Lily of the Valley
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Au commencement, il y a la fleur...

Le 1er mai est, en Europe, dédié à l'amour. Il est coutumier de se coiffer d'une couronne de feuillages et de fleurs, ou d'en offrir une à la personne aimée. La tradition d'offrir du muguet, jolie fleur odorante - et toxique, attention - serait née le 1er mai 1561. Ce jour-là, ayant reçu du muguet, le roi Charles IX décide, que dorénavant, les dames de la cour recevront cette fleur à clochettes blanches tous les ans.
Le muguet gagne en popularité au fil des siècles. Il est appelé, au 18e siècle, "Lys de la vallée", en référence à son nom savant donné par les apothicaires. Cette dénomination se retrouve dans son nom anglais "Lily of the valley".

...puis viennent les fusils...

Le 1er Mai 1886, à Chicago, débute la lutte syndicale menée pour obtenir la réduction de la journée de travail à huit heures. Le 3 mai, des policiers tirent sur les manifestants, tuant deux ouvriers. Des militants appellent alors à une manifestation de protestation. Le 4 mai, la police débarque brutalement, armée, pour mettre fin au rassemblement. Le bilan des échauffourées est lourd : huit policiers et quatre manifestants sont tués et on compte des dizaines de blessés. Plusieurs centaines personnes sont arrêtées. Sept sont pendus...

En 1889, lors de la IIe Internationale socialiste, à Paris, les participants décident de faire du 1er mai la journée internationale de manifestations pour la journée à huit heures. Le 1er mai 1890, l'événement est ainsi célébré dans la plupart des pays, avec des participations diverses.

Mais le 1er mai 1891, la mobilisation, en France, est marquée par un drame : à Fourmies, dans le Nord, l’armée tire sur des grévistes. Neuf personnes sont tuées, dont deux enfants. Après ce drame, le 1er mai et ses défilés s’enracinent peu à peu dans la tradition de lutte des ouvriers et s’internationalisent.

Dès 1890, les manifestants arborent sur la poitrine un triangle rouge, symbolisant les "trois-huit" de leurs revendications : "8 heures de travail, 8 de sommeil, 8 de loisirs". En France, l'églantine rouge supplante vite le triangle à la boutonnière des ouvriers.

...et encore les fusils, et un peu d'art...

En 1886, la Belgique traverse une grave crise économique : forte baisse des salaires, chômage généralisé, journée de treize heures pour ceux qui ont du travail. Une vague d'émeutes et de grèves ouvrières balaie le pays. Elle est réprimée dans le sang, tuant plusieurs dizaines de manifestants.
Robert Koehler (1850-1917) est un peintre allemand. Une de ses peintures les plus célèbres est "La Grève dans la région de Charleroi", inspiré de la grande grève de 1877, qui atteint tous les centres ferroviaires, tue plus de 40 personnes, et voit la ville de Pittsburgh, aux Etats-Unis, occupée par les insurgés.

De mi-1899 à mi-1900, les usines du Creusot connaissent plusieurs grèves portant sur la création d’un syndicat, les cadences de travail et les salaires. Le 24 septembre 1899, une grande manifestation réunit plus de 7,000 personnes, au cours de laquelle les Creusotins remercient leurs voisins de Montchanin pour leur soutien.
Jules Adler (1865-1952), le Zola de la peinture, surnommé "le peintre des humbles", est connu pour ses représentations du monde ouvrier et de sa misère. Il est présent au défilé, et tous les éléments constitutifs du tableau sont réels. 

...pour ne garder que la fleur et l'art.

Johan Laurentz Jensen (1800-1856) est un artiste danois spécialisé dans la peinture de fleurs. Il les dispose généralement en bouquet dans un vase, ou sur un plateau. Un fond neutre foncé contribue à leur donner tout leur éclat.

Le 23 avril 1919, sous la pression sociale, le Sénat ratifie la loi sur la journée de huit heures. En 1941, Pétain fait officiellement du 1er Mai "la Fête du Travail et de la Concorde sociale" et cette journée devient chômée. Son objectif est de rallier les ouvriers au régime de Vichy. Il bannit l’églantine rouge, trop... rouge et socialiste à son goût, et la remplace par une fleur blanche, le muguet. 

En 1945, la mesure est conservée et, depuis, le 1er mai est un jour férié chômé et payé pour tous les salariés, où, pour un brin de muguet, on se rue chez son fleuriste préféré, ou vers les étals des marchands au bord des routes.


Tableaux dans l'image :
1 – La Grève au Creusot, Jules Adler, 1899, Musée des Beaux-Arts de Pau, France
2 – La Grève dans la région de Charleroi, Robert Koehler, 1886, Musée de l’Histoire Allemande, Berlin, Allemagne
3 – Muguet et gentiane, Johan Laurentz Jensen, 19e siècle, Musée Nivaagaard, Danemark


Votre rédacteur vous propose quelques incontournables :

Durant l'été 1902, Jack London descend au cœur des ténèbres de l'empire le plus puissant de la planète pour y vivre le quotidien des pauvres de l'East End de Londres. Il en ressort un livre puissant, au nom évocateur, Le peuple d'en bas.

En 1906, la parution de son livre La Jungle provoque un scandale sans précédent : Upton Sinclair y dévoile l’horreur de la condition ouvrière dans les abattoirs de Chicago aux mains des trusts de la viande. L’auteur, menacé par les cartels mais porté par le mécontentement populaire, est reçu à la Maison-Blanche par le président Theodore Roosevelt.

Sans oublier Germinal, qui est, dans la France moderne et industrielle, les "Misérables" de Emile Zola. Ce roman des mineurs, c'est aussi l'Enfer, dans un monde dantesque, où l'on "voyage au bout de la nuit".

N'oublions pas John Steinbeck et En un combat douteux, roman sur les ouvriers outre-Atlantique, qui raconte une grève aux Etats-Unis dans les années 30, mettant en scène Mac un militant activiste communiste et Jim qui va apprendre ce qu’est le combat social auprès de Mac. Tous deux vont se rendre dans une vallée de Californie afin d’inciter les ouvriers agricoles qui subissent des baisses de salaire à faire grève. 

Et un excellent documentaire de ARTE, Le temps des ouvriers, véritable histoire de la classe ouvrière européenne. Du début du 18e siècle à nos jours, Stan Neumann déroule l’histoire du monde ouvrier européen, rappelant en une synthèse éblouissante tout ce que nos sociétés doivent aux luttes des "damnés de la terre".


Comme tout finit en chanson, en joignant l'art à la révolte, votre rédacteur ne résiste pas à vous refaire écouter "L'Internationale". C’est un chant révolutionnaire dont les paroles sont écrites par Eugène Pottier en 1871, lors de la répression de la Commune de Paris, et dont la musique est composée par le belge Pierre Degeyter à Lille en 1888.


Joyeux Muguet ! Bon défilé !



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