Eduardo et Jean, victime des dictatures
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Eduardo Arroyo (1937-2018) est un peintre et écrivain espagnol faisant partie des artistes engagés dont les œuvres critiquent l'Espagne de Franco. Opposé au franquisme, il s’exile à Paris en 1958, où il vit de son art. Sa peinture est politique et ses tableaux traitent généralement d’exil, de dictatures et particulièrement des dérives du régime franquiste.

Le polyptyque "Les quatre dictateurs", peint en 1963, est visible au Musée Reina Sofía de Madrid. Il réunit en images parallèles les quatre dictateurs européens à l’origine des régimes totalitaires nés entre les deux guerres mondiales : Franco (en Espagne), Salazar (qui impose un régime dictatorial qui dirige le Portugal de 1933 à 1974), Hitler (en Allemagne) et Mussolini (en Italie).
Certains n’ont pas survécu à la Seconde Guerre Mondiale (Hitler et Mussolini), mais le régime de Franco a duré jusqu’à sa mort, en 1975, et Salazar est mort en 1970. Sous couvert de neutralité pour certains, ces quatre dictateurs se sont bel et bien entraidés, notamment pendant la Guerre d’Espagne et la Seconde Guerre Mondiale.

Le fond de chaque toile rappelle les drapeaux en cours pendant les dictatures. Les quatre personnages sont couverts de viscères, d’os et de muscles. Ils sont ornés d'éléments liés à l'iconographie dictatoriale (croix nazi, armes, bombardier, cartouches de balle de fusil) ou vestimentaires (veste et cravate noires) ou encore avec des détails faisant référence à des événements historiques (barbelés pour rappeler l’horreur des camps d’enfermement ou d’extermination, manifestants à l'image de Franco pour dénoncer la répression brutale).

Présenté à l'Exposition de la IIIe Biennale d'Art Moderne de Paris de 1963, l'une des expositions d'art contemporain les plus importantes de l'époque, ce tableau provoque un véritable scandale en Espagne. Au moyen de ce tableau, véritable dénonciation politique, Eduardo Arroyo fustige les dictatures et adresse un message négatif aux puissances occidentales qui, pendant la guerre froide, reconnaissent le régime franquiste, le prenant comme allié face à l’URSS.

Jean Hélion (1904-1987) est l'un des pionniers de l’abstraction qu’il introduit en Amérique dans les années 1930. En 1939, il vit aux Etats-Unis où sa notoriété croît.

Le 3 septembre, c’est la guerre. Au lieu d’esquiver la mobilisation, il rentre en France s’engager. Le 19 juin 1940, alors que l’armistice est sur le point d’être signé, il est fait prisonnier, et envoyé dans le stalag de Hammerstein, matricule 3840, en Poméranie (actuellement en Pologne). Il y ramasse des pommes de terre, dans le froid, la faim, la fatigue, les sévices... Puis il est transféré sur un cargo-prison, dans l’Est de l’Allemagne.
Après 5 tentatives manquées en 6 mois, il s’évade en février 1942, traverse en train Allemagne et Belgique et atteint Paris, où il est aidé par une amie. Puis il franchit clandestinement la ligne de démarcation, rejoint Marseille et réussit à s’embarquer pour les Etats-Unis. Arrivé là-bas, il publie le récit de son évasion en 1943, véritable best-seller, sous le titre "They Shall Not Have Me".

De retour à Paris en 1946, contrairement au courant abstrait qui a encore le vent en poupe à  l’époque, il réinvente la figuration, peinant alors à trouver sa place sur la scène parisienne.
Dans les années 60, il se lie d’amitié avec Eduardo Arroyo, acteur en vogue de la peinture figurative, qui salue son œuvre. En 1974, celui-ci peint le diptyque "Jean Hélion évadé, en route de Poméranie vers Paris", tableau visible au Centre Pompidou à Paris, en l’honneur de son ami, pour célébrer son courage, tant pendant la guerre, que sur le plan pictural.

Eduardo Arroyo et de Jean Hélion, tous deux victimes du fascisme, représentants de la figuration narrative au 20e siècle, connaissent le succès. Leurs tableaux sont visibles dans de nombreux musées dans le monde, comme au Centre Pompidou, à Paris. Jean Hélion est actuellement à l’affiche, et jusqu’au 18 août 2024, au Musée d’Art Moderne de Paris avec une exposition nommée "Jean Hélion - La prose du monde".


Quelques livres en lien avec ces deux artistes :

À l'occasion de l'exposition Eduardo Arroyo - Dans le respect des traditions, en 2017 à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, nom choisi par l'artiste lui-même, ce livre présente un grand nombre de peintures, dessins, sculptures, photographies d'archives et un choix des écrits du peintre, introuvables ou inédits.

Pour cette autobiographie nommée Dix bibelots africains, parsemée de dessins de l'auteur, Eduardo Arroyo suit le fil de la mélancolie pour nous mener dans un parcours sinueux, jouant avec les souvenirs et construisant en filigrane le portrait d'un artiste singulier.

Apôtre de l’art abstrait, puis peintre figuratif, à rebours du courant dominant et des batailles idéologiques, Jean Hélion ne suit qu’une ligne, la sienne. Le catalogue Jean Hélion - La prose du monde, récit de ce parcours singulier, reprend les explications et œuvres présentées dans l'exposition.

Le best-seller de Jean Hélion, récit de sa capture et de son évasion, They Shall Not Have Me, existe en anglais.

On peut aussi le trouver sous le titre Ils ne m'auront pas ; capture, travail forcé, évasion d'un prisonnier français durant la Seconde Guerre mondiale (juin 1940-février 1942), en français.


En 2010, Eduardo Arroyo se confiait au journal Le Nouvel Obs sur son amitié avec Jean Hélion : "Le peintre Jean Hélion me disait à l'époque : "Eduardo, c'est drôle, moi je peins ce que j'aime et toi tu peins ce que tu détestes." Il avait bien vu."

Votre rédacteur vous laisse comparer...



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