une Charogne, de Charles Baudelaire :

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !


Profitez d’une visite guidée pour aller voir ces tableaux au Musée du Louvre.

Les peintres du nord sont à l’honneur. Pour ceux qui, comme moi, sont intrigués par une perle dans un très célèbre tableau de Vermeer, lire La jeune fille à la perle de Tracy Chevalier:
et pour ne pas parvenir à lâcher son pavé, Le tableau du maître flamand, d'Arturo Pérez-Reverte.

Je les vois, les gourmands : pour tout savoir des boustifailles à la cour de France, visitez, avec un guide, l'exposition "Fêtes et divertissements à la cour" au château de Versailles.

Ah, nous sommes bien peu de chose, ma foi....

Mais oups, c'est l'heure du repas ! Si vous en avez encore le cœur, bon appétit !

Vous aussi, publiez vos propres articles
sur TartinesDeCulture !
Je m'inscris