Le
25 March 2023,
La photographe américaine Nan Goldin, exposée dans tous les plus grands musées du monde, s''est fait connaître dans les années 1980 grâce à son style unique et sa façon sincère et sans concessions de capturer et de sublimer des moments de vie dans la communauté bohème qui était la sienne.
De ce monde et de son mode de vie trash et précaire, elle n'élude rien : ni la fatigue, ni l'insouciance, ni la drogue, ni la maladie, ni le sexe. Chez elle, la fête côtoie la souffrance, la romance fait parfois place aux violences conjugales, et partout, elle célèbre l'amitié et la liberté, n'hésitant pas au passage à se dévoiler et à montrer les plus prosaïques de ses actions. Les regards semblent défier la mort, et les scènes les plus banales deviennent, dans l'œil de Goldin, autant de manifestations du désir, de l'amour, de la rage de vivre.
Voyeuriste et exhibitionniste, elle n'a pas peur de détonner, de choquer, de prendre une place qui jusqu'alors semblait réservée aux hommes. Si ses images semblent toujours spontanées, prises sur le vif, la composition et la lumière n'y doivent rien au hasard ; Goldin, qui a fui sa famille a l'âge de 15 ans avec le désir d'échapper au conformisme petit-bourgeois, s'est formée à la photo a inventé le langage visuel de l'intimité.
Une "Balade" mouvementée
Son œuvre la plus célèbre n'est pas une photo, mais un vaste ensemble d'images, un diaporama de 45 minutes que l'artiste a intitulé "La Balade de la dépendance sexuelle". Le titre annonce la couleur : rien ne nous sera caché. Avec cette oeuvre qui fut longtemps "in progress", montrée à ses amis artistes dans des bars et des soirées selon différents ordonnancements, Goldin nous fait entrer dans sa famille de cœur et dans son intimité d'une manière inédite – si, aujourd'hui, le fait d'exposer son intimité et ses états d'âme n'a plus rien de révolutionnaire, notamment avec les réseaux sociaux, c'était parfaitement neuf et très audacieux à son époque.
Les quelque 700 photos de "La Balade" nous renseignent sur une époque et un monde alternatif, comme un portrait de l'Amérique en creux : celui des artistes, des drag-queens, des gays, de toute une communauté queer et souvent droguée, qui sera malheureusement décimée par le Sida dans les années 1990. Cela non plus, Nan Goldin ne le cache pas : dans la "Balade" on rencontre certains de ses amis, comme l''autrice et actrice Cookie Mueller, qu'elle adorait ; on la voit souriante et décadente, au sommet de sa gloire, le jour de son mariage ; un peu plus tard, le profil de Cookie, reposant dans son cercueil, se dévoile dans une poignante photo en noir et blanc.
"La Balade" est aussi une œuvre musicale, dont la bande-son a elle aussi changé plusieurs fois, ajoutant à la très forte charge émotionnelle de ce témoignage.
Barbara, le fantôme omniprésent
Pour comprendre le travail de Nan Godlin, il faut comprendre qu'elle a été traumatisée par le suicide de sa sœur : elle n'avait que 11 ans quand sa sœur aînée Barbara a mis fin à ses jours après plusieurs séjours dans des hôpitaux psychiatriques. Nan Goldin découvrira plus tard que sa sœur ne souffrait d'aucune pathologie mentale, mais que son homosexualité avait été condamnée par ses parents, et qu'elle avait été réduite au silence et internée pour cette raison.
Après cet événement, ne voulant plus perdre la trace des gens qu'elle aimait, elle s'est formée à la photographie et a cherché sa vie durant à documenter ses rencontres amicales et amoureuses, afin de garder trace de son histoire, d'exercer une forme de contrôle sur sa mémoire. L'humanité et l'empathie qui se dégagent de ses images, pas toujours faciles à regarder, en font un témoignage bouleversant et habité, une réflexion sur la fragilité de la mémoire, en même temps qu'un cri de colère et de manque adressé et offert à sa soeur perdue, sacrifiée sur l'autel de l'Amérique bien-pensante.
____
Pour en savoir plus sur Nan Goldin et sur ses combats, notamment en lien avec la crise des opioïdes aux Etats-Unis, nous vous recommandons le film documentaire de Laura Poitras, "Toute la beauté et le sang versé", actuellement sur les écrans.
