Tous les soleils : Félix Ziem, un peintre en quête de lumière
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Le peintre français Félix Ziem (1821-1911), que l'on redécouvre depuis une dizaine d'années à la faveur de plusieurs expositions (à Martigues en 2011, au Petit Palais en 2013 et aujourd'hui au Palais Lumière d'Evian) après presque un siècle passé aux oubliettes, fut le contemporain des impressionnistes, mais ses toiles portent davantage l'héritage pictural des célèbres "védutistes" italiens du XVIIIe siècle – le védutisme, de "veduta", vue, est ce genre pictural basé sur la représentation perspective de paysages urbains, qui a connu son apogée avec Canaletto à Venise.

Ziem ambitionne aussi d'égaler Claude Gellée, dit Claude le Lorrain, artiste du XVIIe siècle qui s'est fait une spécialité de représenter l'astre solaire de face : il partage avec lui un certain goût du contre-jour et des perspectives atmosphériques. Autodidacte – on note tout de même une brève formation en architecture et un emploi de topographe - il apprend essentiellement en copiant les grands maîtres, au fil de nombreux voyages qui le mènent aussi bien en Russie qu'en Italie ou au Proche-Orient.

Son obsession : la lumière, celle du soleil et de la lune, et leurs effets changeants sur la mer et le ciel. Sa passion absolue : Venise, au cœur de la moitié de ses œuvres, où il possède une gondole-atelier qui lui offre des points de vue singuliers sur la lagune. Aquarelliste surdoué, il peint sur le motif des scènes qui lui servent ensuite de modèles pour répondre, à la demande, aux nombreuses commandes qui lui sont faites. Ses carnets de croquis et d'aquarelles lui servent de base de données.

Car Ziem, peintre prolixe (6000 œuvres répertoriées : la légende dit qu'il peignait 7 toiles par semaine) connaît un grand succès de son vivant, et se montre fin stratège dans ses techniques de production et de vente. Il prépare soigneusement des ciels qui mangent la plus grande partie de la toile, la ligne d'horizon étant toujours située très bas. Des ciels au soleil levant, au soleil couchant, d'azur clair ou striés de nuages, parfois nocturnes et percés seulement par la lumière froide et argentée d'un clair de lune. Ses glacis parfaits restituent une sensation d'infini et témoignent d'une grande maîtrise des effets de transparence de la peinture et des dégradés de couleur : fin observateur, Ziem maîtrise comme personne les humeurs du soleil et les effets vaporeux des nuages. 

En fonction des désirs de ses clients, il y ajoute, y plaque presque au premier plan tantôt les dômes de Sainte Sophie, tantôt la place Saint-Marc, ou encore une fantasia débridée, d'une touche vive et colorée à la Delacroix, sans lésiner sur les empâtements de matière picturale pour donner plus de relief à la scène. Il en résulte un contraste étonnant entre l'aspect lisse et calme du ciel et l'apparence plus agitée, plus spontanée des éléments qu'il ajoute dans un deuxième temps, en véritable scénariste, décorateur et chef-opérateur. 

Par son goût pour les ambiances des mille et une nuits, à une période très friande de scènes exotiques – depuis 1830, les colonisations françaises se succèdent en Afrique et en Asie - Ziem est parfois considéré comme un orientaliste, mais il s'en distingue par son souci d'authenticité, et ne cherche jamais à profiter du prétexte oriental pour peindre des femmes lascives.  De toutes façons, la figure humaine n'est pas son fort – sans formation classique, il n'a pas eu l'occasion de peindre des nus en atelier - et ce n'est peut-être pas par hasard si les personnages, un peu perdus dans ses grandes toiles, paraissent tout petits et sont le plus souvent en mouvement, donc flous. Son regard clair tourné vers le haut, à la recherche de l'immatériel, Ziem n'était peut-être pas moderne, mais sa quête spirituelle n'a pas pris une ride.  

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L'exposition Félix Ziem : Saisir la lumière se tient au palais Lumière d'Evian, du 17/12/2023 au 21/04/2024.

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Sonia Zannad / Mes Sorties Culture

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