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echosdeschtis.com
Le
28 October 2016,
Le mois dernier, Mes Sorties Culture a eu la chance de
rencontrer Caroline Chenu, en charge de la régie des oeuvres au Louvre Lens –
des œuvres prêtées par le Louvre, où elle a travaillé plusieurs années – et qui
changent chaque année, selon une folle valse. En effet, pas moins de 200 œuvres
sont « remplacées » tous les 12 mois, prêtes à en découdre avec le public
dans l’immense Galerie du Temps.
Au printemps 2016, et jusqu’à la fin de lété dernier, le Louvre Lens présentait une exposition consacrée au « Rubens » français, le peintre du Roi-Soleil : Charles le Brun. Dans le cadre de cet événement, Caroline a activement participé à l’organisation et à la coordination d’une « restauration visible », c’est-à-dire à la mise en place des conditions idéales pour qu’un tableau soit restauré par des professionnels en présence du public, qui a alors la chance d’observer le restaurateur au travail, de le questionner, et de comprendre en quoi consiste précisément ce mélange de minutie et de patience, d’adresse et de connaissances artistiques et scientifiques. Une rencontre que nous partageons avec vous!
Un chef d’œuvre de le Brun
Le tableau en question, c’est un « Christ au jardin des oliviers » en tondo de Charles le Brun (l’artiste en a réalisé plusieurs au cours de sa carrière), retrouvé à l’abbaye de la Trappe en Normandie en 2007. Grâce au récolement (l’inventaire des œuvres) on a pu retracer son cheminement : d’abord conservé puis oublié à Versailles au XVIIè siècle, il s’est retrouvé au Louvre au moment de sa création au XIXè siècle, puis a été entreposé à l’abbaye de la Trappe en 1820 : c’est là qu’il a été retrouvé, grâce à l’inventaire de Napoléon, qui en faisait mention.
Sans ce précieux inventaire, il aurait été compliqué de retrouver ou d’identifier la toile de 1659, tant elle était abîmée. « Elle était opaque et son châssis en piteux état », nous dit Caroline. Avant de démarrer la restauration, il fallait l’identifier formellement. Pour cela, les experts du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) utilisent la radiographie et les infrarouges. Ils parviennent ainsi à voir ce qui reste invisible à l’œil nu, d’autant que la toile était totalement encrassée par 200 ans d’oubli. « Il s’agit dans ce cas d’une restauration fondamentale et non d’un simple décrassage. Le tableau était noir, la toile et le châssis présentaient un état de grande fragilité », ajoute la régisseuse du musée. Un châssis qui, d’ailleurs, n’était pas d’origine, puisque les experts, comme dans une enquête policière, ont analysé les clous et en ont conclu qu’il datait du XVIIIè et non du XVIIè siècle…
Trois mois de restauration
Caroline parle de l’événement avec passion, et c’est compréhensible : imaginez comme il doit être exaltant de voir peu à peu apparaître les motifs, les formes, les couleurs d’un tableau peint au XVIIè siècle et que personne n’a vu depuis 200 ans ! « C’est une épiphanie », s’exclame-t-elle, admirative du travail de Quentin Larguillière, avant de poursuivre : « La restauration a des points communs avec la médecine ; dans le cas de ce tableau, il s’agissait de restauration curative. Dans d’autres cas, on fait du préventif, en prêtant attention aux conditions de température, d’hygrométrie, de manipulation, de lumière... ».
Sans ces précautions, les toiles risquent de se dégrader à vitesse grand V et de finir comme le « Christ » de le Brun, enfouies sous une épaisse couche de crasse. « Pour bien comprendre les enjeux de la restauration, il faut garder à l’esprit qu’une peinture est faite de 2 éléments distincts : le support (châssis, toile) et la couche picturale », qui peut superposer plusieurs repeints (c’est-à-dire que l’artiste revient sur sa peinture, la corrige, l’enrichit, etc). Une fois le châssis enlevé, tout commence par le nettoyage de l’envers de la toile : « un grand dépoussiérage, avec des cotons-tiges géants mais aussi des solvants ». Puis le châssis a été traité (le bois avait été attaqué, il y avait des traces d’une infestation ancienne) et renforcé par un châssis métallique. Au fil des jours, la toile qui se dévoilait s’est révélée de très belle facture – peut-être même plus belle que les deux autres « Christ au jardin de l’olivier » présentés dans l’exposition. Ces autres toiles ont d’ailleurs permis aux restaurateurs de restituer plus fidèlement le style de le Brun puisque par chance ils avaient les autres tableaux « sous la main ».
