Gratte-moi la tête
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La théorie des cinq sens remonte au savant grec Aristote pour qui un sens est relié à un organe sensoriel. Il en compte cinq : les yeux, les oreilles, le nez, la langue et la peau, ce qui donne cinq sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. Sujet récurrent de la peinture européenne, à toutes les époques, leur représentation sous forme d'allégorie est un thème apprécié des artistes du 17e siècle, en particulier parmi les peintres flamands.

Cette "Allégorie des cinq sens" du peintre baroque flamand Theodoor Rombouts (1597-1637) en est un exemple très représentatif. Dans le groupe d’hommes figurant dans ce tableau, chaque personne fait référence à un sens. Les voici de gauche à droite. Le vieil homme à lunettes et au miroir, à gauche, représente la vue. L’ouïe est symbolisée par le musicien. L’aveugle au centre, vêtu de bleu, est le toucher. L’homme rieur tenant un verre de vin représente le goût. Et bien sûr, tout à droite, le jeune homme élégant fumant la pipe (et tenant de l’ail) représente l’odorat.

Similaire à la précédente, les hommes étant remplacés par des femmes et des enfants, le peintre flamand Gérard de Lairesse (1641-1711) peint cette "Allégorie des cinq sens". La vue est le garçon allongé à côté du miroir convexe, l'ouïe est celui en forme de Cupidon avec un triangle, l'odorat est représenté par la fille vêtue de blanc avec des fleurs, le goût est représenté par la femme avec le fruit et le toucher est représenté par la femme tenant l'oiseau.

Le peintre flamand Jan Miense Molenaer (1609-1668) les représente avec beaucoup d’humour. Peignant principalement des personnages et des scènes de genre, il choisit de représenter, pour les cinq sens, le quotidien des petites gens, ce que ses acheteurs trouvent particulièrement réjouissant.
Pour "la vue", deux personnes, à la faible lumière d’une lampe à huile, essaient de regarder à l’intérieur d’une cruche. Recherche de la dernière goutte ? Des ivrognes chantant représentent "l’ouïe". Pour le "goût", ce sont une cruche de bière bue avidement, du tabac ainsi qu’une pipe.
Les fesses sales d’un enfant nous rappellent gentiment qu’il est temps de changer la couche du bébé et que nous avons un "odorat". Notez que monsieur se bouche le nez, une bouteille à la main, et laisse madame s’en occuper... 
Quant au "toucher", c’est une querelle de couple : madame, à la suite de l’affaire de la couche, et peut-être d’une histoire d’ivrognerie, prend sa revanche ! Monsieur reçoit une raclée au moyen d’une godasse. Le copain de beuverie se marre doucement...

Avec la même facétie, José de Ribera (1591-1652), peintre espagnol, les représente aussi avec un tableau par sens. Pour son allégorie de "l’odorat", par goût du grotesque et de la provocation, il choisit, plutôt qu’une jeune fille légère et fleurie, de représenter un homme du peuple en haillons, lourd, à la barbe hirsute et au visage marqué, tenant entre ses mains... un oignon. Sur la table trône une gousse d’ail, ultime pied de nez aux nez délicats. Bonjour l’haleine !

N’hésitez pas à aller contempler ce tableau (sans les odeurs) à l’exposition que le Petit Palais consacre à José de Ribera, jusqu’au 23 février 2025. Des visites guidées vous y sont proposées.

Ce n'est qu'au tournant du 21e siècle que l’œuvre de Michaelina Wautier (1604–1689), peintre flamande, est reconnue, ses œuvres ayant été jusqu'alors attribuées à des artistes… masculins. "Les Cinq Sens" est une série de cinq allégories, chacune étant personnifiée par un jeune garçon.
Pour "l’odorat", un jeune garçon blond se pince le nez à cause de l'odeur nauséabonde d'un œuf pourri qu'il tient dans sa main gauche. Un léger froncement de sourcils apparaît sur son visage alors qu'il nous regarde avec ses yeux sombres.
Pour le "toucher", le jeune garçon porte une chemise blanche sous une veste noire. Il s’est coupé le doigt. Avec sa main droite, les doigts recourbés, il se gratte consciencieusement la tête. On ne peut que deviner ce qui s’y trouve... L'expression écrite sur tout son visage et son nez froissé ne vous donnent-elle pas envie de vous gratter aussi la tête ?

