Yves Klein, la vie en bleu
"L'art est partout où l'artiste arrive". Cette phrase du peintre, plasticien et performeur Yves Klein (1928-1962) en dit long sur sa manière de voir le monde et sa capacité à intégrer les éléments, les couleurs, la matière, sa propension à tout transformer en art, ou à montrer que tout est art, si l'on sait où porter le regard.

Celui qui fut un judoka accompli – sa formation première – a apporté une forme de zen à sa peinture : on connaît son amour de l'immatériel, des toiles monochromes, sa recherche du geste minimal. En 1960, il dépose le brevet d'un bleu (IKB, pour International Klein Blue) dont il a trouvé la formule, ce qui relève à la fois du coup de génie marketing, d'une provocation très sixities et d'une forme de poésie  : ce bleu pur et vide qui lui rappelle le ciel de Nice est le sien, c'est sa signature, et la couleur devient en elle-même une œuvre d'art identifiable entre toutes, à tel point que l'on parle depuis de "bleu Klein" à propos de cette teinte vive et électrique. C'est une couleur dans laquelle on peut se perdre, avec laquelle Klein nous invite à nous confondre. Pour lui, le bleu n'est pas une couleur de l'univers matériel, il se rapporte aux éléments abstraits de la nature. Et en effet, quoi de plus abstrait et de plus transcendant que l'immensité d'un ciel bleu?

Pour un judoka, la précision du geste, la beauté du corps en mouvement ont toute leur importance. Quand il lance sa série des "Anthropométries" (anthropo, du grec anthropos : homme, et métrie : mesure), les pinceaux ont disparu, ce sont les corps des femmes (nues) qui deviennent des pinceaux vivants, dirigées par les instructions de l'artiste, au cours d'une performance donnée dans une galerie parisienne, en mars 1960. Enduites de peinture bleue (le Bleu Klein, bien sûr), elles viennent imprimer les toiles au cours d'une performance, recréant à nouveaux frais la relation entre le peintre et ses modèles (souvent un homme peintre, et des femmes modèles) .

Ici, non seulement il n'y a plus d'intermédiaire matériel (le peintre et son pinceau) entre la toile et les modèles, mais les femmes deviennent créatrices à part entière, à la fois au moment de la performance mais aussi en signant de leur propre empreinte corporelle. Même si Klein est à la manœuvre – et prend bien soin, lui, de rester en costume tandis que le corps nu des femmes est exposé au public - la toile garde  la trace d'un événement collectif, et ces femmes bleues et sensuelles dont on devine les bras, les jambes ou les seins deviennent la mesure du monde, selon un vocabulaire tout nouveau.

Certaines toiles ont imprimé des mouvements dynamiques, des chocs (se sont-elles fait…des bleus?), un déploiement de force physique ; d'autres sont plus sereines et semblent figurer des sirènes ondoyant dans des eaux calmes. Mais la plus grande prouesse de Klein reste peut-être d'avoir, à travers ce geste radical et novateur, rejoint les tous débuts de la peinture, la peinture primale, primitive, celle de la trace du corps sur une surface, des empreintes de mains à Lascaux, témoignages humbles et touchants qui traversent le temps, semblant nous dire simplement : "J'étais là, et j'ai vu la beauté du monde".   

Mes Sorties Culture / Sonia Zannad

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