Aristide, Clotilde, Lucien et les autres...
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Toc, toc, toc… Bonjour, ah vous êtes déjà là. Redites-moi votre nom, s’il vous plaît. Lucien ? Lucien comment ? Ah, que Lucien. Bon, bon, on s’en tiendra là. Je vous pensais plus jeune. Bon, bon, Lucien, ma secrétaire m’a dit que vous vouliez me raconter une histoire. Vous permettez que je vous appelle Lucien ? Je constate que vous admirez les tableaux sur mes murs. Connaisseur ? Peintre, ah oui, vous êtes peintre… Bon, bon, je vous écoute, ne soyez pas timide. Difficile de trouver par où commencer ? Ben par le début, très cher, par le début ! Je suis tout ouïe…

Au début il y a le père.
Mon défunt père. Catalan, né en 1861 et décédé en 1944 dans un stupide accident de voiture. Peintre et sculpteur, très célèbre. Ses nus sculptés, simplifiés jusqu’à l’épure, sont révolutionnaires. Sa création a marqué plusieurs générations d’artistes et d’écrivains. Impossible pour moi de me faire un nom dans la peinture, après un géant pareil. Son nom ? Aristide.

Puis la mère, Clotilde Narcis.
En 1896, Aristide et Clotilde, son modèle, s’épousent, trois mois avant ma naissance. Je suis fils unique. Elle est l’une des muses de Aristide, lui apportant les gestes, les positions qui sont les germes de son œuvre créatrice. Les effigies peintes sont peu nombreuses, en revanche son corps est partout… Aristide n’a de cesse de la dessiner pendant une douzaine d’années, entre 1895 et au moins 1907.
Elle pose pour ses premiers grands chefs-d’œuvre, notamment "Méditerranée" qui date de 1905. Lorsque cette statue est exposée au Salon d'automne, elle fait sensation. C'est sa simplicité qui fait sa beauté. Le parti pris de Aristide est à l'opposé de ce qui se pratique alors, à la suite de Rodin. Pas d'émotion exagérée, pas de muscles saillants. Le visage est dépourvu d'expression, et les membres sont bien pleins, la peau très lisse.

Le temps passant, Clotilde pose de moins en moins. Dès 1900, Aristide fait appel à d’autres modèles et prend aussi l’habitude de faire poser… ses domestiques, solution discrète et facile. Clotilde devient jalouse.

Lucile Passavant est une poétesse, sculptrice et graveuse sur bois, née en 1910.
En 1928, elle rencontre Aristide et va travailler dans son atelier. Clotilde se dit que cette adolescente de 18 ans, d'apparence fragile, est un modèle idéal, peu susceptible d'éveiller les sens de son mari, alors âgé de 67 ans. Mais Lucile en devient la maîtresse, et, trois années durant, le modèle : elle est, entre autres, l'une des "Trois Nymphes" dans le jardin des Tuileries à Paris.

Dina Vierny tient une galerie d'art et est l'exécuteur testamentaire de mon père.
Née en 1919 dans le bloc soviétique, elle a six ans quand, avec sa famille, elle vient à Paris. Un ami de son père, en 1934, la présente au sculpteur. Le maître la choisit pour être son unique modèle. Dina a 15 ans, Aristide en a 73 et la considère comme sa fille. Elle lui redonne le goût de faire de grandes sculptures et devient dès lors la figure essentielle de l'œuvre du sculpteur. Elle est son dernier modèle. 
En 1944, à la mort de mon père, j’ai chargé Dina de gérer et valoriser son œuvre. Je dois dire qu’elle s’en est bien sortie. En 1947, elle a ouvert une galerie d’art, promouvant son œuvre auprès des musées du monde entier. Sans elle, Aristide serait peut-être tombé dans l'indifférence générale… Il ne faut pas que j’oublie de lui dire de créer un musée à sa gloire.

Bon, bon, jolie histoire. Le seul Aristide célèbre auquel j’ai été présenté est Aristide Maillol. Il m’avait un peu raconté sa vie. Vous devez être Lucien Maillol, soldat pendant la 1ère guerre mondiale, peintre sans célébrité, écrasé par le talent de votre père… Bon, bon, je suppose que vous étiez à la grande exposition qu'on lui a consacré en 1961 et que nous nous y sommes croisés. Fatigué. Ah oui, l'âge. Oui, oui la sortie est par ici. Content de vous avoir connu. A bientôt…


Depuis "l’Hommage à Maillol" organisé en 1961 pour le centenaire de sa naissance, Aristide Maillol n’a pas bénéficié de véritable monographie dans un musée parisien. Le musée d’Orsay lui consacre enfin une grande rétrospective. 
L’exposition "Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l'harmonie" est au Musée d’Orsay jusqu’au 21 Août 2022. Elle sera ensuite présentée à la Kunsthaus de Zurich du 7 octobre 2022 au 23 janvier 2023, puis à La « Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent » de Roubaix du 18 février au 21 mai 2023.


En l'honneur de l'exposition "Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l'harmonie", la revue Beaux-Arts Magazine a édité un Hors-Série. 

Ainsi que la revue Connaissance des Arts.

Une monographie très complète sur Aristide Maillol qui, d'abord peintre, se tourne vers la tapisserie et les arts décoratifs. Cette première partie de sa carrière est moins connue. Il découvre la sculpture vers 1895 seulement...

Une lecture agréable, un récit autour de la vie de Dina Vierny, égérie de Maillol. Dans, Le secret de Dina, l'égérie de Maillol, Alice Bellony Rewald raconte sa rencontre à Dina Vierny, la célèbre muse du sculpteur catalan. C’est alors une femme de 32 ans, tenant à la fois sa galerie rue Jacob et une petite librairie boulevard Saint-Germain...

La vie de Dina Vierny est très dense. Modèle de Aristide Maillol, résistante pendant la seconde guerre mondiale, découvreuse de talents, elle a côtoyé nombres d'artistes et d'écrivains illustres. Dans Histoire de ma vie racontée à Alain Jaubert, elle se dévoile un peu...


Tableaux affichés :
1 - Lucile Passavant, Femme se coiffant, Aristide Maillol, Collection particulière
2 - Méditerranée, Aristide Maillol, entre 1923 et 1927, Musée d’Orsay, Paris. L'original, en calcaire, se trouve en Suisse. Le musée d'Orsay en conserve une version en marbre qui est une copie faite du vivant de l'artiste
3 - Portrait de Dina, Aristide Maillol, 1940, Musée Maillol, Paris.


On ne peut clore cet article sans un clin d'oeil à Renaud, dont la gonzesse est :
Et puis elle est balancée
un peu comme un Maillol.
Tu sais bien les statues
du jardin des Tuileries
qui, hiver comme été,
exhibent leurs guibolles
et se gèlent le cul,
et le reste aussi.

Bon Maillol !


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