Mes Sorties Culture / Sonia Zannad
szannad@messortiesculture.com
De ce monde et de son mode de vie trash et précaire, elle n'élude rien : ni la fatigue, ni l'insouciance, ni la drogue, ni la maladie, ni le sexe. Chez elle, la fête côtoie la souffrance, la romance fait parfois place aux violences conjugales, et partout, elle célèbre l'amitié et la liberté, n'hésitant pas au passage à se dévoiler et à montrer les plus prosaïques de ses actions. Les regards semblent défier la mort, et les scènes les plus banales deviennent, dans l'œil de Goldin, autant de manifestations du désir, de l'amour, de la rage de vivre.
Voyeuriste et exhibitionniste, elle n'a pas peur de détonner, de choquer, de prendre une place qui jusqu'alors semblait réservée aux hommes. Si ses images semblent toujours spontanées, prises sur le vif, la composition et la lumière n'y doivent rien au hasard ; Goldin, qui a fui sa famille a l'âge de 15 ans avec le désir d'échapper au conformisme petit-bourgeois, s'est formée à la photo a inventé le langage visuel de l'intimité.
Une "Balade" mouvementée
Son œuvre la plus célèbre n'est pas une photo, mais un vaste ensemble d'images, un diaporama de 45 minutes que l'artiste a intitulé "La Balade de la dépendance sexuelle". Le titre annonce la couleur : rien ne nous sera caché. Avec cette oeuvre qui fut longtemps "in progress", montrée à ses amis artistes dans des bars et des soirées selon différents ordonnancements, Goldin nous fait entrer dans sa famille de cœur et dans son intimité d'une manière inédite – si, aujourd'hui, le fait d'exposer son intimité et ses états d'âme n'a plus rien de révolutionnaire, notamment avec les réseaux sociaux, c'était parfaitement neuf et très audacieux à son époque.
Les quelque 700 photos de "La Balade" nous renseignent sur une époque et un monde alternatif, comme un portrait de l'Amérique en creux : celui des artistes, des drag-queens, des gays, de toute une communauté queer et souvent droguée, qui sera malheureusement décimée par le Sida dans les années 1990. Cela non plus, Nan Goldin ne le cache pas : dans la "Balade" on rencontre certains de ses amis, comme l''autrice et actrice Cookie Mueller, qu'elle adorait ; on la voit souriante et décadente, au sommet de sa gloire, le jour de son mariage ; un peu plus tard, le profil de Cookie, reposant dans son cercueil, se dévoile dans une poignante photo en noir et blanc.
"La Balade" est aussi une œuvre musicale, dont la bande-son a elle aussi changé plusieurs fois, ajoutant à la très forte charge émotionnelle de ce témoignage.
Barbara, le fantôme omniprésent
Pour comprendre le travail de Nan Godlin, il faut comprendre qu'elle a été traumatisée par le suicide de sa sœur : elle n'avait que 11 ans quand sa sœur aînée Barbara a mis fin à ses jours après plusieurs séjours dans des hôpitaux psychiatriques. Nan Goldin découvrira plus tard que sa sœur ne souffrait d'aucune pathologie mentale, mais que son homosexualité avait été condamnée par ses parents, et qu'elle avait été réduite au silence et internée pour cette raison.
Après cet événement, ne voulant plus perdre la trace des gens qu'elle aimait, elle s'est formée à la photographie et a cherché sa vie durant à documenter ses rencontres amicales et amoureuses, afin de garder trace de son histoire, d'exercer une forme de contrôle sur sa mémoire. L'humanité et l'empathie qui se dégagent de ses images, pas toujours faciles à regarder, en font un témoignage bouleversant et habité, une réflexion sur la fragilité de la mémoire, en même temps qu'un cri de colère et de manque adressé et offert à sa soeur perdue, sacrifiée sur l'autel de l'Amérique bien-pensante.
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Pour en savoir plus sur Nan Goldin et sur ses combats, notamment en lien avec la crise des opioïdes aux Etats-Unis, nous vous recommandons le film documentaire de Laura Poitras, "Toute la beauté et le sang versé", actuellement sur les écrans.
Mes Sorties Culture / Sonia Zannad
szannad@messortiesculture.com