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Vincent Desjardins, Flickr
Le
31 August 2018,
«
Faite pour des hommes, faite à l’échelle humaine, dans la robustesse des
techniques modernes, manifestant la splendeur nouvelle du béton brut, pour
mettre les ressources sensationnelles de l’époque au service du foyer » Le
Corbusier (dans son discours inaugural de la Cité radieuse)
La cité radieuse, « cité verticale » marseillaise pensée par l’architecte suisse le Corbusier, fut inaugurée en 1952. Ce qui fut conçu comme un immeuble de logements sociaux destinés à ceux qui avaient tout perdu pendant la guerre au beau milieu d’une zone dépourvue de constructions est devenu un ensemble situé dans un quartier chic, classé à l’Unesco, dont les 337 appartements sont désormais branchés, chers et convoités. Nous sommes allés visiter cette « unité d’habitation » avant-gardiste en compagnie de Camille, guide missionnée par l’office de tourisme de la ville de Marseille, et nous avons découvert un monde de couleurs, de lumière et d’ingéniosité.
Concilier ville et nature
Le Corbusier avait tout compris : si nous tentons aujourd’hui de végétaliser les villes qui étouffent avec le réchauffement climatique, il considérait déjà que les villes étaient « malades » dans les années 50, car elles manquaient cruellement d’espaces verts. C’est pourquoi son grand vaisseau de béton brut se trouve dans un parc arboré, qui respire, et que même si 1600 personnes y vivent, on se sent au calme. Les pilotis (l’un des « piliers » de l’architecture selon Le Corbusier) permettent aux jardins de se déployer jusqu’au pied de l’immeuble, et libère la circulation des habitants. A l’époque de sa construction, on prenait l’architecte pour un fou. La cité radieuse a d’ailleurs été surnommée par les marseillais « la maison du fada ». Le lieu était impressionnant, trop nouveau, et personne ne voulait y habiter…
Du bon usage de la couleur et de la lumière
Si la cité est dite « radieuse », c’est en raison de ses couleurs, destinées à influer sur le moral des habitants. Le Corbusier a choisi de parer certaines loggias de couleurs vives, qui viennent ponctuer la monotonie du béton gris, et instaurent un rythme réjouissant pour l’œil. Dans les longues « rues intérieures » (c’est ainsi que se nomment les couloirs de la cité), la lumière est tamisée mais chaque porte est dotée d’une couleur différente, ce qui facilite le repérage pour les habitants comme pour leurs visiteurs. Enfin, la couleur est également présente dans les appartements, en particulier dans les niches qui sont parées de couleurs vives, ce qui permet de donner une impression de profondeur et d’espace. A noter : la cité radieuse est construite sur un axe est-ouest, en diagonale vu du ciel, afin d’éviter le mistral mais aussi pour que tous les habitants profitent du soleil, les appartements étant traversants. De même, la terrasse est un grand espace aéré, met le bâtiment au cœur des éléments. On y voit la mer, la montagne, et le soleil s’y répand généreusement. On y trouvait jadis un solarium, une crèche, un gymnase, une pataugeoire. Aujourd’hui, les habitants viennent y regarder des films en plein air, y dormir parfois, y faire du yoga. Il y a même une galerie d’art.
Favoriser la vie sociale et le confort des habitants
Pour l’intérieur des appartements, Le Corbusier, qui pense son bâtiment comme une utopie sociale, cherche à maximiser le confort des habitants, mais aussi à jouer sur leur façon de vivre. Ainsi de la cuisine ouverte, révolutionnaire pour l’époque, conçue par la grande Charlotte Perriand, qui permet aux femmes de cuisiner tout en profitant de ce qui se passe dans le salon. L’espace dédié aux enfants est séparé du living-room par un espace intermédiaire, permettant aux parents comme à leurs rejetons une certaine autonomie, même quand les appartements ne sont pas immenses. Les escaliers, eux, ont été conçus par Jean Prouvé et sont surnommés « les escaliers des trois âges de la vie », car ils permettent aux tout-petits de se tenir d’abord aux lattes grâce à un petit espace ingénieux, puis aux deux rampes métalliques, en fonction de leur taille, pour apprendre à les monter sans danger. Car tous les appartements de la Cité radieuse sont en duplex.
