Jeanne Samary, muse de... par ambition
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Pierre-Auguste Renoir a immortalisé Jeanne Samary, ses blonds cheveux ébouriffés, son air rêveur et son sourire heureux.

Jeanne Samary est déjà une actrice à succès à la Comédie Française quand elle pose pour Renoir, qui la peint au moins une douzaine de fois. Elle est issue d'une famille d’artistes : son père est violoncelliste à l'Opéra de Paris, sa grand-mère, deux de ses tantes et sa sœur sont comédiennes. Née en 1857, elle a une vingtaine d’années quand elle pose pour lui.

Le rêve de toujours de Jeanne est d’être une autre Sarah Bernhard. À 14 ans, elle entre au Conservatoire de Paris, et 3 ans plus tard, en 1874, elle remporte un brillant 1er prix en théâtre. Cette année-là, elle fait ses débuts à la Comédie-Française en tant que servante dans "Le Tartuffe" de Molière. Elle s'affirme ensuite comme "la soubrette idéale de Molière" et prête sa gaieté franche, sa diction mordante, son rire communicatif à plusieurs servantes dans des pièces de Molière. Elle joue aussi Marivaux avec la même pétulance et joie de vivre. Elle devient Sociétaire de la Comédie-Française en 1878.

Mais, malgré le succès et la reconnaissance en tant qu'actrice comique, Jeanne espère des rôles plus substantiels et prestigieux. Elle ne veut pas être éternellement une femme de chambre de théâtre… et se dit que des portraits d’elle pourraient faire avancer sa carrière. Elle attire ainsi l'attention de Renoir.

C'est pourquoi, en 1876, elle figure dans deux tableaux de Renoir, maintenant très célèbres, visibles au Musée d’Orsay : "Le bal au Moulin de la Galette" et "La balançoire" dont elle est le sujet principal. Malheureusement, les deux œuvres sont mal reçues du public, jugées trop modernes notamment à cause des taches de couleurs et des coups de pinceau jugés sommaires. Renoir continue quand même de réaliser des portraits d’elle, tous reçus de la même manière par la critique et le grand public. Aucun tableau ne sert à la lancer au théâtre dramatique ou en tant que mannequin…

La touche tendre de "La Rêverie" nous laisse deviner que Jeanne et Renoir sont vraisemblablement devenus amants. Elle réussit à le convaincre de peindre deux portraits d'elle dans le style qu'elle souhaite : élégante, glamour et habillée à neuf. D’où le célèbre "Portrait de Jeanne Samary en pied" où elle pose en superbe femme du monde, dans une robe de bal de satin rose et de dentelle, et le tableau "Mlle Jeanne Samary". Peut-être porte-t-elle la même robe dans les deux tableaux ? Malheureusement pour les ambitions de Jeanne, aucun des deux portraits n’est un succès auprès de la critique et du grand public. Malchance ? En effet, les amis de Renoir ont, de leur côté, été charmés.

Jeanne apparaît aussi dans le célèbre tableau de Renoir, "Le Déjeuner des canotiers", datant de 1880, mais uniquement au fond de la scène, son visage masqué par son chapeau et ses mains. Cela signifie-t-il la brouille entre Jeanne et Renoir ? Il est vrai qu’Aline Charigot, future épouse de Renoir, apparaît aussi dans ce même tableau...

Les espoirs de Jeanne d'être lancée par un portrait fabuleux ne se concrétiseront jamais, même si d’autres ont fait son portrait, comme Jules Bastien-Lepage (en 1880) ou Louise Abbéma (portait visible au Musée Carnavalet, à Paris). Le choix de Louise Abbéma n’est pas innocent. En effet, elle a eu le privilège de peindre Sarah Bernhardt en 1875, portrait largement acclamé.

