D'où l'on apprend le ballet des dindons
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Dans leurs bagages, bien chargés ma foi, les conquistadors espagnols ont ramené moult richesse, mais aussi de forts bons mets, utilisés couramment de nos jours, comme le maïs, les tomates, les pommes de terre, les poivrons, le chocolat et… la dinde.

Ah, toutes ces bien braves dindes en train de compter leurs derniers jours ! Ayons une pensée émues pour elles… En effet, à Noël, foin de légères salades garnies de tomates, de poivrons et de maïs. Mais plutôt, dans de nombreux pays européens, de la bonne dinde farcie, accompagnée de pommes de terre, sans oublier les indispensables chocolats.

A l'époque précolombienne, le dindon sauvage est le seul volatile domestiqué pour être mangé. Au Mexique, il tient encore une place importante dans la gastronomie. Les premiers colons espagnols au Nouveau-Monde l’appellent "poule d'Inde". Ramenée au 16e siècle en Europe, sa consommation s’y répand assez rapidement, la dinde étant d’aspect et de goût similaires aux volailles européennes de basse-cour.
De l’Espagne à la Navarre, il n’y a qu’un pas. C’est vraisemblablement par-là que sa consommation s’est répandue en France, puis ensuite dans le reste de l’Europe. Il est rapporté que la dinde était de la partie, à la Cour de France, en 1549 lors d'un banquet donné en l'honneur de Catherine de Médicis, et en 1570 aux noces du roi Charles IX.

Mais savez-vous qu’on a essayé de faire "danser" ces pauvres bêtes ? Du 18e siècle à 1850, de sanglants combats d'animaux, interdits par une ordonnance du préfet de police vers 1850, attirent une foule considérable. Les dindons n’y coupent pas. Ils font l’objet d’un "divertissement" forain appelé "le ballet des dindons". On place quelques-unes de ces volailles sur une tôle surélevée et clôturée, formant une scène, le public tout autour. Puis on chauffe ce plancher métallique par en dessous. Et on rajoute la musique. La chaleur se faisant sentir dans leurs pa-pattes, les dindons s'agitent, se mettant à "danser"...

Plusieurs peintres ont fait le thème principal d'un tableau.


Francisco de Goya (1746-1828) est l’un des artistes les plus marquants de l’Espagne moderne. Il développe un art noir et tourmenté, marqué par le grotesque, la violence et la folie. Son œuvre reflète les caprices de l’Histoire, surtout les soulèvements suite à l’invasion de l’Espagne par les troupes de Napoléon, et les massacres qui ont suivi, notamment dans son célèbre tableau "Tres de Mayo".

La nature morte n’est pas son sujet de prédilection. A l’image du célèbre "Bœuf écorché" de Rembrandt, visible au Louvre, sa "Nature morte à la tête de mouton" (tableau n°1 ci-dessus), elle aussi visible au Louvre, nous présente, façon boucherie, une tête de mouton coupée sur un billot. De la graisse et du sang. Mais la boucherie n’est peut-être pas là où on pense… Il réalise cette toile entre 1808 et 1812, pendant les brutales guerres napoléoniennes.
A cette époque, Goya reçoit peu de commandes. Il en profite pour explorer ce nouveau genre. Poissons, canard, lièvre, dindon et dinde, mouton… tout y passe. Son tableau "La Dinde plumée", visible à la Neue Pinakothek de Munich (Allemagne), représente, brutalement et sans idéalisation, une dinde morte et plumée. Sa "Nature morte à la dinde" nous agresse avec son réalisme tranchant et dramatique.
Ses dindes sont inertes, les yeux du mouton sont vitreux, la chair n’est pas fraîche, il ne fait pas de concession à la vie.

Sa maison, La Quinta del Sordo, littéralement la Maison du Sourd, est exceptionnelle à visiter.


Chaïm Soutine (1893-1943) est un peintre juif russe, sorti du ghetto pour la bohème et les ateliers d’artistes parisiens, participant à L’École de Paris. D’un expressionnisme brutal, sa peinture est celle d’un homme angoissé, en souffrance. Ses natures mortes privilégient les animaux tués ou encore les carcasses écorchées voire en décomposition. On parle souvent de lui comme d’un peintre maudit.

