Le
28 June 2024,
Même si vous n'êtes pas familiers du travail de James Whistler, peintre américain contemporain des impressionnistes, vous avez déjà croisé quelque part son Arrangement en gris et noir n°1, dit aussi Portrait de la mère de l'artiste. Car ce tableau compte parmi les icônes de l'histoire de l'art, à la fois par sa singularité, la maîtrise technique qui s'en dégage, et parce qu'il a rencontré l'histoire avec un grand H.
Peint dans son atelier de Londres en 1871, tandis qu'il habitait la ville avec sa mère, c'est un peu par hasard que Whistler en eut l'idée. Le jeune modèle qui devait poser pour lui s'étant désisté, il décide de faire le portrait de sa mère dans un décor très sobre aux tons de gris et de noir. Le personnage principal est assis de profil, la mine sévère, toute de noir vêtue (elle porta longtemps le deuil de son défunt mari).
Son immense robe noire absorbe la lumière. Seuls son visage, ses mains et sa coiffe de dentelle transparente viennent apporter des touches plus claires à l'ensemble. Depuis ses débuts, Whistler s'attache à travailler l'harmonie entre les tons, dans une quête formelle qui ne cessera jamais. Passé maître dans l'art des glacis (technique de la peinture à l'huile consistant à poser, sur une couche déjà sèche une fine couche colorée transparente et lisse), il inspirera de nombreux peintres à son époque et après.
Il fait référence ici, comme souvent, aux estampes japonaises qu'il affectionnait tant, par l'usage des espaces vides mais aussi l'effet décentré avec le personnage à droite. Les motifs floraux sur le rideau ont aussi quelque chose de japonisant, et sont d'ailleurs la seule "fantaisie" de l'image. Pourtant, ce portrait dénote au sein de sa production : plus sobre, plus net, son style semble s'accorder à la personnalité de sa mère.
Car ce qui frappe en premier lieu, c'est l'austérité de la composition mais aussi la raideur de l'expression et de l'attitude d'Anna Whistler. Les portraits montrent habituellement les modèles de face ou de trois quarts. Mais ici, le regard d'Anna Whistler nous échappe totalement. Elle regarde un point hors cadre, nous n'avons pas accès à ses expressions, ni à ses pensées.
D'un autre côté, cette pose hiératique lui confère une certaine solennité : elle en impose. On peut s'amuser du contraste entre cette figure maternelle totalement conforme aux valeurs conservatrices de l'ère victorienne et la personnalité du peintre : dandy exubérant, adepte des bons mots et prompt à intenter des procès, le moins que l'on puisse dire c'est qu'il aimait se faire remarquer… alors qu'on sent a contrario que cette femme a passé sa vie à se conformer.
La toile devient célèbre aux Etats-Unis, dans les années 1930, longtemps après la mort de Whistler, Or l'histoire a retenu cette toile comme un symbole très fort des valeurs familiales et de l'importance de la figure maternelle. Dès 1934, tandis que l'Amérique est plongée dans la Grande Dépression, elle apparaît sur un timbre. En parallèle, une statue qui reproduit cette figure de mère dévouée est érigée en 1937 en Pennsylvanie, afin, je cite, d' "honorer les mères d'hier et d'aujourd'hui".
Le tableau est donc devenu au fil du temps un symbole du dévouement maternel, alors que ce n'était pas du tout l'intention de Whistler. Pour lui, le sujet importait peu. Il recherchait principalement l'harmonie entre les couleurs, au sens musical – d'où les titres donnés à ses œuvres, comme autant de pièces musicales (Harmonie en rose et gris, Symphonie en blanc n*1…). Ce qui le préoccupait, c'est la forme, pas le sens de ce qu'il représentait. Mieux, c'était un défenseur de l'art pour l'art. Et si cette peinture a connu une telle pérennité, c'est aussi parce qu'elle représente un tournant, une préfiguration de l'art abstrait : enlevez le sujet, et vous verrez quasiment une toile à la Mondrian : des lignes, une composition dépouillée sous forme de grille, sans profondeur, et un jeu de correspondances entre des tons de gris et de noir.
