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Marc Josse - MuMo
Le
3 June 2016,
Le MuMo ou Musée
Mobile, c’est un camion un peu spécial qui se pose devant les écoles et se
transforme comme par magie en musée d’art contemporain.
Lucie Avril est la responsable
opérationnelle en charge de la coordination des tournées (ce camion, c’est un peu une rock
star !), et elle s’occupe aussi des partenariats, des aspects logistiques,
du suivi des équipes et des outils pédagogiques. Nous l’avons rencontrée pour
en savoir plus sur ce musée pas comme les autres !
MSC : Comment est né le MuMo ?
L. Avril : Tout est parti d’une volonté de la fondatrice, Ingrid Brochard. Durant son enfance en Touraine, elle n’a pas eu l’occasion d’aller au musée ou de vivre des expériences artistiques, ni dans cadre familial, ni dans le cadre scolaire. Jeune, elle est partie travailler dans les cosmétiques entre la France et l’Asie, mais c’est un milieu qui ne la satisfaisait pas complètement. Sa curiosité pour le monde de l’art a pris le dessus : chemin faisant, elle a commencé à rencontrer de plus en plus d’artistes, s’est initiée et intéressée à l’art contemporain. Elle s’est alors lancée dans la création d’un magazine dédié à l’art contemporain, « Be contemporary », un trimestriel (qui ne paraît plus aujourd’hui). Après un passage par l’animation télé sur Direct 8, Ingrid a eu envie de réfléchir à un outil pour transmettre sa passion art contemporain, et a décidé de créer une sorte de « Bibliobus » de l’art contemporain, destiné aux enfants.
Pourquoi s'adresser aux enfants en particulier ?
Déjà à cause de son histoire personnelle, de ce qui lui avait manqué, petite. Et aussi, parce que c’est entre 6 et 12 ans que l’on fait les apprentissages fondamentaux. On apprend à regarder, ressentir, imaginer et partager.
Comment est venue l’idée du camion et des containers ?
Ingrid connaissait travail Adam Kalkin, un architecte qui exploite l’espace des containers. Elle est allée le rencontrer, et c’est lui qui a créé le container du MuMo, sectionné en 3 parties, qui se déploie grâce à système hydraulique Ensuite, elle est allée chercher les artistes, et pas des moindres : Huang Yong Ping, Daniel Buren, Maurizio Cattelan…
Les œuvres présentées au MuMo sont-elles spécifiquement destinées aux enfants ?
Le projet leur est destiné, mais l’idée c’est vraiment d’avoir la plus grande exigence et ambition pour les enfants. Pierre Huygues l’a souligné lui-même : « les artistes n’ont pas simplifié leur propos » pour le MuMo. Pour nous, c’est très important.
Où va le camion du MuMo en priorité ?
Il va là où il y a peu ou pas de propositions culturelles. Dans les zones rurales, dans les quartiers « politiques » de la ville (comprendre les quarties défavorisés, NDLR). Le camion stationne au plus près des écoles, ou sur les places de villages.
Et ça marche bien ?
Oui, les enfants sont ravis, et accueillent toujours l’expérience avec beaucoup de plaisir. En plus, ils ont moins d’inhibitions, moins de barrières psychologiques à l’égard de l’art contemporain.
Pourquoi l’art contemporain, d’ailleurs ?
Simplement parce que c’est l’art de maintenant, donc c’est celui de leur époque. C’est aussi celui qui utilise les technologies d’aujourd’hui. Voyez le travail de James Turrell par exemple.
Concrètement, ça se passe comment ?
D’abord, il faut quinze minutes pour que le MuMo se « déploie ». Puis, nous accueillons 2 à 3 classes par jour, tandis que le soir, le MuMo est ouvert à tous. Niveau équipe, il y a évidemment le conducteur : c’est lui qui ouvre et ferme le camion, et il dort dedans. Il assiste aussi l’équipe de médiation dans le déroulement des visites. Avec lui, il y a un ou deux médiateurs spécialisés en art contemporain et habitués au jeune public. Ils organisent des visites qui durent de 45 minutes à 1 heure en fonction du niveau. En amont, on intervient auprès enseignants pour un temps sensibilisation à histoire de l’art et de l’art contemporain, et on réfléchit ensemble aux prolongements pédagogiques de l’expérience. En aval, les enseignants organisent des ateliers artistiques. Nous nous appuyons aussi sur les conseillers pédagogiques, qui sont une ressource précieuse : ils forment les enseignants sur tel ou tel aspect artistique et font le lien entre eux et nous.
