Les asperges de Manet
Nous en avons déjà parlé sur ce blog : le peintre Edouard Manet, célèbre pour son Olympia ou son Déjeuner sur l'herbe, aimait parsemer ses œuvres de petites natures mortes . Un genre auquel il s'est également adonné de façon plus classique – c'est-à-dire en mettant les objets au cœur du propos - et toujours avec brio.

C'est au cours du XVIIe siècle, en Hollande, que la nature morte "gastronomique" trouve ses lettres de noblesse. On y découvre généralement une table sur laquelle sont disposés des tissus, des mets et de la vaisselle luxueuxse, avec parfois un couteau ou un élément  en équilibre précaire au bord de la table, qui semble s'avancer vers nous, pour plus de réalisme.  

L'abondance des poissons, les fruits de mer, les fromages et les fleurs dans ces représentations témoignent de la culture locale, tandis que d'autres aliments évoquent plutôt l'exotisme. C'est le cas par exemple des agrumes, souvent à moitié pelés pour créer du relief et plus de vraisemblance, et encore une fois prouver la virtuosité du peintre. Les bottes d'asperges sont un autre classique du genre : abondantes en Hollande, leurs couleurs subtiles et leurs variations de formes offrent bon nombre de défis au pinceau des artistes. Peindre ces objets, pour l'artiste, c'est l'occasion de démontrer toute sa maestria technique en reproduisant des textures complexes,  pour un effet "plus vrai que nature". Ils jouent sur la transparence des verres, les reflets dans les ustensiles en métal, l'aspect appétissant et frais des aliments…

Avec ses propres natures mortes, deux siècles plus tard, Manet s'inscrit dans le droit fil de cette école. En 1880, le richissime banquier Ephrussi, collectionneur d'art, lui commande une "botte d'asperges". Ce légume printanier est  alors un mets de choix – c'est toujours le cas aujourd'hui – et même si la petite asperge verte est connue depuis longtemps en France, les variétés à la mode depuis le début du 18e siècle, blanches, tendres et  charnues, viennent plutôt…de Hollande.

Vers 1750, les maraîchers d’Argenteuil (dans le Val d’Oise) se spécialisent dans la production de l’asperge et sélectionnent une nouvelle variété, dite ‘Asperge d’Argenteuil’, blanches et nacrées, à la pointe violette. On l'obtient en laissant le bout de l'asperge légèrement exposé à la lumière, un peu comme si elle avait pris un coup de soleil.

Cette asperge d'Argenteuil est à l’origine de la plupart des variétés actuelles, et c'est celle que Manet décide de peindre pour son commanditaire : posées délicatement sur un lit de feuilles vertes, toutes les nuances des asperges apparaissent, sublimées par sa touche franche. Pour cette peinture, le prix fixé Ephrussi était de 800 francs mais l'artiste en reçoit 1000. Manet décide alors, non sans humour, de peindre une asperge supplémentaire, toute seule, sur un petit format, et l'envoie à Ephrussi avec un message : "Il manquait une asperge à votre botte! "     

Mes Sorties Culture / Sonia Zannad

szannad@messortiesculture.com
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