Un "jardin zen" plein d'ironie
Formée aux Beaux-Arts de Paris, l'artiste franco-espagnole Bianca Argimon (née en 1988) se sert du dessin, de la sculpture et des installations pour retranscrire la violence du monde contemporain, et créer une saine distance avec toutes les images et les informations dont nous abreuvent quotidiennement les médias et les réseaux sociaux. Son installation "Zen Garden" a ceci de particulier qu'elle intrigue au premier regard. Celles et ceux qui la croisent (au Havre en 2022, aujourd'hui à la Fondation EDF) ne peuvent s'empêcher de tourner autour, de l'observer longuement, de s'approcher ou de s'éloigner pour mieux l'apprécier.

A la place des bonsaïs qui ornent généralement les graviers des jardins zen – lieux de méditation à l'esthétique minimaliste, où les arbustes émergent du gravier, sur lequel on peut dessiner des lignes à l'aide d'un râteau – on voit ici des corps d'hommes d'affaire, ou du moins des parties de leur corps qui émergent du gravier. Un dos et le dessus d'un crâne marqué par un début de calvitie par ici ; deux jambes en pantalon-mocassins ailleurs ; ou encore une main qui semble appeler au secours, comme si quelqu'un se noyait, et juste à côté, une cravate qui se dresse en l'air, dans un mouvement de chute suspendue ou de noyade. Ces hommes semblent littéralement faire l'autruche : on ne voit pas leurs visages ; eux ne semblent pas vouloir affronter la réalité. Une bande-son émane de l'installation, que l'artiste décrit comme "ASMR" : un bruit sourd de graviers que l'on déplace, mêlé à des sons mixés de cliquetis sur des claviers. L'ASMR (Réponse Sensorielle Méridienne Autonome), c'est cette mode des vidéos ou des contenus audio qui doivent aider à se détendre ou à s'endormir à l'aide de chuchotements, de voix douces ou de tapotements. Par une étrange illusion, le son donne l'impression que le gravier bouge, que les corps s'enfoncent, ou qu'ils pourraient bouger. Il faut dire que les vêtements comme la conception des personnages (à échelle réelle) rendent le tout très réaliste, et rapprochent le travail de Bianca Argimon de celui des sculpteurs hyperréalistes (Ron Mueck, Duane Hanson, Maurizio Cattelan).

Mais il y a aussi une dimension profondément ironique à cette scène, que l'on peut voir comme une forme d'avertissement. Pour cette œuvre, l'artiste s'est inspirée des participants à la COP - la réunion annuelle des pays qui se sont engagés à respecter la convention des Nations unies sur la question des enjeux environnementaux. Mais on pourrait croire aussi qu'il s'agit de traders de la City.

Non seulement les hommes d'affaire et les hommes politiques finissent par tous se ressembler, mais dans notre société capitaliste ultralibérale, le risque est grand de se tuer littéralement au travail – l'augmentation des burn-out en témoigne - sans parvenir à admettre l'absurdité d'un système d'hypercroissance source de stress pour les humains comme pour les ressources planétaires. Malgré la tenue annuelle de la COP, les changements décisifs peinent à émerger, et les intérêts économiques semblent encore l'emporter largement sur les préoccupations environnementales. Nous cherchons alors à démultiplier les solutions pour réduire un stress envahissant (et légitime), d'où la référence à l'ASMR et au jardin zen. Avec cette œuvre provocatrice et d'une redoutable efficacité, Bianca Argimon semble nous adresser une question : comment refaire surface?   

Sonia Zannad / Mes Sorties Culture

Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com


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