La copie, source d'authenticité
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En ce moment, Catherine Courdil-Bouthinon (Atelier Troisième Art) copie une Vanité de Van Hemessen au Palais des Beaux-Arts de Lille, où les visiteurs peuvent la voir travailler chaque vendredi, aux horaires d’ouverture du musée. Nous sommes allées à sa rencontre et avons fait connaissance d’une femme libre, perfectionniste et passionnée, qui sait partager son amour de l'art.      

Mes Sorties Culture : Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre parcours ? Avez-vous toujours su que vous vouliez faire ce métier ?
 

Catherine Courdil-Bouthinon :
J'ai toujours dessiné et dès l'enfance j'ai su que je voulais être peintre, mais je ne savais pas encore que j'allais me consacrer essentiellement à la copie de tableaux de maîtres. J'ai commencé mes études artistiques à l'ESAG (École Supérieure d'Arts Graphiques) à Paris, puis à l'École des Beaux-Arts de Lille, où j'ai pu entrer dans l'atelier de peinture dont je rêvais.  Malheureusement je n'ai pas trouvé en atelier l'enseignement que j'attendais, déjà en voie de disparition. Après sept ans d'études, dont une année aux Beaux-Arts de Rouen en atelier de gravure, j'avais de bonnes bases dans plusieurs disciplines artistiques mais j'en savais très peu sur les techniques  de la peinture à l'huile. C'est après  mes études que j'ai entrepris des recherches personnelles sur ces techniques, notamment par la copie de tableaux de maîtres, comme on le faisait autrefois dans les ateliers. L'arrivée d'Internet a été un tournant dans la qualité de ces recherches, qui m'a permis de trouver toutes les informations et les  images dont j'avais besoin, en particulier l'accès à distance aux musées du monde entier !  

MSC : Pourquoi avoir opté pour la copie de grands maîtres ?


CCB 
: La copie de tableaux de grands maîtres s'est imposée à moi comme une évidence,  suite logique de tous mes choix antérieurs,  pour l'immense plaisir de peindre des chefs-d'oeuvres !  

MSC : Pourquoi ce choix délicat dans un monde où la copie n'a plus sa place, où l'originalité est un impératif absolu , où la transgression est la règle, jusqu'à faire disparaître l'oeuvre elle-même?
 

CCB
 : Pour l'amour de la peinture. Car « ce sont nous les peintres, les vrais héritiers, ceux qui continuent à peindre, nous sommes les héritiers de Rembrandt, Velasquez, Cézanne, Matisse, un peintre a toujours un père et une mère, il ne sort pas du néant ! » disait Picasso.

MSC : Vous êtes comme un musicien qui interprète une partition
 

CCB 
: C'est tout à fait cela, oui ! J'interprète une œuvre, et j'éprouve le même plaisir qu'un musicien quand il interprète une œuvre musicale. C'est une comparaison que je fais souvent quand on me demande pourquoi je fais des copies, et qui permet de me faire comprendre facilement. À quelques exceptions près, mes clients me demandent d'être fidèle à l'original et j'essaie autant que possible de m'effacer devant le peintre que je copie, pourtant je ne suis jamais autant moi-même que dans cet acte de peindre l'oeuvre d'un autre, où j'exerce mon art !  

MSC : Quels sont les secrets d'une copie réussie ?
 

CCB 
: L'amour en premier lieu, et le métier en second ! La maîtrise du dessin est indispensable, les connaissances techniques également. Beaucoup s'imaginent qu'il suffit d'être doué pour devenir peintre. Il faut de nombreuses années de pratique pour faire une copie réussie et chaque nouvelle œuvre est une nouvelle expérience. C'est un travail aussi intellectuel qu'artistique,  qui nourrit tous les aspects de ma personnalité !  

MSC : Avez-vous été élevée dans l'amour de l'art ?
 

CCB 
: Indirectement. J'ai été élevée dans l'amour de la culture en général, dans une famille originale et ouverte, qui m'a toujours accompagnée dans mon projet.  

