Le
30 December 2023,
Avez-vous déjà entendu parler de Vjeran Tomic, dit "l'homme-araignée" ? Un récent documentaire Netflix retrace le parcours de ce Lupin du 21e siècle, devenu célèbre pour le vol de 5 tableaux au Musée d'Art Moderne de Paris, dans la nuit du 19 au 20 mai 2010. Son butin? Un Braque, un Picasso, un Léger, un Modigliani et un Matisse – rien que ça.
C'est le plus grand casse jamais réalisé dans un musée. Pour réaliser cet exploit, Tomic, habitué à visiter les appartements des nantis parisiens en passant pat les fenêtres et les toits, a patiemment démonté une fenêtre de 80 kilos, et s'est tranquillement baladé dans les salles pour choisir les œuvres qui lui plaisaient le plus, pendant un bon quart d'heure – on le voit à l'oeuvre sur les images de vidéosurveillance. Un tour de passe-passe affolant et une affaire sidérante qui a fait couler beaucoup d'encre : les conditions de sécurité laissaient à désirer, et les tableaux n'ont jamais été retrouvés…certains les croient détruits, d'autres sont persuadés qu'ils réapparaîtront un jour ou l'autre.
Le voleur a purgé sa peine –il est sorti de prison en 2022. Cette affaire romanesque n'a pas échappé à l'artiste Sophie Calle, qui s'intéresse précisément,et depuis longtemps à la question de la mémoire, de la disparition, de la trace mentale que laissent les œuvres quand elles ne sont plus ou pas visibles, de leur place dans notre imagination. De nombreux exemples témoignent de cette obsession dans la grande exposition que lui consacre le musée Picasso jusqu'au 28 janvier 2023 ("A toi de faire, ma mignonne!"). Certaines toiles du musée sont d'ailleurs voilées, on les devine à peine, recouvertes d'un tissu blanc sur lequel sont imprimées les réflexions des visiteurs, des responsables du musée et des gardiens au sujet de l'image qui se trouve en-dessous. Dans d'autres salles, ce sont des photographies qui montrent des visiteurs de dos, entrain de contempler un cadre vidé qui laisse apparaître le mur derrière (le plus souvent, il s'agit d'œuvres volées, dans différents musées) accompagnées d'un texte dans lequel ils décrivent leurs sensations et les idées qui leur passent par la tête, dans une forme de méditation.
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre homme-araignée. Dans son exposition, Sophie Calle expose non sans humour le résultat d'une de ses idées créatives en forme de performance, à travers trois lettres manuscrites montrées côte-à-côte."J'ai lu dans la presse que l'auteur du vol avait emporté trois œuvres qui ne faisaient pas partie de la commande parce qu'elles lui plaisaient", explique-t-elle.La première exposée est adressée à Vjeran Tomic, à l'époque où il était encore en prison, en 2021.
L'artiste se présente, expose sa démarche et lui demande de s'exprimer sur les qualités esthétiques des œuvres qu'il a volées : pourquoi a-t-il été attiré par telle peinture plutôt que par telle autre? Dans sa réponse, Tomic raconte ce qu'il a perçu dans ces différentes tableaux : "le petit Matisse était exceptionnel, et le Modigliani […] par sa beauté très impressionnante, je dirais pratiquement en 3D comme si je devais discuter avec la demoiselle". Quant à Picasso, il se dit "pas très fan", bien qu'il en ait emporté un. Calle, qui a en tête son exposition au musée Picasso, insiste sur l'œuvre de ce dernier dans une deuxième lettre, qui restera sans réponse.
Par ce jeu de correspondance, Sophie Calle démontre plusieurs choses : d'abord, que l'art appartient littéralement à tout le monde (même si ce 'est pas une raison pour le voler), et que chacun peut en parler, se faire une opinion, qu'il n'y a pas besoin d'une quelconque légitimité – même si le fait d'être questionné par Sophie Calle herself vous en donne une. Ensuite, que les œuvres comptent presque autant que les récits qu'on en fait, et que leur statut varie infiniment en fonction de la position que l'on occupe. Cet échange de lettres, sacralisé par son accrochage au musée, fait désormais partie intégrante de l'histoire des tableaux volés, dans une narration fluide et ouverte. Facétieuse, ingénieuse et iconoclaste, Sophie Calle a réussi à faire entrer une deuxième fois le voleur au musée!