Quelle est l’actualité du MuMo ?
Le camion revient de 4 mois de tournée. Depuis 5 ans, on a rencontré 80 000 enfants à travers 7 pays : la France, la Belgique, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Suisse, le Luxembourg et l’Espagne.
Comment se fait le choix des artistes présentés ?
Ils sont choisis par Ingrid et par un comité de sélection présidé par Sam Samore, photographe américain, qui comprend aussi l’historienne d’art Françoise Claire Prodhon, et d’autres personnalités du monde de l’art. Nous tournons avec 14 œuvres de base. Certaines sont changées au fil du temps et parfois nous mettons à l’honneur un artiste en particulier. En outre, certains artistes du MuMo se sont déplacés. C’est le cas de Claude Lévêque, qui a exposé pendant plus d’un an avec son installation « nous irons jusqu’au bout ». Il est venu à Nevers, en Bourgogne (sa ville natale). Il est intervenu pendant une semaine avec des enfants de CM1 et de CM2 de quartiers difficiles. Ensemble, ils ont parcouru les lieux de son enfance. Il a récolté des impressions qui lui ont servi de matériau pour créer une nouvelle oeuvre qui a été exposée à la FIAC 2014, issue d’une autre phrase prononcée par un enfant de Nevers dans une église : « je suis venu ici pour me cacher ».
Quelle est l’œuvre qui a le plus de succès ?
Sans conteste l’installation lumineuse de James Turrell. C’est une boule en résine qui produit une lumière qui change de couleur, donnant l’impression d’un espace infini. Les enfants sont en tête-à-tête avec l’œuvre, un par un, pendant 1 à 2 minutes. C’est l’œuvre qu’ils préfèrent. Ça se passe de mots, c’est métaphysique. En Afrique, des enfants y ont vu leurs ancêtres…
Le MuMo, si je comprends bien, c’est un projet international ?
Oui, nous misons sur la mobilité, qui nous permet de toucher un grand nombre d’enfants. Nous nous appuyons sur le mouvement
international Agir Tous pour la Dignité pour toucher les enfants des quartiers défavorisés et des pays en développement. Quand le MuMo s’est posé à Douala, 2000 enfants en ont profité. En Côte d’Ivoire, à Treshville, ils étaient 4000 ! ATD a des antennes dans chaque pays, et permet de capter des enfants à peine scolarisés, qui seraient difficiles à toucher via l’école. A Madrid, cela nous a permis d’atteindre les enfants des bidonvilles. Il y a donc une visée sociale et humanitaire à ce projet.
J’imagine que les esprits chagrins vous demandent si les enfants défavorisés n’ont pas besoin de ressources plus essentielles que l’art contemporain…
Comme le disait une directrice d’école de Douala : avec le MuMo, c’était la première fois qu’une association venait offrir autre chose que du matériel. Evidemment, les enfants des pays en développement et des quartiers difficiles ont besoin de vivre cela aussi, de se nourrir d’art. Leur dignité passe aussi par l’accès à d’autres considérations que le matériel.
Quelles sont les perspectives, aujourd’hui, pour le MuMo ?
Après 5 ans de route, la tournée prend fin en juin 2016. Nous avons reçu un coup de pouce avec le programme « la France s’engage », soutenu par le Ministère de la jeunesse. Le MuMo, lauréat 2015 de « la France s’engage » a reçu une aide stratégique et financière de l’état pour un nouveau musée qui va permettre la mise en circulation des œuvres conservées par les FRAC (Fonds Régionaux d’Art Contemporain). Le MuMo « nouvelle génération » va donc visiter 2 à 4 régions par an, sur le territoire national. L’exposition sera renouvelée dans chaque région, donc les enfants du Nord-Pas-de-Calais ne verront pas la même chose que ceux du Poitou-Charentes. Autre nouveauté, l’exposition se tiendra dans un bus et plus dans un container, ce qui nous permettra d’accueillir les visiteurs en situation de handicap. La surface d’exposition reste équivalente, de 40 à 50 m2, et il y aura un espace de projection et une salle modulable. Avec le nouveau MuMo nous serons en Ile-de-France quelques semaines au printemps 2017 (dates à confirmer). Ensuite ce sera la
Normandie pendant l'été et les Pays de la Loire à l'automne 2017.