Les grands principes de la restauration
La restauration se fait selon 3 règles d’or :
La lisibilité : on doit pouvoir distinguer ce qui est restauré de ce qui ne l’est pas, à 1 m de l’objet. « Pour le restaurateur il ne s’agit ni de faire mieux, ni d’imaginer, ni de compléter », dit Caroline.
La compatibilité chimique des matériaux, dans la mesure du possible : « mais nous manquons souvent de recul pour les matériaux qui vont rester présents sur la toile, comme les produits de nettoyage, nuance la régisseuse
Et enfin la réversibilité : « Quand on restaure une sculpture, il ne faut pas utiliser des colles trop fortes, pour permettre la réversibilité, mais en même temps s’assurer qu’elles sont performantes et que le résultat est net. Par exemple, en 1957, on a découvert que le bras du personnage central du groupe du Laocoon (sculpture en marbre de l’antiquité grecque) était en fait plié derrière sa tête et non tendu en diagonale. Il a donc été reconstruit et remplacé ».
Une discipline transversale
En résumé, la restauration d’une œuvre suppose des compétences en sciences humaines et en physique chimie, mais aussi une sensibilité artistique et une grande habileté et de l’ingéniosité. Les restaurateurs empruntent leur matériel à d’autres professions : des silicones de la NASA, des instruments de dentistes pour la sculpture, des lampes qui imitent la lumière naturelle et sont utilisées en chirurgie… Un métier magnifique et indispensable pour préserver le patrimoine artistique et sa puissance d’inspiration. Laissons le mot de la fin à Caroline : « Les restaurateurs sont des artistes, mais d’une humilité fondamentale ».
L’oeuvre sera bientôt visible au Département des peintures du Musée du Louvre. Pour aller plus loin et pour voir quelques images
Sonia Zannad / Mes sorties culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com
Au printemps 2016, et jusqu’à la fin de lété dernier, le Louvre Lens présentait une exposition consacrée au « Rubens » français, le peintre du Roi-Soleil : Charles le Brun. Dans le cadre de cet événement, Caroline a activement participé à l’organisation et à la coordination d’une « restauration visible », c’est-à-dire à la mise en place des conditions idéales pour qu’un tableau soit restauré par des professionnels en présence du public, qui a alors la chance d’observer le restaurateur au travail, de le questionner, et de comprendre en quoi consiste précisément ce mélange de minutie et de patience, d’adresse et de connaissances artistiques et scientifiques. Une rencontre que nous partageons avec vous!
Un chef d’œuvre de le Brun
Le tableau en question, c’est un « Christ au jardin des oliviers » en tondo de Charles le Brun (l’artiste en a réalisé plusieurs au cours de sa carrière), retrouvé à l’abbaye de la Trappe en Normandie en 2007. Grâce au récolement (l’inventaire des œuvres) on a pu retracer son cheminement : d’abord conservé puis oublié à Versailles au XVIIè siècle, il s’est retrouvé au Louvre au moment de sa création au XIXè siècle, puis a été entreposé à l’abbaye de la Trappe en 1820 : c’est là qu’il a été retrouvé, grâce à l’inventaire de Napoléon, qui en faisait mention.