La "Nature morte à la dinde" (tableau n°2 ci-dessus) de Chaïm Soutine ne fait guère envie. Son œuvre date de l’époque post Première Guerre mondiale. Ainsi, ce bout de viande, cette chair fraiche dont on aperçoit les entrailles prend tout son sens face aux horreurs de la guerre. en fait le thème de multiples tableaux, comme dans "La table", visible à l’Orangerie ou "Le dindon", lui aussi visible à l’Orangerie. Ou mieux, le "Bœuf écorché", visible au Musée de Grenoble.


On ne présente plus Claude Monet (1840-1926), l’un des fondateurs de l'impressionnisme.

Le tableau n°3 ci-dessus, Les Dindons, est peint depuis le bas du parc du château de Rottembourg, à Montgeron. Il s’agit de la propriété d'Ernest Hoschédé, ami de Monet, négociant mais aussi critique et collectionneur d'art. On peut voir la vaste pelouse du parc, animée par quelques dindons bien vivants, ici pas de chair en décomposition. Des bois ferment une partie de la toile, ainsi que, au fond, la façade du château.
En 1876, Ernest Hoschedé charge Monet de peindre des panneaux pour son salon au château. Seront peintes à cette occasion plusieurs toiles dont, entre autres, "Les Dindons" , "Étang à Montgeron" et "Coin de jardin à Montgeron". Ces beaux dindons ne porteront pas chance à Ernest Hoschedé. En effet, Monet en profite pour rendre son ami cocu, puisqu’il entame une liaison avec Alice Hoschedé... Mais là ce n’est plus une histoire de dinde.


Tableaux affichés :
1 – Nature morte à la dinde, Francisco de Goya, 1812, Musée du Prado, Madrid (Espagne)
2 – Nature morte à la dinde, Chaïm Soutine, 1926, Musée d'art moderne de Troyes, Troyes (France)
3 – Les dindons, Claude Monet, 1877, Musée d'Orsay, Paris (France)  


Demandez que Noël vous amène un peu de lecture :  

Une biographie de Goya écrite par Michel del Castillo, Goya - L'énergie du néant. De sa naissance en 1746, en Aragon, jusqu’à sa mort en 1828, à Bordeaux, ce livre raconte les quatre-vingt-deux années de la vie d’un des plus grands peintres de notre temps.  

Et un très beau cadeau, Goya. Du ciel à l'enfer en passant par le monde de Werner Hofmann. Dans ce volume abondamment illustré, Werner Hofmann nous offre un vaste panorama de l’œuvre peint et gravé de Francisco Goya, introduisant le lecteur à la compréhension d’un univers visuel d’exception qui, dans son ambiguïté foncière et ses insondables énigmes, tient encore lieu aujourd’hui de métaphore du "monde comme asile de fous".

Un roman, Le Dernier voyage de Soutine de Ralph Dutli. Chaïm Soutine est en train de mourir et se rappelle sa vie bien chargée, au parcours tortueux. A demi fictif, à demi historique, le roman relate ainsi les divers épisodes de la vie de Soutine.

Une bande dessinée, L'écolier en bleu - Chaïm Soutine (1941-1943) nous fait découvrir avec brio un pan de la personnalité chaotique du peintre Chaïm Soutine. En 1941, en France, alors que se multiplient les rafles antijuives en France, l’amitié entre le peintre et un enfant, ce dernier étant le sujet de sa toile "L'Écolier en Bleu".

Beaucoup de livres existent sur Monet. Le petit roman Deux remords de Claude Monet de Michel Bernard vaut le coup d’être lu. Sans oublier le roman policier Nymphéas noirs de Michel Bussi.

Sans oublier "Le Dindon" de Georges Feydau qui illustre si bien l’expression "être le dindon de la farce". En livre ou en DVD, c’est un classique indémodable.


Mais bon, Noël c’est fête, ne vous contentez pas d’un peu de salade verte, avec tomates, poivrons et maïs, sans viande... Attendez la fin des agapes pour chanter "Papa Mambo" de Alain Souchon.


Je vous souhaite de Joyeuses Fêtes !

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