MSC : On vous demande sans doute souvent si vous avez envie de développer une œuvre personnelle 
 

CCB :
Cela arrive quelquefois,  surtout venant d' amateurs d'art contemporain, qui ne peuvent comprendre qu'on s'intéresse encore à la copie, qu'ils considèrent comme académique et dépassée. Je leur explique que produire un original n'est pas essentiel pour moi, que j'ai déjà tout à fait le sentiment d'être moi-même quand je réalise la copie d'une œuvre d'un grand maître sans le trahir !  Je n'exclus pas de réaliser une œuvre personnelle,  j'y travaille d'ailleurs en copiant. Les extraordinaires paysages de Joaquim Patinir m'inspirent beaucoup  ! Mais à fréquenter les plus grands peintres mon niveau d'exigence est difficile à atteindre !  

MSC : L'idée de prolonger le travail des maîtres, de poursuivre cet esprit d'atelier à travers les siècles et très belle aussi
 

CCB 
: Oui, c'est vrai, c'est d'ailleurs comme cela que les visiteurs du Palais des Beaux-Arts de Lille considèrent ma présence au musée et pour cela qu'ils admirent en général mon travail.  

MSC : Ces compétences sont utiles aux historiens de l'art.
 

CCB 
: En effet, il arrive que les peintres soient utiles à l'interprétations des études scientifiques. Mais le contraire est vrai également, et ces études fournissent aux peintres des informations essentielles sur la stratigraphie des tableaux et les matériaux utilisés. En revanche, le peintre peut savoir par l'expérience  quelle hypothèse est vraisemblable et quelle hypothèse ne l'est pas.  

MSC : Le choix du matériel est-il important ?
 

CCB
 : Le choix et la qualité du matériel sont essentiels !  Le support, toile ou bois, la préparation du support, les médiums, composés d'essences, d'huiles et de résines, qui, mélangés aux couleurs, offrent au peintre toute une gamme de moyens d'expression, tout participe à  l'aspect final du tableau. Le métier tel qu'il était pratiqué par les primitifs flamands, techniquement si parfait,  s'est progressivement perdu au fil du temps. On a  notamment peu à peu abandonné l'usage des résines au profit des huiles. Ce qui explique qu'un peintre comme Delacroix, malgré son talent, n'ait pas réussi à faire une copie correcte d'un portrait de Rubens, qui lui utilisait encore un mélange d'huile et de résine ! La bonne nouvelle c'est qu'aujourd'hui beaucoup de peintres s'investissent dans la recherche de cet ancien métier.  

MSC : Comment se passe une journée-type de votre vie de copiste ?
 

CCB
 : Au musée je  travaille en musique, que j'aime passionnément, pour me concentrer et m'abstraire du bruit qui règne dans les salles. Je réponds cependant volontiers aux questions des visiteurs. Se lever,  prendre du recul et comparer mon travail au tableau original fait partie de tous les moments de la séance ! J'utilise beaucoup l'ordinateur pour avoir les détails sous les yeux en travaillant. Au musée les séances sont plus courtes que dans mon atelier, de cinq à six heures, et souvent interrompues. Il y a un intérêt certain à faire durer les séances plus longtemps car la résine contenue dans la matière picturale prend une consistance particulière au bout de quelques heures,  qui me permet de la travailler différemment. Dans mon atelier je peux travailler plus de huit heures d'affilée. Je ne peins qu'à la lumière du jour. Les pause thé sont des  moments incontournables de ma journée !  

MSC : Quel est votre peintre préféré ?
 

CCB 
: Vermeer, sans hésitation,  mon modèle absolu pour la dimension spirituelle qu'il donne à sa peinture !  

MSC : Et si vous deviez résumer votre activité en une phrase ?
 

CCB 
: En trois mots :  une quête philosophique !      

Pour aller plus loin :

http://troisieme-art.com
http://www.pba-lille.fr/Collections/L-Atelier-du-copiste https://www.facebook.com/catherine.courdilbouthinon

Propos recueillis par Sonia Zannad / Mes sorties culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com

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