Sans ce précieux inventaire, il aurait été compliqué de retrouver ou d’identifier la toile de 1659, tant elle était abîmée. « Elle était opaque et son châssis en piteux état », nous dit Caroline. Avant de démarrer la restauration, il fallait l’identifier formellement. Pour cela, les experts du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) utilisent la radiographie et les infrarouges. Ils parviennent ainsi à voir ce qui reste invisible à l’œil nu, d’autant que la toile était totalement encrassée par 200 ans d’oubli. « Il s’agit dans ce cas d’une restauration fondamentale et non d’un simple décrassage. Le tableau était noir, la toile et le châssis présentaient un état de grande fragilité », ajoute la régisseuse du musée. Un châssis qui, d’ailleurs, n’était pas d’origine, puisque les experts, comme dans une enquête policière, ont analysé les clous et en ont conclu qu’il datait du XVIIIè et non du XVIIè siècle…
Trois mois de restauration
Caroline parle de l’événement avec passion, et c’est compréhensible : imaginez comme il doit être exaltant de voir peu à peu apparaître les motifs, les formes, les couleurs d’un tableau peint au XVIIè siècle et que personne n’a vu depuis 200 ans ! « C’est une épiphanie », s’exclame-t-elle, admirative du travail de Quentin Larguillière, avant de poursuivre : « La restauration a des points communs avec la médecine ; dans le cas de ce tableau, il s’agissait de restauration curative. Dans d’autres cas, on fait du préventif, en prêtant attention aux conditions de température, d’hygrométrie, de manipulation, de lumière... ».
Sans ces précautions, les toiles risquent de se dégrader à vitesse grand V et de finir comme le « Christ » de le Brun, enfouies sous une épaisse couche de crasse. « Pour bien comprendre les enjeux de la restauration, il faut garder à l’esprit qu’une peinture est faite de 2 éléments distincts : le support (châssis, toile) et la couche picturale », qui peut superposer plusieurs repeints (c’est-à-dire que l’artiste revient sur sa peinture, la corrige, l’enrichit, etc). Une fois le châssis enlevé, tout commence par le nettoyage de l’envers de la toile : « un grand dépoussiérage, avec des cotons-tiges géants mais aussi des solvants ». Puis le châssis a été traité (le bois avait été attaqué, il y avait des traces d’une infestation ancienne) et renforcé par un châssis métallique. Au fil des jours, la toile qui se dévoilait s’est révélée de très belle facture – peut-être même plus belle que les deux autres « Christ au jardin de l’olivier » présentés dans l’exposition. Ces autres toiles ont d’ailleurs permis aux restaurateurs de restituer plus fidèlement le style de le Brun puisque par chance ils avaient les autres tableaux « sous la main ».
Les grands principes de la restauration
La restauration se fait selon 3 règles d’or :
La lisibilité : on doit pouvoir distinguer ce qui est restauré de ce qui ne l’est pas, à 1 m de l’objet. « Pour le restaurateur il ne s’agit ni de faire mieux, ni d’imaginer, ni de compléter », dit Caroline.
La compatibilité chimique des matériaux, dans la mesure du possible : « mais nous manquons souvent de recul pour les matériaux qui vont rester présents sur la toile, comme les produits de nettoyage, nuance la régisseuse
Et enfin la réversibilité : « Quand on restaure une sculpture, il ne faut pas utiliser des colles trop fortes, pour permettre la réversibilité, mais en même temps s’assurer qu’elles sont performantes et que le résultat est net. Par exemple, en 1957, on a découvert que le bras du personnage central du groupe du Laocoon (sculpture en marbre de l’antiquité grecque) était en fait plié derrière sa tête et non tendu en diagonale. Il a donc été reconstruit et remplacé ».
Une discipline transversale
En résumé, la restauration d’une œuvre suppose des compétences en sciences humaines et en physique chimie, mais aussi une sensibilité artistique et une grande habileté et de l’ingéniosité. Les restaurateurs empruntent leur matériel à d’autres professions : des silicones de la NASA, des instruments de dentistes pour la sculpture, des lampes qui imitent la lumière naturelle et sont utilisées en chirurgie… Un métier magnifique et indispensable pour préserver le patrimoine artistique et sa puissance d’inspiration. Laissons le mot de la fin à Caroline : « Les restaurateurs sont des artistes, mais d’une humilité fondamentale ».
L’oeuvre sera bientôt visible au Département des peintures du Musée du Louvre. Pour aller plus loin et pour voir quelques images
Sonia Zannad / Mes sorties culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com