Aller au musée, une expérience en pleine (r)évolution
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Il n’est pas rare, en visitant un musée d’art contemporain, de se laisser surprendre par une installation audacieuse ou une performance étonnante. Mais de plus en plus, avec ou sans l’aide de la technologie, les propositions tendent à aller plus loin, transformant en profondeur l’expérience de visite et le souvenir que l’on en garde.  

Prenons quelques exemples : « Contact » d’Olafur Eliasson à la fondation Vuitton (2014), décrite sur le site de la fondation comme « une suite d’événements conduisant à un voyage », l’exposition hors normes de Tino Seghal au Palais de Tokyo (2016) ou encore l’expérience de réalité virtuelle que propose en ce moment Jordan Wolfson au Whitney Museum de New York.      

Dans « Contact », le visiteur était plongé dans différentes ambiances lumineuses, jeux de reflets, d’ombres et de déformation de l’espace.
Dans «  Carte blanche à Tino Seghal », la principale matière de l’ « exposition » résidait dans les interactions avec des comédiens dialoguant avec le visiteur, tout en déambulant à travers les salles vides du musée. Dans l’installation de réalité virtuelle « Real Violence » que présente Jordan Wolfson, les visiteurs sont invités à porter un casque et des écouteurs pour vivre une expérience violente aussi réaliste que choquante.  Ces expositions – même si ce terme semble presque inapproprié pour décrire de telles expériences - changent la donne pour plusieurs raisons : en voici quelques-unes.    

Augmenter la réalité du musée
 

Le musée n’est plus simplement cette « boîte blanche » qui change de contenu au fil des expositions. Ses espaces sont pleinement investis par les artistes, et du même coup par les visiteurs qui sont invités à changer de regard sur l’institution et à changer leurs habitudes de « consommation » culturelle.  A la fondation Vuitton, Eliasson utilisait la lumière pour modeler les espaces, comme pour créer une deuxième réalité, jouant avec notre perception. Au Palais de Tokyo, Tino Seghal dénudait les espaces pour mieux mettre en valeur une expérience humaine, la plus simple qui soit, celle d’une conversation. Au Whitney, enfin, la salle de musée disparaît temporairement au profit de la réalité virtuelle, et deux formes de perception se superposent simultanément : celle du visiteur qui porte un casque et « rentre » ainsi dans l’œuvre, et celle des visiteurs alentour, qui observent la scène : une dizaine de personnes autour d’une table portant un casque de réalité virtuelle, et manifestant des réactions différentes à ce qu’elles voient (grimaces, soupirs, cris, tête qui bouge). Grâce à l’imagination des artistes, le musée dépasse ainsi le cadre physique de ses murs et de ses limites intrinsèques.  

Des visiteurs plus investis 
 

Toutes ces propositions ont en commun une exigence particulière : elles réclament un investissement supplémentaire de la part des visiteurs. Moins passifs, moins anonymes, ils sont invités à s’impliquer physiquement : jeu avec les miroirs et les ombres à la fondation Vuitton, parole au Palais de Tokyo, lâcher-prise au Whitney. Là où l’exposition classique s’adresse avant tout au cerveau (ce qui n’empêche pas les émotions et les ressentis physiques), ces installations-expositions parlent aussi au corps, et font du visiteur un acteur de l’œuvre d’art. Si aucune œuvre d’art n’existe sans regard, celles-ci nécessitent non seulement le regard mais aussi le mouvement, l’acceptation du jeu et d’un certain saut dans l’inconnu. On peut y voir une forme de démocratisation de la culture : nul besoin de connaissances particulières ou même de s’intéresser à l’histoire de l’art pour vivre ces expériences et y trouver du plaisir.  

Des interactions plus nombreuses
 

Qui a dit que la visite d’un musée ou d’une exposition était une expérience solitaire ? Il suffit de jeter un œil sur Instagram pour constater le caractère hautement ludique et viral de l’exposition Eliasson à la fondation Vuitton. Tous ceux qui ont eu la chance d’y participer ont pu constater que les échanges avec les autres visiteurs – regards ou mots échangés - faisaient partie intégrante de l’expérience. Aiguisant notre curiosité par des jeux d’ombre et de reflets, Eliasson sait comment donner envie de jouer avec les autres ou de les observer entrain de jouer. Au Palais de Tokyo, même si vous veniez seul, l’expérience consistait précisément à converser avec différents comédiens qui se relayaient : un enfant, puis un adolescent, un homme d’une quarantaine d’années et enfin un homme plus âgé. Au Whitney, les images d’un passage à tabac, bien qu’en réalité virtuelle, sont particulièrement réalistes : les visiteurs ne peuvent s’empêcher d’interpeller le personnel du musée, ou de se parler après le visionnage. De leur côté, ceux qui ne participent pas (ou ont déjà regardé la séquence) observent ceux qui la « vivent » et commentent les réactions des uns et des autres. Le musée, loin d’un sanctuaire silencieux, devient un lieu vivant, dont les œuvres interpellent et font effet immédiatement dans la «  vraie vie ».  

Ainsi, avec une certaine empathie et une forme de générosité, les artistes du XXIè siècle sont de plus en plus nombreux à proposer au visiteur d’entrer dans la danse, d’intégrer  l’œuvre d’art elle-même. L’expérience peut être troublante, dérangeante, amusante ou rassurante : dans tous les cas, il s’agit de se confronter à l’altérité pour mieux saisir ce qui fait notre humanité.              

Pour découvrir un peu plus Eliasson, cliquez ici

Sonia Zannad / Mes sorties culture

Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com

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