Visitez le site du MuMo pour en savoir plus
Propos recueillis par Sonia Zannad / Mes sorties culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com
MSC : Comment est né le MuMo ?
L. Avril : Tout est parti d’une volonté de la fondatrice, Ingrid Brochard. Durant son enfance en Touraine, elle n’a pas eu l’occasion d’aller au musée ou de vivre des expériences artistiques, ni dans cadre familial, ni dans le cadre scolaire. Jeune, elle est partie travailler dans les cosmétiques entre la France et l’Asie, mais c’est un milieu qui ne la satisfaisait pas complètement. Sa curiosité pour le monde de l’art a pris le dessus : chemin faisant, elle a commencé à rencontrer de plus en plus d’artistes, s’est initiée et intéressée à l’art contemporain. Elle s’est alors lancée dans la création d’un magazine dédié à l’art contemporain, « Be contemporary », un trimestriel (qui ne paraît plus aujourd’hui). Après un passage par l’animation télé sur Direct 8, Ingrid a eu envie de réfléchir à un outil pour transmettre sa passion art contemporain, et a décidé de créer une sorte de « Bibliobus » de l’art contemporain, destiné aux enfants.
Pourquoi s'adresser aux enfants en particulier ?
Déjà à cause de son histoire personnelle, de ce qui lui avait manqué, petite. Et aussi, parce que c’est entre 6 et 12 ans que l’on fait les apprentissages fondamentaux. On apprend à regarder, ressentir, imaginer et partager.
Comment est venue l’idée du camion et des containers ?
Ingrid connaissait travail Adam Kalkin, un architecte qui exploite l’espace des containers. Elle est allée le rencontrer, et c’est lui qui a créé le container du MuMo, sectionné en 3 parties, qui se déploie grâce à système hydraulique Ensuite, elle est allée chercher les artistes, et pas des moindres : Huang Yong Ping, Daniel Buren, Maurizio Cattelan…
Les œuvres présentées au MuMo sont-elles spécifiquement destinées aux enfants ?
Le projet leur est destiné, mais l’idée c’est vraiment d’avoir la plus grande exigence et ambition pour les enfants. Pierre Huygues l’a souligné lui-même : « les artistes n’ont pas simplifié leur propos » pour le MuMo. Pour nous, c’est très important.
Où va le camion du MuMo en priorité ?
Il va là où il y a peu ou pas de propositions culturelles. Dans les zones rurales, dans les quartiers « politiques » de la ville (comprendre les quarties défavorisés, NDLR). Le camion stationne au plus près des écoles, ou sur les places de villages.
Et ça marche bien ?
Oui, les enfants sont ravis, et accueillent toujours l’expérience avec beaucoup de plaisir. En plus, ils ont moins d’inhibitions, moins de barrières psychologiques à l’égard de l’art contemporain.
Pourquoi l’art contemporain, d’ailleurs ?
Simplement parce que c’est l’art de maintenant, donc c’est celui de leur époque. C’est aussi celui qui utilise les technologies d’aujourd’hui. Voyez le travail de James Turrell par exemple.
Concrètement, ça se passe comment ?
D’abord, il faut quinze minutes pour que le MuMo se « déploie ». Puis, nous accueillons 2 à 3 classes par jour, tandis que le soir, le MuMo est ouvert à tous. Niveau équipe, il y a évidemment le conducteur : c’est lui qui ouvre et ferme le camion, et il dort dedans. Il assiste aussi l’équipe de médiation dans le déroulement des visites. Avec lui, il y a un ou deux médiateurs spécialisés en art contemporain et habitués au jeune public. Ils organisent des visites qui durent de 45 minutes à 1 heure en fonction du niveau. En amont, on intervient auprès enseignants pour un temps sensibilisation à histoire de l’art et de l’art contemporain, et on réfléchit ensemble aux prolongements pédagogiques de l’expérience. En aval, les enseignants organisent des ateliers artistiques. Nous nous appuyons aussi sur les conseillers pédagogiques, qui sont une ressource précieuse : ils forment les enseignants sur tel ou tel aspect artistique et font le lien entre eux et nous.
Quelle est l’actualité du MuMo ?
