Voir Biskra et mourir
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Entre 1830 et 1962, le tourisme fait partie du monde colonial. Même s’il n’atteint pas le volume actuel, tout un secteur économique en profite et certaines villes en sont transformées. Des édiles et hommes d’affaires locaux font surgir des stations balnéaires. De plus, les autorités coloniales comprennent assez vite l’intérêt de mettre en avant "l’action positive de la France".

Alger, à la suite des visites de Napoléon III, devient une destination à la mode. Des affiches, comme celles de Édouard Herzig ou Hugo Alesi, commanditées par les compagnies de transport maritime et ferroviaire, en évoquent les splendeurs. L’orientalisme est en vogue, et l’Algérie fait l’objet d’une véritable fascination. Par dizaines, les artistes et écrivains voguent vers cette Méditerranée du Sud, comme ceux du 18e siècle se rendaient en Italie ou en Grèce.

Biskra, à 400km au sud-est d’Alger, aux portes du Sahara, est une destination prisée par la "Jet Set" de l’époque : bourgeois, écrivains, artistes... venant de toute l’Europe. On vient y admirer le désert, l'oasis plantée de centaines de milliers de palmiers, profiter de ses sources chaudes et de son jardin botanique, regarder les danseuses locales qui se produisent dans les cafés maures. Y sont également organisées des courses de chevaux et de chameaux, des fantasias et des parties de chasse.

Mais Biskra est bien plus que ça... Berceau du courant orientaliste en Algérie, muse de tous les arts, elle attire une importante communauté de peintres, photographes, écrivains, musiciens et cinéastes, de l’orientalisme au futurisme.

Henri Matisse y peint son seul tableau peint en Algérie, "Une rue à Biskra", datant de 1906, visible au Statens Museum for Kunst, à Copenhague. Mais la ville lui inspire aussi son "Nu bleu, souvenir de Biskra", datant de 1907, visible au Musée des Beaux-Arts, à Baltimore.

Le couple de peintres Marie Caire Tonoir et Jean Tonoir séjournent durant l'hiver 1899-1900 à Biskra. Marie Tonoir y peint le portrait de plusieurs femmes dont, en 1898, celui intitulé "Femme de Biskra", visible au Musée du Quai Branly, que la poste française reproduit en timbre en 2012.

En 1928, Oscar Kokoschka y peint "l’exode, col de Sfa à Biskra" (collection particulière). Chaque matin, entre le 22 et le 29 février, il se fait conduire au col de Sfa, à environ huit kilomètres au nord de Biskra, à la lisière du désert.

Tous veulent capturer le quotidien des villageois, comme cette tisseuse (visible au Musée d’Orsay) ou ces blanchisseuses arabes (visibles du Quai Branly) représentées par Paul Leroy en 1885, les habitations sahariennes, les caravansérails, comme celui peint par Maurice Denis en 1921 (visible au Musée Maurice Denis) ou encore les paysages incroyables que seul le désert peut offrir.

Le café maure trouve ses origines dans des traditions ottomanes, en tant que lieux de rencontre dans les villages. Il inspire de nombreux peintres. Frederick Arthur Bridgman, en 1884, peint un "café à Biskra" (tableau visible au Smithsonian American Art Museum) et Henri Louis Auguste Clamens, en 1932 (tableau visible au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux) peint un "café maure à Biskra".

Le peintre Etienne Dinet (1861-1929) passe une grande partie de sa vie en Algérie. En 1900, il installe son premier atelier algérien à Biskra, mais y trouvant la présence française trop importante, il part ailleurs. Installé à Bou-Saâda, Étienne Dinet use de son influence pour intervenir en faveur des indigènes, cela auprès des autorités locales et jusqu’au Gouvernement général d’Alger. En 1922, il achète une villa à Alger où il expose régulièrement. Il est enterré à Bou-Saâda. Un musée y est érigé à sa gloire.

Il nous livre, à travers ses toiles, un récit empreint d'un amour profond pour l'Algérie. Ses œuvres, véritables témoignages de sa passion, captivent par leur esthétique lumineuse et leur exubérance joyeuse. La foi musulmane, dans laquelle il se convertit en 1913, prenant le nom de Nasr-Eddine-Dinet, occupe dans l’œuvre du peintre une place très importante comme dans "Le Lendemain du Ramadan" datant de 1895, et visible au Musée d’Orsay. Point culminant de sa vie, il effectue le pèlerinage à La Mecque (Hajj) en 1929.

Une exposition "Étienne Dinet, passions algériennes" lui est consacrée à l'Institut du Monde Arabe.

Entre 1954 et 1962, la guerre d’indépendance, alors qualifiée de simples "événements", donne lieu à une raréfaction des voyageurs... Après le démantèlement de l'Empire colonial français et l'indépendance de l'Algérie, il n'y a plus à proprement parler d'école orientaliste.

De nos jours, loin d’appartenir au passé, Biskra, ville moderne en plein boom économique, rayonne de créations contemporaines nourries de ses souvenirs.


Tableaux :
1 - Le Charmeur de vipères, 1889, Etienne Dinet, Sydney, galerie d'art de Nouvelle-Galles du Sud.
2 - Le repas hospitalier. Scène de vie arabe dans l'oasis de Chetma près de Biskra, 1891, Maurice Bompard, Musée des Beaux-arts, Marseille


Montez dans un bateau vers l'Algérie, prenez un bon livre :

Dans Un hiver sur le Nil, en 1849, une jeune Anglaise et un obscur écrivain français montent à bord du vapeur qui relie Alexandrie au Caire. Ils partagent l'espoir que la découverte de l'Orient viendra dénouer leur conflit intérieur. Huit ans plus tard, l'un et l'autre étonneront le monde : Florence Nightingale, lors de la guerre de Crimée et Gustave Flaubert en publiant Madame Bovary. Anthony Sattin nous fait voyager en Egypte.

Dans Aziyadé suivi de Fantôme d'Orient, nous sommes en 1876. Pierre Loti débarque à Salonique et s'éprend passionnément d'une jeune femme recluse dans un harem. Aziyadé, du nom de la belle odalisque, retrace leur liaison amoureuse secrète, née au milieu des parfums et des mystères de l'Orient. Mais rappelé au pays, le jeune lieutenant est contraint d'abandonner sa bien-aimée...

Et bien sûr, prenez des couleurs plein les yeux en lisant le catalogue de l'exposition.

La musique des années 1920 au cœur de la Casbah d’Alger rythme l’enfance des jeunes élèves du Conservatoire, arabes ou juifs. L’amitié et leur amour commun pour la musique qui "fait oublier la misère, la faim, la soif" les rassemblent pendant des années au sein du même orchestre jusqu’à la guerre et ses bouleversements. Le film El Gusto raconte avec émotion comment la musique réunit ceux que l’Histoire a séparés il y a 50 ans.

 
Votre rédacteur vous laisse voguer vers un ailleurs, aux rythmes du chaabi, et de la chanson phare du film "El Gusto".


 Faites de beaux rêves !




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