Mais c’est la zone, ici !
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L'enceinte de Adolphe Thiers, fortifications datant de 1844, entoure Paris. Au-delà s'étend une bande de terre nue, la "Zone", faisant entre 200m et 400m de large, et ceinturant Paris sur 32km. Après la défaite de 1870, abandonnée par l'armée, elle reste non constructible.

Les grands travaux du baron Haussmann, de 1850 à 1870, poussent les classes populaires à habiter les banlieues. Mais les plus pauvres, ne trouvant pas à s’y loger, s’installent dans la Zone, où ils construisent des habitats précaires, de bric et de broc.

Un grand bidonville se développe… comptant jusqu'à plus de 40,000 habitants. Pas d’eau courante dans les logements insalubres. Les enfants traînent sans surveillance. Les habitants sont des ouvriers pauvres, des chiffonniers, des paysans chassés par l'exode rural, des immigrés. Pour gagner leur croûte, ils sont contraints d’enchaîner les petits boulots pas forcément honnêtes. Considérée comme dangereuse, La Zone fait l’objet de maintes légendes urbaines alimentées par la presse et les politiciens.

Fernand Pelez (1843-1913) représente les désespérés et malheureux de la Belle Époque, les sans-abris, les mendiants, les affamés. Ses tableaux nous ramènent aux écrits naturalistes d'Émile Zola. Au moment de sa mort, il tombe dans l’oubli. La municipalité parisienne, ayant acquis plusieurs de ses tableaux, les laissent dans les caves, ces œuvres étant éreintées par la presse et la bourgeoisie.

Son tableau "Sans Asile" représente une mère épuisée, résignée, allaitant un bébé, entourée de ses quatre enfants plus âgés. Leurs vêtements et couvertures sont en loques. Ils sont ironiquement placés sur un fond publicitaire pour une "Grande Fête musicale et dansante".

"Le petit marchand de violettes" nous montre un jeune marchand de bouquets de violettes, pieds nus et en haillons, endormi, dans la rue, sur le pas d'une porte. Sur son visage, la fatigue, la faim… Son "Gamin des rues", en loques, une cigarette au bec, renvoie aux peintures de Murillo et Ribera, et aux héros de romans tels Gavroche, Oliver Twist, Rémi.

En 1884, à l'apogée du "chiffonnage", on dénombre 35,000 personnes qui ramassent des "chiffons". Le besoin exponentiel en chiffons pour faire du papier est dû au développement de la presse écrite et des machines à fabriquer le papier. Recycleur avant l’heure, travailleur informel des bas-fonds, le chiffonnier traverse le 19e siècle, dans la presse comme les romans.

Le personnage du tableau "Le Buveur d'absinthe", de Edouard Manet (1832-1883), serait un chiffonnier nommé Collardet travaillant aux environs du Louvre. Son magnifique "Chiffonnier" est une forme d'hommage à Baudelaire, l'ivrogne-poète-philosophe, ami de Manet, mort deux ans plus tôt.

Jean-François Raffaëlli (1850-1924), dans ses toiles et ses dessins, retrace des scènes de la banlieue parisienne, des "petites gens", voire des relégués dans la Zone comme ces "Chiffonniers parisiens".

Des discussions sur le réaménagement de la Zone ne s’engagent qu’après la Première Guerre mondiale. Une partie est détruite dans les années 1920 pour être remplacée par une "ceinture rouge" de 40,000 immeubles en brique rouge, d’équipements sportifs et de parcs, de lieux d'exposition (celui de la porte de Versailles) et le Musée des Colonies (aujourd’hui le Musée de l’Histoire de l’immigration).

Entre les deux guerres, la plupart des terrains de l'ancienne enceinte est encore en jachère. Lors de la Seconde Guerre mondiale, le régime de Vichy détruit l’ensemble du bidonville. Puis la démocratisation de l'automobile entraîne la construction du périphérique, qui matérialise la séparation entre Paris et sa banlieue.

Jürg Kreienbühl (1932-2007), artiste suisse, le peintre oublié des Trente Glorieuses, a représenté pendant plus de vingt ans les faubourgs de Paris, les bidonvilles où survit une population oubliée. Son tableau "La Zone", peint en 1972, juste avant son remplacement par le "périph’", est un bel hommage à cet endroit disparu. Son œuvre, intense et mélancolique, est enfin reconnue.

De nombreuses photos existent, comme cette vue de la Zone entre les portes de Saint-Ouen et de Clignancourt (Paris 18e), réalisée en 1929.

Le Musée Carnavalet est le musée de l’Histoire de la ville de Paris. De nombreux tableaux et photos autour de la Zone y sont visibles. Ne manquez pas l’exposition gratuite "Paris !", exposition ludique et immersive visible à l’Hôtel de Ville de Paris.

Les tableaux mentionnés dans cet article sont dans les collections :

Pour Fernand Pelez

"Sans Asile" (1883) : Musée du Petit-Palais, Paris, France
"Le petit marchand de violettes" (1885) : Musée du Petit-Palais, Paris, France
"Gamin des rues" (1880) : Musée des Beaux-Arts, Montréal, Canada

Pour Edouard Manet

"Le Buveur d'absinthe" (1859) : Glyptothèque Ny Carlsberg, Copenhague, Danemark
"Le Chiffonnier" (1869) : Norton Simon Museum, Pasadena, Etats-Unis

Pour Jean-François Raffaëlli

"Chiffonniers parisiens" (1890) : Brooklyn Museum, New York, Etats-Unis

Pour Jürg Kreienbühl

"La Zone" (1972) : collection particulière


En 1972, Georges Brassens, dans sa chanson "La Princesse et le Croque-notes", évoque la Zone des années 40, à son arrivée à Paris. 
"Jadis, au lieu du jardin que voici,
C'était la Zone et tout ce qui s'ensuit :
Des masures, des taudis insolites,
Des ruines pas romaines pour un sou."


Bonnes balades dans Paris !

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