Le camion revient de 4 mois de tournée. Depuis 5 ans, on a rencontré 80 000 enfants à travers 7 pays : la France, la Belgique, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Suisse, le Luxembourg et l’Espagne.
Comment se fait le choix des artistes présentés ?
Ils sont choisis par Ingrid et par un comité de sélection présidé par Sam Samore, photographe américain, qui comprend aussi l’historienne d’art Françoise Claire Prodhon, et d’autres personnalités du monde de l’art. Nous tournons avec 14 œuvres de base. Certaines sont changées au fil du temps et parfois nous mettons à l’honneur un artiste en particulier. En outre, certains artistes du MuMo se sont déplacés. C’est le cas de Claude Lévêque, qui a exposé pendant plus d’un an avec son installation « nous irons jusqu’au bout ». Il est venu à Nevers, en Bourgogne (sa ville natale). Il est intervenu pendant une semaine avec des enfants de CM1 et de CM2 de quartiers difficiles. Ensemble, ils ont parcouru les lieux de son enfance. Il a récolté des impressions qui lui ont servi de matériau pour créer une nouvelle oeuvre qui a été exposée à la FIAC 2014, issue d’une autre phrase prononcée par un enfant de Nevers dans une église : « je suis venu ici pour me cacher ».
Quelle est l’œuvre qui a le plus de succès ?
Sans conteste l’installation lumineuse de James Turrell. C’est une boule en résine qui produit une lumière qui change de couleur, donnant l’impression d’un espace infini. Les enfants sont en tête-à-tête avec l’œuvre, un par un, pendant 1 à 2 minutes. C’est l’œuvre qu’ils préfèrent. Ça se passe de mots, c’est métaphysique. En Afrique, des enfants y ont vu leurs ancêtres…
Le MuMo, si je comprends bien, c’est un projet international ?
Oui, nous misons sur la mobilité, qui nous permet de toucher un grand nombre d’enfants. Nous nous appuyons sur le mouvement
international Agir Tous pour la Dignité pour toucher les enfants des quartiers défavorisés et des pays en développement. Quand le MuMo s’est posé à Douala, 2000 enfants en ont profité. En Côte d’Ivoire, à Treshville, ils étaient 4000 ! ATD a des antennes dans chaque pays, et permet de capter des enfants à peine scolarisés, qui seraient difficiles à toucher via l’école. A Madrid, cela nous a permis d’atteindre les enfants des bidonvilles. Il y a donc une visée sociale et humanitaire à ce projet.
J’imagine que les esprits chagrins vous demandent si les enfants défavorisés n’ont pas besoin de ressources plus essentielles que l’art contemporain…
Comme le disait une directrice d’école de Douala : avec le MuMo, c’était la première fois qu’une association venait offrir autre chose que du matériel. Evidemment, les enfants des pays en développement et des quartiers difficiles ont besoin de vivre cela aussi, de se nourrir d’art. Leur dignité passe aussi par l’accès à d’autres considérations que le matériel.
Quelles sont les perspectives, aujourd’hui, pour le MuMo ?
Après 5 ans de route, la tournée prend fin en juin 2016. Nous avons reçu un coup de pouce avec le programme « la France s’engage », soutenu par le Ministère de la jeunesse. Le MuMo, lauréat 2015 de « la France s’engage » a reçu une aide stratégique et financière de l’état pour un nouveau musée qui va permettre la mise en circulation des œuvres conservées par les FRAC (Fonds Régionaux d’Art Contemporain). Le MuMo « nouvelle génération » va donc visiter 2 à 4 régions par an, sur le territoire national. L’exposition sera renouvelée dans chaque région, donc les enfants du Nord-Pas-de-Calais ne verront pas la même chose que ceux du Poitou-Charentes. Autre nouveauté, l’exposition se tiendra dans un bus et plus dans un container, ce qui nous permettra d’accueillir les visiteurs en situation de handicap. La surface d’exposition reste équivalente, de 40 à 50 m2, et il y aura un espace de projection et une salle modulable. Avec le nouveau MuMo nous serons en Ile-de-France quelques semaines au printemps 2017 (dates à confirmer). Ensuite ce sera la
Normandie pendant l'été et les Pays de la Loire à l'automne 2017.
Visitez le site du MuMo pour en savoir plus
Propos recueillis par Sonia Zannad / Mes sorties culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com