Les rues sont faiblement éclairées, car Le Corbusier a constaté que nous avions tendance à parler moins fort quand la lumière est tamisée. Ainsi, les habitants ne sont pas dérangés par les nombreuses allées et venues dans les couloirs. Chaque porte d'appartement est dotée d'une boîte fermée à clé qui permettait des livraisons de produits du quotidien (amazon avant l'heure!). Enfin, il n’a volontairement mis en place que 3 ascenseurs (à l’époque, 337 appartements pour 1600 habitants, aujourd’hui 1200 dans 300 appartements). Car en attendant l’ascenseur, on échange, on fait connaissance ! Au 3ème étage se trouvent des boutiques, dont une boulangerie, un hôtel, un bar qui existent toujours aujourd’hui. Dans les années 50 ; il y a avait dans le hall d’entrée un kiosque à journaux, une cabine téléphonique. Aujourd’hui il reste les bancs, les petites annonces et la boîte officielle de la poste pour rappeler cet esprit « village ». Et aussi, des salles communes (club ping pong ou club cinéma, bibliothèque) gérées par l’association des habitants, qui organisent aussi des fêtes régulièrement.
Le Modulor
Le Corbusier, pour concevoir la cité radieuse, a inventé un système de mesure original, qu’il nomme le « Modulor ». Ce mot-valise qui combine module et nombre d’or (1,619, utilisé par bon nombre d’artistes pour créer des proportions parfaites) est devenu une sorte de symbole, de totem, que le Corbusier a d’ailleurs représenté sous forme d’empreinte dans le béton, sur la façade de la cité radieuse. Pour lui cette unité de mesure fondée sur la morphologie humaine (son modèle est un homme de 1,83 m) devait mener à un confort maximal dans les relations entre l'homme et son espace vital. Ainsi, la hauteur des appartements correspond au Modulor bras levé, tandis que la largeur des pièces fait deux fois 1,83. Tous les aménagements (hauteur des chaises, des tables, plans de travail) sont également conçus en fonction du Modulor. Et au vu du succès des appartements de la cité radieuse jusqu’à ce jour, le Corbusier était vraiment un visionnaire !
Sonia Zannad / Mes sorties culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com
Vous pouvez écouter le podcast de l'article, en cliquant ici
La cité radieuse, « cité verticale » marseillaise pensée par l’architecte suisse le Corbusier, fut inaugurée en 1952. Ce qui fut conçu comme un immeuble de logements sociaux destinés à ceux qui avaient tout perdu pendant la guerre au beau milieu d’une zone dépourvue de constructions est devenu un ensemble situé dans un quartier chic, classé à l’Unesco, dont les 337 appartements sont désormais branchés, chers et convoités. Nous sommes allés visiter cette « unité d’habitation » avant-gardiste en compagnie de Camille, guide missionnée par l’office de tourisme de la ville de Marseille, et nous avons découvert un monde de couleurs, de lumière et d’ingéniosité.
Concilier ville et nature
Le Corbusier avait tout compris : si nous tentons aujourd’hui de végétaliser les villes qui étouffent avec le réchauffement climatique, il considérait déjà que les villes étaient « malades » dans les années 50, car elles manquaient cruellement d’espaces verts. C’est pourquoi son grand vaisseau de béton brut se trouve dans un parc arboré, qui respire, et que même si 1600 personnes y vivent, on se sent au calme. Les pilotis (l’un des « piliers » de l’architecture selon Le Corbusier) permettent aux jardins de se déployer jusqu’au pied de l’immeuble, et libère la circulation des habitants. A l’époque de sa construction, on prenait l’architecte pour un fou. La cité radieuse a d’ailleurs été surnommée par les marseillais « la maison du fada ». Le lieu était impressionnant, trop nouveau, et personne ne voulait y habiter…
Du bon usage de la couleur et de la lumière
Si la cité est dite « radieuse », c’est en raison de ses couleurs, destinées à influer sur le moral des habitants. Le Corbusier a choisi de parer certaines loggias de couleurs vives, qui viennent ponctuer la monotonie du béton gris, et instaurent un rythme réjouissant pour l’œil. Dans les longues « rues intérieures » (c’est ainsi que se nomment les couloirs de la cité), la lumière est tamisée mais chaque porte est dotée d’une couleur différente, ce qui facilite le repérage pour les habitants comme pour leurs visiteurs. Enfin, la couleur est également présente dans les appartements, en particulier dans les niches qui sont parées de couleurs vives, ce qui permet de donner une impression de profondeur et d’espace. A noter : la cité radieuse est construite sur un axe est-ouest, en diagonale vu du ciel, afin d’éviter le mistral mais aussi pour que tous les habitants profitent du soleil, les appartements étant traversants. De même, la terrasse est un grand espace aéré, met le bâtiment au cœur des éléments. On y voit la mer, la montagne, et le soleil s’y répand généreusement. On y trouvait jadis un solarium, une crèche, un gymnase, une pataugeoire. Aujourd’hui, les habitants viennent y regarder des films en plein air, y dormir parfois, y faire du yoga. Il y a même une galerie d’art.
