Départ des poilus, retour des gazés
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Sa fréquentation annuelle est de plus de 41 millions de voyageurs. Tous les jours, s’y déversent ceux qui, tous les matins, déjà fatigués, vont au travail et le soir rentrent chez eux, harassés. Les joyeux vacanciers, et les retours de congés. Sont devenus invisibles ceux qui, des années avant, sont partis, la fleur au fusil...


Tout d’abord, ceux qui partent...

La famille Herter, famille américaine bourgeoise, est spécialisée dans le design d'intérieur et l'ameublement. Albert Herter (1871-1950) étudie à New York avant d'aller se perfectionner à Paris, où il rencontre son épouse, également étudiante en peinture. Richissimes, ils concilient voyages et peinture.

Il est l'auteur d'une œuvre monumentale de 12m sur 5m, "Le Départ des poilus, août 1914", suspendue depuis 1926 dans la Gare de l'Est. Le peintre y représente le départ pour le front des soldats français mobilisés en 1914.

En 1918, leur fils Everit Herter, artiste lui-même, engagé volontaire au sein d’une section camouflage des troupes américaines, est tué près de Château-Thierry. Il a 23 ans, est marié et père de deux enfants. Sa tombe se trouve au cimetière américain d'Aisne-Marne. Albert peint ce tableau en hommage à son fils. Il y glisse le portrait de son fils (le jeune homme joyeux, au centre, bras levés, la fleur au bout du fusil), le portrait de sa femme Adèle (tout à gauche, toute en blanc, mains jointes) ainsi que lui-même (tout à droite, tenant un bouquet de fleurs, la main sur le cœur, comme incliné sur la tombe de son fils).

Toutes les générations sont représentées. Les soldats sont nombreux à saluer leurs proches, les couples se séparent, des parents saluent leurs fils ou encore des enfants embrassent leur père. La scène n’est pas fidèle à l’Histoire : en effet, en 1914, lors du départ des soldats, les familles n’ont pas accès aux quais et chacun part dans ses habits de tous les jours, les uniformes n’étant pas encore distribués. Cette fresque est révélatrice du caractère ambivalent de l’opinion lors de la mobilisation, moins enthousiaste et plus réservée que l’image courante de soldats heureux de partir se battre.

Albert Herter fait don de ce tableau à la France en 1926. Il est inauguré en présence du Maréchal Joffre, du Ministre de la Guerre Paul Painlevé et de l’ambassadeur américain. Pour cette toile, il reçoit la Légion d’Honneur. Cette fresque sonne pourtant le glas de la peinture d’Histoire, un genre qui disparaît après la 1ère guerre mondiale.


...et ceux qui reviennent et n’en finissent pas de revenir.

Le gaz moutarde, mis au point par le chimiste allemand Fritz Haber en 1915, est utilisé comme arme chimique durant la 1ère guerre mondiale, puis lors de plusieurs conflits coloniaux, et, plus récemment, lors des guerres Iran-Irak et Syrie. Il inflige de graves brûlures (yeux, peau et muqueuses), y compris à travers les vêtements, les bottes et les masques. Pendant la Grande Guerre, il fait environ 20,000 morts (8 millions avec les armes conventionnelles) et 500,000 blessés (23 millions avec les armes conventionnelles). L’effet est moins dévastateur, mais sa portée psychologique est terrible.

John Singer Sargent (1856-1925) est plutôt le peintre de la bonne société anglaise, mais le gouvernement anglais le désigne, ainsi que d’autres, pour représenter des scènes du front à la façon d’un photoreporter.

Nous sommes alors en août 1918, dans la région d’Arras. Sargent est le témoin d’une sinistre procession de soldats rendus aveugles par le gaz, et s’aidant mutuellement pour regagner l’arrière du front. Il peint alors, en mars 1919, la fresque "Gassed" de 6m sur 2m, conservée à l’Imperial War Museum à Londres. La colonne de grands soldats blonds forme presque une procession religieuse. De nombreux autres soldats morts ou blessés se trouvent à terre. Les biplans se battent dans le ciel du soir, alors qu'un soleil aqueux se couche, créant une brume jaune rosée et nimbant les hommes d'une lumière dorée.

Pour l’anecdote, le chimiste, Fritz Haber, issu de la petite bourgeoisie juive prussienne, est un chimiste allemand réputé et ambitieux. Il est considéré comme le "père de l’arme chimique". Peu après la 1ère attaque au gaz en 1915 à Ypres, en Belgique, son épouse, réprouvant cette barbarie, se suicide. Ce qui ne l’empêche pas de continuer ses recherches autour de la guerre chimique. Après la 1ère guerre mondiale, ses recherches permettent la fabrication d’un acide entrant dans la composition du Zyklon B, produit utilisé dans les chambres à gaz des camps d'extermination... Fritz Haber meurt en Suisse en 1934 après avoir dû s'exiler en raison de ses origines juives.


Autour de la première guerre mondiale, de nombreux musées existent. N'hésitez pas à aller au Musée de la Grande Guerre à Meaux. Ou bien en Belgique, à celui qui se trouve à Ypres. Dans la Somme, l'Historial de la Grande Guerre de Péronne est vraiment très intéressant.


Pour aller plus loin :  

Le sacrifice d'une génération entière aurait-il pu être évité ? Comment un conflit aussi cruel et total a-t-il été possible ? Comment les hommes et les femmes ont-ils pu supporter cette horreur pendant quatre longues années ? La série Apocalypse la 1ère Guerre mondiale répond à ces questions fondamentales par une approche stratégique et globale, mais aussi et surtout par un regard intime et sensible, à hauteur d'homme.

Incontournable. Dans Un long dimanche de fiançailles, Sébastien Japrisot nous raconte la quête de Mathilde, fiancée de Manech, condamné à mort pour s'être automutilé. Jeté dans la neige de Picardie, un soir de janvier 1917, devant la tranchée ennemie, pour qu'on le tue. Il n'avait pas vingt ans. Le film tiré du livre est très émouvant.

Pour les amoureux des gares, et de leur poésie, faites le tour de leurs trésors. Vous découvrirez des choses surprenantes, comme à la Gare Montparnasse, par exemple.


La chanson de Craonne est une chanson contestataire, chantée entre 1915 et 1917. Elle est interdite par le commandement militaire en raison de ses paroles défaitistes, antimilitaristes et incitant à la mutinerie.


Bon voyage !


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