Monument aux Héros de l'Armée Noire
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Je suis un monument à Reims. Mais pas n’importe lequel… le Monument aux Héros de l'Armée Noire, un monument avec cinq vies…   


Ma première vie commence en 1924, non, non, plutôt en 1914. La Première Guerre Mondiale éclate. Très vite la France fait appel à ses colonies, notamment aux Tirailleurs Sénégalais, ce terme désignant l'ensemble des soldats africains noirs se battant sous le drapeau français.

Début 1918, après la stabilisation du front, le général Luddendorff fait de la prise de Reims le pivot de la résistance allemande à l’avancée des alliés. Le 1er corps d'armée coloniale et les troupes de marine viennent alors occuper le secteur de Reims. Les Allemands lancent une offensive puis tentent de prendre pied sur la montagne de Reims. Ils se voient opposer la résistance acharnée des tirailleurs. Ceux-ci s'illustrent de nouveau quelques jours plus tard au prix de combats violents. Les troupes allemandes reculent enfin en Octobre...   

Les fabricants de champagne Pommery offrent un terrain pour me construire et je suis inauguré le 13 juillet 1924 par le ministre des Colonies. Une fête militaire et sportive est organisée avec un défilé de l'Armée coloniale. Je suis constitué d’un socle en granit rapporté d’Afrique. Les noms des principales batailles au cours desquelles les troupes africaines ont été engagées pendant la Première Guerre Mondiale y sont gravés. Le socle est surmonté d’un bronze représentant un groupe de soldats noirs derrière un officier blanc tenant le drapeau français, représentation traditionnelle à l'époque coloniale...

J’ai un jumeau à Bamako, inauguré le 3 janvier 1924, qui lui, est toujours en place.


Ma seconde vie, si on peut appeler ça ainsi, commence en 1940. Les Allemands reviennent en France et me détruisent. Chargé sur wagon en gare de Reims, je pars pour une destination inconnue. En fait, j’ai probablement été envoyé à la fonte pour en récupérer le métal. 


Ah, ma troisième vie, peu glorieuse ! Je suis juste une stèle inaugurée en 1958 avec cette simple inscription : "La Ville de Reims à ses défenseurs. Les troupes coloniales et les anciens combattants coloniaux à leurs morts". A cette époque de décolonisation, on ne prend pas le risque de reproduire quatre soldats noirs avec un officier blanc !


Ma quatrième vie est déjà mieux. Dès 1959, le maire de Reims souhaite rebâtir le monument à l'identique et cherche alors à rassembler tous les documents le permettant. Mais le groupe original en plâtre et les études ont disparu. Et puis le monument orignal évoque beaucoup trop le côté colonialiste pendant la Première Guerre Mondiale !

Je renais donc sous la forme de deux obélisques blancs de 7 mètres de haut. Je suis inauguré le 6 octobre 1963 avec une plaque sur laquelle est écrit : "Ici fut érigé en 1924 un monument qui témoignait de la reconnaissance de la ville envers ses soldats africains qui défendirent la cité en 1918. L’occupant détruisit, par haine raciale le Monument aux Noirs en septembre 1940. Les anciens combattants ont tenu à ce que son souvenir demeure dans notre mémoire.".


Mais mon histoire ne s’arrête pas là. Ma cinquième et dernière vie… À l'approche du centenaire de la Première Guerre mondiale, l'idée de restituer le monument initial est lancée. Je suis donc maintenant composé d’un groupe en bronze des cinq tirailleurs, reposant sur un piédestal en basalte. Plus d'officier blanc. Le 6 novembre 2018, dans le cadre des célébrations du centenaire de l'armistice de 1918, le président français Emmanuel Macron et son homologue malien président ma cérémonie d'inauguration. Je peux maintenant couler des jours tranquilles… 

Voulez-vous que je vous dise ? Et bien je suis vraiment très fier de rendre visible le combat de centaines de milliers de combattants Africains, Magrébins, Antillais, Réunionnais, Guyanais, Kanaks. Plus de 30,000 d’entre eux sont morts sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, sacrifiant leur vie pour la nation française.


Explication des images affichées : 
 - en haut à gauche : monument de 1924 
 - juste à côté : stèle de 1958 
 - en bas : monument de 1963
 - à droite : monument actuel
 

Dans son roman Le terroriste noir, Tierno Monenembo a raconté l'histoire de Addi Ba, figure de la résistance en 1940, créateur du premier maquis des Vosges

Raphaël Confiant, dans son roman Le bataillon créole a rendu hommage aux Antillais venus se battre pendant la Grande Guerre en métropole

David Diop, dans Frères d'armes, donne la parole à un vieux tirailleur qui raconte ce qu'il a vu

Dans la bande dessinée Un tirailleur sénégalais dans la Grande Guerre, Demba Diop nous raconte le rude quotidien d'un tirailleur


Léopold Ségar Senghor, dans son poème Liminaire (1940), évoque le sacrifice des Tirailleurs Sénégalais :   

Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort 
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ? 
Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux 
Je ne laisserai pas – non ! - les louanges de mépris vous enterrer furtivement.   

Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur 
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France.   

[…]   

Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang 
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude, couchés sous la glace et la mort ? 


Hommage !

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