Favoriser la vie sociale et le confort des habitants
Pour l’intérieur des appartements, Le Corbusier, qui pense son bâtiment comme une utopie sociale, cherche à maximiser le confort des habitants, mais aussi à jouer sur leur façon de vivre. Ainsi de la cuisine ouverte, révolutionnaire pour l’époque, conçue par la grande Charlotte Perriand, qui permet aux femmes de cuisiner tout en profitant de ce qui se passe dans le salon. L’espace dédié aux enfants est séparé du living-room par un espace intermédiaire, permettant aux parents comme à leurs rejetons une certaine autonomie, même quand les appartements ne sont pas immenses. Les escaliers, eux, ont été conçus par Jean Prouvé et sont surnommés « les escaliers des trois âges de la vie », car ils permettent aux tout-petits de se tenir d’abord aux lattes grâce à un petit espace ingénieux, puis aux deux rampes métalliques, en fonction de leur taille, pour apprendre à les monter sans danger. Car tous les appartements de la Cité radieuse sont en duplex.
Les rues sont faiblement éclairées, car Le Corbusier a constaté que nous avions tendance à parler moins fort quand la lumière est tamisée. Ainsi, les habitants ne sont pas dérangés par les nombreuses allées et venues dans les couloirs. Chaque porte d'appartement est dotée d'une boîte fermée à clé qui permettait des livraisons de produits du quotidien (amazon avant l'heure!). Enfin, il n’a volontairement mis en place que 3 ascenseurs (à l’époque, 337 appartements pour 1600 habitants, aujourd’hui 1200 dans 300 appartements). Car en attendant l’ascenseur, on échange, on fait connaissance ! Au 3ème étage se trouvent des boutiques, dont une boulangerie, un hôtel, un bar qui existent toujours aujourd’hui. Dans les années 50 ; il y a avait dans le hall d’entrée un kiosque à journaux, une cabine téléphonique. Aujourd’hui il reste les bancs, les petites annonces et la boîte officielle de la poste pour rappeler cet esprit « village ». Et aussi, des salles communes (club ping pong ou club cinéma, bibliothèque) gérées par l’association des habitants, qui organisent aussi des fêtes régulièrement.
Le Modulor
Le Corbusier, pour concevoir la cité radieuse, a inventé un système de mesure original, qu’il nomme le « Modulor ». Ce mot-valise qui combine module et nombre d’or (1,619, utilisé par bon nombre d’artistes pour créer des proportions parfaites) est devenu une sorte de symbole, de totem, que le Corbusier a d’ailleurs représenté sous forme d’empreinte dans le béton, sur la façade de la cité radieuse. Pour lui cette unité de mesure fondée sur la morphologie humaine (son modèle est un homme de 1,83 m) devait mener à un confort maximal dans les relations entre l'homme et son espace vital. Ainsi, la hauteur des appartements correspond au Modulor bras levé, tandis que la largeur des pièces fait deux fois 1,83. Tous les aménagements (hauteur des chaises, des tables, plans de travail) sont également conçus en fonction du Modulor. Et au vu du succès des appartements de la cité radieuse jusqu’à ce jour, le Corbusier était vraiment un visionnaire !
Sonia Zannad / Mes sorties culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com
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