Difficile de rester insensible à l’œuvre de Horace Vernet, ce peintre officiel parmi l'un des plus prolifiques, documentant la conquête de l'Algérie sous Louis-Philippe, artiste au plus près des batailles. 
Ses tableaux font l’apologie de sujets devenus épidermiques de nos jours : colonisation et conquête de l’Algérie, glorifiée dans de gigantesques tableaux, comme dans "Siège de Constantine ; prise de la ville, 13 octobre 1837", approchant pour certains les 100m2, érotisation des femmes orientales, et mise en peinture des préjugés racistes de l’époque.

Impossible, pourtant, de n’y voir que cela. Portraitiste ou auteur de tableaux monumentaux, Horace Vernet (1789-1863), dont ce portrait peint par Ary Scheffer est visible au Château de Versailles, nous laisse en héritage une œuvre témoignant des grands événements du milieu du 19e siècle.

Une nouvelle maladie, alors inconnue en Occident, le choléra, arrive d’Asie. En 1826, il fait son apparition en Inde, gagne la Russie en 1830, puis la Pologne et la Finlande. Il atteint Berlin en 1831, les îles Britanniques en Février 1832 et la France en Mars 1832. 

Le choléra se manifeste par des très fortes diarrhées entraînant une déshydratation rapide, souvent mortelle, et se transmet par l'ingestion d’une bactérie transmise par l’eau. Mais à l’époque, on ne sait rien de tout ça !

C’est le printemps à Paris. Pauvres, riches, manants, nobles... le choléra ne fait pas de quartier, fauchant 18,000 Parisiens en six mois. Personne n’est épargné, pas même l’entourage du roi et du gouvernement. Le président du Conseil prend des mesures sévères : nettoyage des quartiers insalubres, fermeture des ruelles nauséabondes, assèchement des cloaques. Comme toujours, les gens très pauvres, mal nourris, mal logés, sont particulièrement touchés.

Casimir Périer, président du Conseil, ne peut laisser le duc d'Orléans, fils du roi Louis-Philippe, aller seul visiter les malades à l'Hôtel-Dieu. Alors il accompagne le jeune homme. Le tableau représentant "le duc d'Orléans visitant les malades de l'Hôtel-Dieu" est visible au Musée Carnavalet. Le choléra rattrape Casimir Périer qui décède le 16 Mai 1832.

C’est l’été. Un peu après Paris, le mal frappe la Provence. Sous un soleil brûlant, une intense chaleur pousse les gens à se gaver de melons et de tomates, provoquant des diarrhées. Personne ne prête attention aux premiers malades. L’un des premiers symptômes du choléra étant la dysenterie, celle-ci est attribuée à des indigestions. De plus, on ne connaît pas cette nouvelle maladie.

Le tableau "Le choléra à bord de la Melpomène" peint en 1833 par Horace Vernet, lui est commandé par l'Intendance sanitaire de Marseille. La Melpomène, en 1833, faisant route vers Alger, fait escale à Lisbonne, alors frappée alors par le choléra. Des marins en meurent à bord, après être allés à terre. Le navire quitte Lisbonne, y laissant plus de quarante malades à l’hôpital. Lors de la traversée entre Lisbonne et Toulon, se déclarent plus de cinquante nouveaux cas et de nombreux décès. Arrivé à Toulon, le bâtiment est mis en quarantaine...

Dans le tableau [1], un forçat tire un cadavre de la cale. Derrière lui, un homme est allongé, vraisemblablement déjà mort. Un commis fait le compte des malades et morts sur l’affût d'un canon. Le capitaine et le médecin soutiennent un jeune mousse qui fait pâle figure. La batterie est devenue infirmerie, avec ses herbes désinfectantes au bord de la cale. Nature morte faite de mourants.

L'étude préalable [2] montre la même scène, avec les mêmes personnages, mais sans le forçat. Car le mort est sorti de la cale, entouré de deux pleureurs, peut-être d'une épouse suppliante et de l'enfant, mousse hébété et contaminé. L'étude raconte alors une histoire bien plus humaine et plus terrible. Le tableau [1], quasi photographique et clinique, est pourtant dépourvu de la mise en scène du désespoir qui anime l'étude préalable [2].

Automne 1832. L'épidémie s’achève, après avoir fait environ 100,000 victimes en France, dont 19,000 à Marseille.


Conservant aujourd’hui la plus grande collection d’œuvres de Horace Vernet, le château de Versailles lui consacre jusqu'en Mars 2024 une grande et superbe rétrospective. La Melpomène y a sa place.


Quand les écrivains s’en emparent :

Un écrivain français du 20e siècle, Jean Giono, passionné par ces événements, s’est documenté avec un soin minutieux, épluchant tous les rapports officiels, tant administratifs que médicaux. En 1951, il en tire son chef d’œuvre Le Hussard sur le toit. 

Un excellent film aussi nommé Le Hussard sur le toit a été tiré de l’œuvre de Jean Giono, avec Juliette Binoche, Olivier Martinez, Pierre Arditi et François Cluzet.

1832.Une épidémie de choléra terrorise Paris, provoquant des centaines de morts et suscitant les plus folles rumeurs. Une série de meurtres atroces... Eric Foussier nous entraîne, avec Les Nuits de la peur bleue, dans une nouvelle enquête où la science flirte avec le vice et le crime.

Sans oublier le magnifique catalogue de l’exposition Horace Vernet du Château de Versailles, où les visites guidées sont régulières.


Tableaux affichés de Horace Vernet :
[1] – Le Choléra à bord de la Melpomène, Musée des Beaux-Arts de Marseille
[2] – Etude pour Le Choléra à bord de la Melpomène, Musée des Beaux-Arts de Marseille


Joyeux Horace !