Sonia Zannad / Mes Sorties Culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com
Peint dans son atelier de Londres en 1871, tandis qu'il habitait la ville avec sa mère, c'est un peu par hasard que Whistler en eut l'idée. Le jeune modèle qui devait poser pour lui s'étant désisté, il décide de faire le portrait de sa mère dans un décor très sobre aux tons de gris et de noir. Le personnage principal est assis de profil, la mine sévère, toute de noir vêtue (elle porta longtemps le deuil de son défunt mari).
Son immense robe noire absorbe la lumière. Seuls son visage, ses mains et sa coiffe de dentelle transparente viennent apporter des touches plus claires à l'ensemble. Depuis ses débuts, Whistler s'attache à travailler l'harmonie entre les tons, dans une quête formelle qui ne cessera jamais. Passé maître dans l'art des glacis (technique de la peinture à l'huile consistant à poser, sur une couche déjà sèche une fine couche colorée transparente et lisse), il inspirera de nombreux peintres à son époque et après.
Il fait référence ici, comme souvent, aux estampes japonaises qu'il affectionnait tant, par l'usage des espaces vides mais aussi l'effet décentré avec le personnage à droite. Les motifs floraux sur le rideau ont aussi quelque chose de japonisant, et sont d'ailleurs la seule "fantaisie" de l'image. Pourtant, ce portrait dénote au sein de sa production : plus sobre, plus net, son style semble s'accorder à la personnalité de sa mère.
Car ce qui frappe en premier lieu, c'est l'austérité de la composition mais aussi la raideur de l'expression et de l'attitude d'Anna Whistler. Les portraits montrent habituellement les modèles de face ou de trois quarts. Mais ici, le regard d'Anna Whistler nous échappe totalement. Elle regarde un point hors cadre, nous n'avons pas accès à ses expressions, ni à ses pensées.
D'un autre côté, cette pose hiératique lui confère une certaine solennité : elle en impose. On peut s'amuser du contraste entre cette figure maternelle totalement conforme aux valeurs conservatrices de l'ère victorienne et la personnalité du peintre : dandy exubérant, adepte des bons mots et prompt à intenter des procès, le moins que l'on puisse dire c'est qu'il aimait se faire remarquer… alors qu'on sent a contrario que cette femme a passé sa vie à se conformer.
La toile devient célèbre aux Etats-Unis, dans les années 1930, longtemps après la mort de Whistler, Or l'histoire a retenu cette toile comme un symbole très fort des valeurs familiales et de l'importance de la figure maternelle. Dès 1934, tandis que l'Amérique est plongée dans la Grande Dépression, elle apparaît sur un timbre. En parallèle, une statue qui reproduit cette figure de mère dévouée est érigée en 1937 en Pennsylvanie, afin, je cite, d' "honorer les mères d'hier et d'aujourd'hui".
Le tableau est donc devenu au fil du temps un symbole du dévouement maternel, alors que ce n'était pas du tout l'intention de Whistler. Pour lui, le sujet importait peu. Il recherchait principalement l'harmonie entre les couleurs, au sens musical – d'où les titres donnés à ses œuvres, comme autant de pièces musicales (Harmonie en rose et gris, Symphonie en blanc n*1…). Ce qui le préoccupait, c'est la forme, pas le sens de ce qu'il représentait. Mieux, c'était un défenseur de l'art pour l'art. Et si cette peinture a connu une telle pérennité, c'est aussi parce qu'elle représente un tournant, une préfiguration de l'art abstrait : enlevez le sujet, et vous verrez quasiment une toile à la Mondrian : des lignes, une composition dépouillée sous forme de grille, sans profondeur, et un jeu de correspondances entre des tons de gris et de noir.
Sonia Zannad / Mes Sorties Culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com