La" Muta" de Raphaël, ou l’autre Joconde
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Il est une toile de 1507 signée du grand Raphaël qui ne se trouve pas dans l’un des grands musées d’Italie. Elle y aurait pourtant toute sa place. Cachée au fond d’une salle du palais ducal d’Urbino, ville natale du peintre, dans les Marches, elle attend patiemment le visiteur, qui, surpris par sa beauté, est attiré par son regard, puis fasciné par les détails magnifiques de la toile : le modelé du visage, l’expression énigmatique qui fait de l’ombre à la Joconde, la délicatesse des mains, et le sublime détail que l’on ne perçoit qu’en s’approchant tout près : l’ombre du collier sur le décolleté, qui permet de deviner le tracé de la clavicule.  

On croit d’abord à une toile de Léonard de Vinci, et ce n’est pas par hasard : Raphaël a étudié auprès de lui, à Florence. Il lui emprunte la mise en scène de la figure aux trois quarts, qui semble sortir progressivement de l'ombre. C’est une technique qui permet à la fois de faire ressortir le vêtement (traité ici avec une maîtrise étourdissante) et de donner plus de profondeur psychologique au personnage.  

Dans les portraits de Raphaël, l'habillement revêt toujours une grande importance : il indique le rôle social de la personne représentée et permet l'idéalisation de la pose. La femme du portrait porte la "gamurra", la robe typique de la Renaissance italienne.  

Mais qui est-elle, cette mystérieuse « Muta » (la Muette) ? Il s’agit probablement de Giovanna Feltria della Rovere, fille de Federico da Montefeltro et mère de Francesco Maria della Rovere, duc d'Urbino de 1508 à 1538, qui fut le protecteur de Raphaël. Si on l’a surnommée « la Muta », c’est certainement en raison de ses lèvres scellées, presque pincées, comme si elle retenait un secret ou un chagrin très lourd à porter.  Et en effet, Giovanna a des raisons d'être triste: elle a a perdu son mari en 1501. La couleur verte de sa robe ainsi que le détail du mouchoir que la femme tient dans sa main gauche sont à la fois symboles de deuil et de veuvage.  

Les recherches effectuées sur la toile montrent que sous l'image actuelle, il existe une autre version de la peinture : Raphaël a probablement peint le même sujet en deux phases. La première ébauche représente une femme plus jeune, avec des formes plus douces, des cheveux ondulés et un plus grand décolleté. Mais le personnage visible dans la version actuelle de la toile présente une expression plus austère, les cheveux attachés, la position de ses épaules a légèrement changé et le décolleté s’est assagi. Des changements sans doute liés au fait que Giovanna est devenue veuve entre la première et la deuxième version du tableau.    

Sonia Zannad / Mes sorties culture
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