Les Tirs de Nikki de Saint-Phalle, un geste de révolte
Célèbre et célébrée pour ses fameuses « Nanas », qui ornent notamment la fontaine Stravinsky qui jouxte le Centre Pompidou, Nikki de Saint-Phalle était une féministe convaincue. On l'associe d'emblée à ces personnages ronds, colorés et pleins de gaieté, mais l'artiste avait aussi en elle une part d'ombre et de colère qu'elle a exorcisé à travers une autre série de travaux (antérieurs aux « Nanas ») : ses « Tirs ».

Rattrapée par les peurs de son enfance, Nikki de Saint Phalle décide, au début des années 60, de concevoir un dispositif de peinture inédit, et invente une forme de violence… non-violente : à l'aide d'une carabine et avec habileté, elle tire sur des tableaux préparés à l'avance, faits d'images, de plâtre, d'objets collés (bustes masculins, objets religieux, poupées…) mais aussi de sacs de peinture qui explosent au moment de l'action, le tout étant recouvert de peinture blanche.

Il y a donc une première œuvre, un premier moment, avec un objet abstrait, blanc et en relief ; puis le moment de la performance, qui se déroule en public : l'artiste n'hésite pas à se donner en spectacle, et se plaît à renverser les stéréotypes de genre. Se saisir d'une arme, et se montrer dans une posture considérée comme virile est une action politique en soi, une revendication féministe propre à marquer les esprits, et qui donne lieu à de nombreuses photographies.

Vient enfin l'œuvre finale, qui ne cache rien de la violence symbolique qui lui a donné naissance : on devine les impacts sur les tableaux, et on voit distinctement les coulures de peinture, comme autant de blessures jamais refermées.

Violée par son père à l'âge de 11 ans, Nikki de Saint-Phalle, qui commença sa carrière comme mannequin et n'a suivi aucun parcours académique, en connaît un rayon en matière de domination masculine. A travers les tirs, elle prend sa revanche. D'objet, elle devient sujet ; elle cesse d'être victime pour imposer sa marque. Enfin, ces performances sont surtout l'occasion de rendre ses souffrances visibles et de les sublimer à travers un geste qui choque les commentateurs de l'époque – est-ce bien là le rôle d'une femme ?- sans toujours comprendre qu'il faudrait être choqué par ce que l'artiste dénonce : pour exprimer les douleurs réelles des femmes, elle nous tend simplement le miroir symbolique des blessures infligées à ces tableaux qui "saignent". Un détour cathartique et puissant, qui continue de nous interpeller. 

Mes Sorties Culture / Sonia Zannad

szannad@messortiesculture.com 
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