Ce n’est pas un article, mais un livre entier qui peut être écrit sur la représentation des cinq sens dans l’art, les plus grands artistes les ayant représentés !

Liste des œuvres citées par ordre d’apparition :

1 – "Allégorie des cinq sens", vers 1632, Theodoor Rombouts (1597-1637), Musée des Beaux-Arts, Gand

2 – "Allégorie des cinq sens", 1668, Gérard de Lairesse (1641-1711), Galerie d'art et musée Kelvingrove, Glasgow

3 – "Les cinq sens – la vue", 1637, Jan Miense Molenaer (1609-1668), Mauritshuis, La Hague

4 – "Les cinq sens – l’ouïe", 1637, Jan Miense Molenaer (1609-1668), Mauritshuis, La Hague

5 – "Les cinq sens – le goût", 1637, Jan Miense Molenaer (1609-1668), Mauritshuis, La Hague

6 – "Les cinq sens – l’odorat", 1637, Jan Miense Molenaer (1609-1668), Mauritshuis, La Hague

7 – "Les cinq sens – le toucher", 1637, Jan Miense Molenaer (1609-1668), Mauritshuis, La Hague

8 – "Allégorie de l’odeur", entre 1615 et 1616, José de Ribera (1591-1652), Collection privée

9 – "Les cinq sens – l’odorat", 1650, Michaelina Wautier (1604–1689), Museum of Fine Arts, Boston, Massachusetts

10 – "Les cinq sens – le toucher", 1650, Michaelina Wautier (1604–1689), Museum of Fine Arts, Boston, Massachusetts


Quelques livres pour flatter... vos cinq sens :

C’est le plus grand critique culinaire du monde, le Pape de la gastronomie, le Messie des agapes somptueuses. Demain, il va mourir. Il le sait. Dans Une gourmandise, Muriel Barbery nous emmène dans le passé d’un gastronome cherchant à retrouver la saveur oubliée "qui lui trotte dans le cœur" depuis l'enfance ou l'adolescence

Un homme devient soudainement aveugle. Dans Un aveuglement écrit par le portugais José Saramago, c'est le début d'une épidémie qui se propage à une vitesse fulgurante à travers tout le pays. Mis en quarantaine, privés de tout repère, les hordes d'aveugles tentent de survivre à n'importe quel prix. Seule une femme n'a pas été frappée...

Le livre Le parfum de Patrick Süskind est incontournable. Au 18e siècle, en France, Jean-Baptiste Grenouille survot, malgré une naissance et une enfance épouvantables. Il n’a besoin que d'un minimum de nourriture et de vêtements, et son âme n'a besoin de rien. Il a un don : un nez unique au monde...

Onze grands noms du thriller français nous font toucher le noir, jusqu’au creux de l’âme... Dans Toucher le noir, ces maîtres incontestés du frisson entraînent dans une exploration sensorielle inédite autour du toucher. Avec eux, vous plongerez dans les plus sombres abysses, effleurerez la grâce et l’enfer d’un même geste, tutoierez l’horreur du bout des doigts… Oserez-vous frôler le noir d’aussi près  ?

Ce livre extraordinaire, Sourde, muette, aveugle, paru en 1903, raconte l'histoire vraie d'une petite fille, Helen Keller, qu'une maladie a rendue, à deux ans, sourde, aveugle et quasi muette. À force de volonté et de détermination, mais aussi grâce à l'amour et à l'intelligence de son éducatrice, Anne Sullivan, elle devient la première personne handicapée à obtenir un diplôme universitaire.


Le titre de cet article rend hommage à cette jolie chanson de Claude Nougaro.


Joyeux Ribera !



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