La culture, un chemin au travers de l’incohésion sociale
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Mes Sorties Culture : Depuis 2009, vous organisez sous le nom de Carrousel des parcours artistiques et des visites guidées dans les musées, les galeries, les collections privées et les ateliers d'artiste avec les particuliers et les comités d’entreprise. D’où vous est venue cette idée ?  

Corinne Cossé-Le Grand :
Cette idée m’est venue par la curiosité des jeunes enfants observée à l’Ecole Primaire où j’intervenais. J’ai développé avec eux au sein des musées et des expositions les notions aussi essentielles que l’espace et le temps. Souvent attentifs au monde des sens j’ai vu les enfants aller vers leurs émotions pour questionner l’œuvre d’art. J’ai voulu alors redéployer cette expérience avec les adultes en donnant le goût de découvrir sans précipitation et laisser la marche intime du temps.  

MSC : Pour vous, il y a dans la culture une dimension sociale ?
 

C.C.L.G 
: A vivre son temps, à l’écoute de ceux des autres, se manifeste souvent une incohésion sociale et cette perception est souvent le premier geste pour recoudre ce qui ne devrait pas être séparé. C’est la vertu des groupes de se rassembler autour d’une œuvre, d’un artiste, d’une exposition et la dimension sociale est très active. La visite d’une exposition pose souvent des questions de sélection, d’appréhension de se retrouver seul face à une œuvre dans un musée et de formuler l’effet sur son regard. Mes propositions diluent une part de ces réticences pour faire légèrement société.  

MSC : Vous associez aussi votre démarche à un questionnement spirituel ?
 

C.C.L.G 
: Oui, j’ai été profondément marquée par André Malraux et ses intuitions laïques de la spiritualité dans l’art. Une conférencière n’a pas forcément à être bavarde et saturer le temps de passage au travers d’une exposition. Les silences, les marches et pauses solitaires sont autant d’accès que j’aime offrir dans une démarche de groupe.  

MSC : Quel est votre « coup de cœur » du moment en termes d’exposition?
 

C.C.L.G 
: Eli Lotar, photographe: je connaissais le travail de celle qui a partagé sa vie pendant deux ans, Germaine Krull, mais moins son travail à lui. Pour préparer la visite de l’exposition qui a lieu en ce moment au Jeu de Paume, je me suis donc plongée dans son histoire. Or, Lotar a été en lien permanent avec toute une constellation d’artistes différents et a été impliqué dans le cinéma. Il s’est servi du cinéma pour faire connaître l’art. J’aime la façon dont se dessine la modernité à travers son œuvre, cette façon de mêler les arts vivants entre eux. Il a rencontré Luis Bunuel, mais aussi réalisé un documentaire à Aubervilliers avec Jacques Prévert. C’était un poète photographe, qui mettait en mouvement par sa photo les images et les hommes, qui jouait avec l’art. L’homme était aussi très engagé au sens humaniste.      

MSC : Et vos artistes conceptuels contemporains préférés ?
 

C.C.L.G 
: L’art conceptuel a fait partie de mes premières découvertes et a façonné mon regard sur les expériences nouvelles et les questions des artistes à la suite de Marcel Duchamp sur « ce qui permet à l’art d’être art ». « L'art conceptuel, en clair, a pour principe de base l'idée que l'artiste travaille sur le sens, et non sur les formes, les couleurs ou les matériaux." Aujourd’hui, je suis attirée par des artistes dont la primauté n’est pas seulement le concept ou l’idée mais la constellation de leurs possibles réponses. Jean-Michel Alberola est tout autant cinéaste, peintre, sculpteur, fabricant de livres et d’objets. Son processus créatif est de lier à la peinture, l’écriture et la parole. Je peux vous parler également de Laurent Derobert qui a inventé les « mathématiques existentielles », et mêle sa réflexion de Docteur en sciences économiques et chercheur à sa démarche artistique en allant rejoindre les pas de la danseuse étoile Marie Agnès Gilot, les dédales poétiques de l’écrivain Pascal Quignard,  la plume d’une écrivain, autiste dans la participation du film de Julie Bertucelli. Romain Gandolphe a découvert l’histoire de l’art aux Beaux-Arts, grâce à la parole des autres. Parions que cet ordre initial du récit a marqué sa pratique.  Il a démarré des performances : s’enfermer dans une cimaise pendant une semaine ; demander à des gardiens d’exposition de préserver des œuvres invisibles ; partir en Californie à la recherche de l’endroit exact d’une performance historique des années 1960. Il a commencé à raconter ses actions et à performer progressivement son récit lui-même. L’oralité est ainsi devenue, presque naturellement, la forme principale de son travail, prenant la tournure d’expositions racontées ou de récits d’œuvres oubliées.   Ce qui me plaît, je crois, c’est d’explorer ces constellations, cette imbrication des mondes scientifiques et artistiques ; et de partager leurs intuitions auprès de ceux qui me suivent.      

Diplômée de l'Institut des Carrières Artistiques (ICART) après un mémoire sur l'Art Conceptuel, Corinne Cossé-Le Grand a rejoint l'École du Louvre, puis travaillé deux années pour la revue Art Press, en contact avec des artistes contemporains.
Par la suite, elle a complété sa formation artistique à l'Institut des Arts Sacrés (IAS), en rédigeant un mémoire sur Pierre Buraglio grâce à de nombreux échanges avec le peintre, des artistes d'aujourd'hui et le monde académique. Avec un diplôme d'institutrice de l'enseignement primaire, elle a conçu des modules d'Art pour les Ecoles de Paris et de la Région Parisienne, en développant une approche interactive à l'enseignement de l'art. Elle a par ailleurs travaillé au sein d'une équipe réunissant un photographe, un dessinateur BD et des ingénieurs de la Fédération Nationale du Bâtiment.

Propos recueillis par Sonia Zannad / Mes sorties culture

Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com

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