Sonia Zannad / Mes Sorties Culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com
C'est le plus grand casse jamais réalisé dans un musée. Pour réaliser cet exploit, Tomic, habitué à visiter les appartements des nantis parisiens en passant pat les fenêtres et les toits, a patiemment démonté une fenêtre de 80 kilos, et s'est tranquillement baladé dans les salles pour choisir les œuvres qui lui plaisaient le plus, pendant un bon quart d'heure – on le voit à l'oeuvre sur les images de vidéosurveillance. Un tour de passe-passe affolant et une affaire sidérante qui a fait couler beaucoup d'encre : les conditions de sécurité laissaient à désirer, et les tableaux n'ont jamais été retrouvés…certains les croient détruits, d'autres sont persuadés qu'ils réapparaîtront un jour ou l'autre.
Le voleur a purgé sa peine –il est sorti de prison en 2022. Cette affaire romanesque n'a pas échappé à l'artiste Sophie Calle, qui s'intéresse précisément,et depuis longtemps à la question de la mémoire, de la disparition, de la trace mentale que laissent les œuvres quand elles ne sont plus ou pas visibles, de leur place dans notre imagination. De nombreux exemples témoignent de cette obsession dans la grande exposition que lui consacre le musée Picasso jusqu'au 28 janvier 2023 ("A toi de faire, ma mignonne!"). Certaines toiles du musée sont d'ailleurs voilées, on les devine à peine, recouvertes d'un tissu blanc sur lequel sont imprimées les réflexions des visiteurs, des responsables du musée et des gardiens au sujet de l'image qui se trouve en-dessous. Dans d'autres salles, ce sont des photographies qui montrent des visiteurs de dos, entrain de contempler un cadre vidé qui laisse apparaître le mur derrière (le plus souvent, il s'agit d'œuvres volées, dans différents musées) accompagnées d'un texte dans lequel ils décrivent leurs sensations et les idées qui leur passent par la tête, dans une forme de méditation.
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre homme-araignée. Dans son exposition, Sophie Calle expose non sans humour le résultat d'une de ses idées créatives en forme de performance, à travers trois lettres manuscrites montrées côte-à-côte."J'ai lu dans la presse que l'auteur du vol avait emporté trois œuvres qui ne faisaient pas partie de la commande parce qu'elles lui plaisaient", explique-t-elle.La première exposée est adressée à Vjeran Tomic, à l'époque où il était encore en prison, en 2021.
L'artiste se présente, expose sa démarche et lui demande de s'exprimer sur les qualités esthétiques des œuvres qu'il a volées : pourquoi a-t-il été attiré par telle peinture plutôt que par telle autre? Dans sa réponse, Tomic raconte ce qu'il a perçu dans ces différentes tableaux : "le petit Matisse était exceptionnel, et le Modigliani […] par sa beauté très impressionnante, je dirais pratiquement en 3D comme si je devais discuter avec la demoiselle". Quant à Picasso, il se dit "pas très fan", bien qu'il en ait emporté un. Calle, qui a en tête son exposition au musée Picasso, insiste sur l'œuvre de ce dernier dans une deuxième lettre, qui restera sans réponse.
Par ce jeu de correspondance, Sophie Calle démontre plusieurs choses : d'abord, que l'art appartient littéralement à tout le monde (même si ce 'est pas une raison pour le voler), et que chacun peut en parler, se faire une opinion, qu'il n'y a pas besoin d'une quelconque légitimité – même si le fait d'être questionné par Sophie Calle herself vous en donne une. Ensuite, que les œuvres comptent presque autant que les récits qu'on en fait, et que leur statut varie infiniment en fonction de la position que l'on occupe. Cet échange de lettres, sacralisé par son accrochage au musée, fait désormais partie intégrante de l'histoire des tableaux volés, dans une narration fluide et ouverte. Facétieuse, ingénieuse et iconoclaste, Sophie Calle a réussi à faire entrer une deuxième fois le voleur au musée!
Sonia Zannad / Mes Sorties Culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com