Le
22 April 2022,
Parfois les images s'entrechoquent, traversent les continents et les époques. Parfois, les visages se répondent, les couleurs se rencontrent, les artistes se parlent alors qu'ils ne se sont peut-être jamais croisés – ou qu'ils ne connaissaient peut-être pas ces œuvres de leurs congénères. En parcourant le monde de la peinture et des arts graphiques, nous avons une chance inouïe : celle de pouvoir créer des ponts, chercher les correspondances secrètes, et se fabriquer une bibliothèque mentale, un club très privé dans lequel nous sommes libres d'associer des éléments visuels - et d'y trouver, peut-être, un sens personnel. Ou de tirer le fil rouge d'une histoire de l'art subjective, guidée par des motifs universels et la palette des émotions.
Aujourd'hui, nous vous proposons de rapprocher trois tableaux pour mieux en déceler les points communs, malgré des styles très différents : "La Valse" (1893) de Félix Vallotton, génial artiste franco-suisse, visible au MuMa du Havre ; "Le Baiser" (1907/1908) de Gustav Klimt, fer de lance de la Sécession autrichienne, exposé au Palais du Belvédère, à Vienne, Et enfin, la "Jeune fille endormie" (1907) de l'avant-gardiste Sonia Delaunay, peintre française d'origine ukrainienne, et qui se trouve au Centre Pompidou.
Une sensualité omniprésente
Ces trois images dégagent une grande sensualité : les lignes courbes, la position des personnages, leur étreinte (chez Klimt et Vallotton) ou le contact avec ce qu'on imagine être un fauteuil confortable (chez Delaunay), mais aussi la présence visuelle des mains, très proches des visages, contribuent à produire un effet sensoriel, évoquent une forme de douceur, un monde harmonieux et chaleureux, à l'intérieur duquel il est possible de s'abandonner. Le choix des couleurs (chaudes pour l'essentiel) y contribue également. Le fond jaune doré agit comme un soleil, dont les mille éclats enveloppent aussi bien les personnages que celui qui les regarde.Ce poudroiement doré évoque aussi une forme de spiritualité : chez Delaunay, née en Ukraine, la médaille en or qui répond au fond de la toile, de même que ce visage en majesté, rappellent l'art orthodoxe des icônes. Chez Klimt ou Vallotton, l'atmosphère irréelle née de la couleur du fond place les scènes hors du temps, hors de l'espace, dans une dimension qui tient du rêve ou du sacré.
Donner à voir le monde intérieur
Ce qui est sacré ou sacralisé ici, c'est surtout une forme de paix intérieure, symbolisée par les yeux fermés des femmes qui sont ici à l'honneur. Leurs visages sereins ou souriants, sont ceux du sommeil confiant d'une jeune fille insouciante, de la douce ivresse d'une danse partagée (il s'agit en réalité de couples de patineurs au Palais des glaces) ou d'un voluptueux baiser reçu avec délectation. Ces trois visages penchés, presque à 90 degrés, manifestent un relâchement, un abandon absolu : celui des sens mais aussi de l'esprit. Regarder ces visages aux traits détendus procure au spectateur une forme d'extase "en miroir" et lui donne accès à ce qui est d'habitude impossible à voir ou à atteindre, à savoir l'intimité de l'autre…tout en le dérobant à notre vue. Car derrière les yeux fermés, l'imaginaire et les rêveries restent à jamais inaccessibles. Les personnages sont dans leur bulle.
L'amour fusionnel
L'homme et le femme mis en scène par Klimt dans son célèbre Baiser se distinguent par les motifs de leurs vêtements, mais la couleur dorée sur laquelle ils se détachent les rassemble, de même que le contour de leurs corps enlacés, qui ressemble à un grand manteau protecteur et unifiant. Le corps, les mains, les visages s'entremêlent jusqu'à ne faire qu'un. Les feuilles de la couronne de l'homme viennent se mêler délicatement aux fleurs qui parsèment la chevelure de la femme. Leurs deux mondes s'interpénètrent jusqu'à se confondre.
Dans la Valse de Vallotton, c'est le mouvement qui réunit les êtres. Les couples glissent, emportés par la cadence, et se ressemblent tous. On ne distingue aucun visage, à part celui qui se trouve en bas à droite, comme sur une photo dont l'arrière-plan serait flou et le sujet principal, net. Pour le couple qui se trouve au centre, la fusion des visages est complète et forme un tout indistinct : ici on pense à la pose longue en photographie, qui floute les éléments en mouvement. Dans ces deux œuvres, c'est bien sûr l'amour – ou la promesse de l'amour - qui produit une telle fusion picturale. Dans le cas de la Jeune fille endormie, on pourrait parler d'amour de soi, celui qui permet d'improviser une petite sieste ou de se livrer au regard d'autrui (en l'occurrence, celui de la peintre, ou le nôtre) en toute décontraction… Autant d'images qui nous invitent à rêver d'harmonie, de paix, et de la magie des moments d'éternité. Pour mieux célébrer le bonheur d'être au monde.