Par dépit ? Par amour ? En 1882, Jeanne épouse le riche homme du monde Paul Lagarde. Ensemble, ils ont trois enfants. Elle meurt brutalement de la fièvre typhoïde en 1890 et est enterrée au cimetière de Passy. Jusqu’à sa mort, elle jouera les servantes au théâtre…

Les multiples portraits de Jeanne Samary sont visibles dans des musées du monde entier. Les deux célèbres tableaux de Renoir, "La Rêverie" et "Portrait de Jeanne Samary en pied" ont été achetés par les frères Morozov, riches industriels russes, mécènes et collectionneurs d’art, dont la collection a été nationalisée après la révolution de 1917. Ils sont visibles, le temps de l’exposition "La collection Morozov. Icônes de l'Art moderne", à la Fondation Vuitton.

N’hésitez pas à aller rendre un dernier hommage à Jeanne Samary, qui, au travers de ses portraits, a fini par gagner la notoriété ! 

Voici quelques portraits de Jeanne peints par Pierre-Auguste Renoir :
1 - Jeanne Samary, 1877, Bibliothèque-musée de la Comédie-Française, Paris
2 - Mlle Jeanne Samary, 1878, Cincinnati Art Museum, Etats-Unis
3 - Portrait de Jeanne Samary en pied, 1878, Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg
4 - La Rêverie, 1877, Musée des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou
5 - La lecture du rôle, 1876, Musée des Beaux-Arts, Reims  


Votre rédacteur vous propose quelques livres autour de Renoir :

Tout d'abord sa biographie, par son fils Jean Renoir Pierre-Auguste Renoir, mon père.
La vie d'un des plus grands peintres racontée par un des plus grands cinéastes. Il est vrai que l'un était le père de l'autre, et que Jean Renoir est né sur la butte Montartre, à deux pas du Moulin de la Galette immortalisé par un tableau de Pierre-Auguste. Cette biographie fait revivre avec amour un homme, une œuvre, un monde. 

Le ciel volé, de l'auteur italien Andrea Camilleri
Pierre-Auguste Renoir a-t-il bien séjourné en 1882 dans la ville sicilienne de Girgenti, comme l’affirme son fils ? Si oui, pourquoi n’existe-t-il aucune trace de ce voyage dans les toiles du maître de l'impressionnisme ? À travers l’échange épistolaire qu’entretient le vieux notaire Michele Riotta avec la belle et mystérieuse Alma Corradi, Andrea Camilleri propose un scénario adroit et mordant, où la passion brouille les cartes jusqu'à l'ultime rebondissement.

Renoir - Il faut embellir par Anne Distel dans la collection Découvertes Gallimard
"Pour moi, un tableau doit être une chose aimable, joyeuse et jolie", déclarait Auguste Renoir. En plus de cinquante années de carrière et quelques milliers de tableaux, le peintre, qui estimait que la peinture est faite "pour décorer les murs", a révélé la grâce de ses personnages dans la lumière impressionniste. D'abord méconnu et souvent refusé aux salons officiels, mais soutenu par un petit cercle d'amis et d'admirateurs, il connaît la consécration en entrant au Louvre de son vivant, sans jamais perdre son immense modestie. "Je crois que je commence à y comprendre quelque chose", murmurait-il à sa garde-malade en lui rendant ses pinceaux peu avant sa mort. Anne Distel montre comment Renoir, par les touches de son éclatante palette, a su transfigurer la banalité.

Et un film sobrement appelé Renoir, avec Michel Bouquet en Renoir
Ce film raconte comment Andrée Heuschling, une jeune femme qui devient modèle du peintre impressionniste Auguste Renoir, est pour lui à la fin de sa vie une grande source d'inspiration par sa beauté plastique, alors qu'il souffre de graves rhumatismes déformants et d'une quasi paralysie des jambes. Andrée, dès son arrivée dans la grande maison du patriarche, trouble l'ordre domestique qui l'entoure...


En dernier hommage, on peut imaginer que la chanson Jeanne de Laurent Voulzy est dédiée à Jeanne Samary.


Chère, chère Jeanne, chapeau bas !

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