Sonia Zannad
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com
Aujourd'hui, nous vous proposons de rapprocher trois tableaux pour mieux en déceler les points communs, malgré des styles très différents : "La Valse" (1893) de Félix Vallotton, génial artiste franco-suisse, visible au MuMa du Havre ; "Le Baiser" (1907/1908) de Gustav Klimt, fer de lance de la Sécession autrichienne, exposé au Palais du Belvédère, à Vienne, Et enfin, la "Jeune fille endormie" (1907) de l'avant-gardiste Sonia Delaunay, peintre française d'origine ukrainienne, et qui se trouve au Centre Pompidou.
Une sensualité omniprésente
Ces trois images dégagent une grande sensualité : les lignes courbes, la position des personnages, leur étreinte (chez Klimt et Vallotton) ou le contact avec ce qu'on imagine être un fauteuil confortable (chez Delaunay), mais aussi la présence visuelle des mains, très proches des visages, contribuent à produire un effet sensoriel, évoquent une forme de douceur, un monde harmonieux et chaleureux, à l'intérieur duquel il est possible de s'abandonner. Le choix des couleurs (chaudes pour l'essentiel) y contribue également. Le fond jaune doré agit comme un soleil, dont les mille éclats enveloppent aussi bien les personnages que celui qui les regarde.Ce poudroiement doré évoque aussi une forme de spiritualité : chez Delaunay, née en Ukraine, la médaille en or qui répond au fond de la toile, de même que ce visage en majesté, rappellent l'art orthodoxe des icônes. Chez Klimt ou Vallotton, l'atmosphère irréelle née de la couleur du fond place les scènes hors du temps, hors de l'espace, dans une dimension qui tient du rêve ou du sacré.
Donner à voir le monde intérieur
Ce qui est sacré ou sacralisé ici, c'est surtout une forme de paix intérieure, symbolisée par les yeux fermés des femmes qui sont ici à l'honneur. Leurs visages sereins ou souriants, sont ceux du sommeil confiant d'une jeune fille insouciante, de la douce ivresse d'une danse partagée (il s'agit en réalité de couples de patineurs au Palais des glaces) ou d'un voluptueux baiser reçu avec délectation. Ces trois visages penchés, presque à 90 degrés, manifestent un relâchement, un abandon absolu : celui des sens mais aussi de l'esprit. Regarder ces visages aux traits détendus procure au spectateur une forme d'extase "en miroir" et lui donne accès à ce qui est d'habitude impossible à voir ou à atteindre, à savoir l'intimité de l'autre…tout en le dérobant à notre vue. Car derrière les yeux fermés, l'imaginaire et les rêveries restent à jamais inaccessibles. Les personnages sont dans leur bulle.
L'amour fusionnel
L'homme et le femme mis en scène par Klimt dans son célèbre Baiser se distinguent par les motifs de leurs vêtements, mais la couleur dorée sur laquelle ils se détachent les rassemble, de même que le contour de leurs corps enlacés, qui ressemble à un grand manteau protecteur et unifiant. Le corps, les mains, les visages s'entremêlent jusqu'à ne faire qu'un. Les feuilles de la couronne de l'homme viennent se mêler délicatement aux fleurs qui parsèment la chevelure de la femme. Leurs deux mondes s'interpénètrent jusqu'à se confondre.
Dans la Valse de Vallotton, c'est le mouvement qui réunit les êtres. Les couples glissent, emportés par la cadence, et se ressemblent tous. On ne distingue aucun visage, à part celui qui se trouve en bas à droite, comme sur une photo dont l'arrière-plan serait flou et le sujet principal, net. Pour le couple qui se trouve au centre, la fusion des visages est complète et forme un tout indistinct : ici on pense à la pose longue en photographie, qui floute les éléments en mouvement. Dans ces deux œuvres, c'est bien sûr l'amour – ou la promesse de l'amour - qui produit une telle fusion picturale. Dans le cas de la Jeune fille endormie, on pourrait parler d'amour de soi, celui qui permet d'improviser une petite sieste ou de se livrer au regard d'autrui (en l'occurrence, celui de la peintre, ou le nôtre) en toute décontraction… Autant d'images qui nous invitent à rêver d'harmonie, de paix, et de la magie des moments d'éternité. Pour mieux célébrer le bonheur d'être au monde.
Sonia Zannad
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com