Le
16 July 2021,
Aujourd'hui, je vous propose de partir sur les traces de Paul Gauguin en Bretagne. A la fin du 19e siècle, les peintres viennent en nombre à Pont-Aven, en quête d'authenticité, de pittoresque et de lumière. Parmi eux se trouve Paul Gauguin ; peu coutumier des scènes religieuses, il va cependant se livrer à l'exercice avec un tableau aussi magistral qu'étrange : « La vision après le sermon » (1888).
C'est un tableau d'apparence tout simple qui vous attrape pour ne plus vous lâcher, qui semble avoir un mystère à révéler…
Les éléments pittoresques sont là, au premier plan : ce sont ces Bretonnes en coiffe, qui viennent d'assister à un sermon qui met en scène la lutte de Jacob avec l'ange, scène biblique bien connue. On se situe peut-être dans le cadre d'un pardon (une sorte de pèlerinage breton, avec une messe et une procession, qui mêle religion catholique et croyances profanes ou superstition). Par le cadrage, nous sommes invités à participer à la scène avec elles, puisque les femmes sont au premier plan et occupent beaucoup de place sur l'image, mais se trouvent de dos ou de profil.
Mais que regardent-elles? Le sujet de leur "vision", c'est ce duel entre Jacob et l'ange au loin, un sujet maintes fois représenté dans la peinture classique. Un combat qui tient autant de la lutte bretonne que de l'affrontement entre deux sumos – n'oublions pas que Gauguin était fasciné par les estampes japonaises d'Hiroshige ou de Hokusai. D'ailleurs, ce tronc d'arbre qui divise la toile en deux en diagonale, qui structure la composition, est aussi un emprunt manifeste à l'art pictural japonais. Grâce à cette astuce visuelle, Gauguin sépare le monde physique, naturel – les femmes et la vache – du monde mystique, surnaturel – le combat entre Jacob et l'ange. Mais le peintre, dans un geste génial, parvient à unifier ces deux mondes par l'usage de la couleur : ce rouge vermillon qui inonde l'arrière-plan, rouge parfaitement fantaisiste, rouge de la violence peut-être, mais aussi rouge du rêve, et rouge qui nous propulse dans un monde nouveau.
C'en est fini de l'impressionnisme, et Gauguin invente avec ce tableau le synthétisme : il cherche à synthétiser la forme et l'idée par le rejet des détails et les couleurs en aplat cernées de noir. Nostalgique d'une spiritualité simple et presque naïve, pré révolution industrielle, Gauguin donne aussi à voir une Bretagne fantasmée, dont il réinvente jusqu'à l'imaginaire mystique pour mieux coller à son idéal.
« Le paysage et la scène de la lutte n'existent que dans l'imagination des gens dans la prière, à la suite du sermon », expliquait-il au sujet de cette œuvre.
On pourrait extrapoler un peu et y voir une métaphore de la peinture, de la puissance de l'imagination. A partir d'une histoire forte, on peut, comme ces Bretonnes, fabriquer une vision qui transforme une réalité prosaïque en instant mystique. A partir d'un instant de vie, le peintre est capable de projeter une certaine représentation des protagonistes et de ce qu'elles imaginent. Nous sommes donc simultanément spectateurs de la vision des Bretonnes et de celle du peintre. Avec sa « Vision », Gauguin invente le paysage mental. Rien que ça!
Mes Sorties Culture / Sonia Zannad
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com
C'est un tableau d'apparence tout simple qui vous attrape pour ne plus vous lâcher, qui semble avoir un mystère à révéler…
Les éléments pittoresques sont là, au premier plan : ce sont ces Bretonnes en coiffe, qui viennent d'assister à un sermon qui met en scène la lutte de Jacob avec l'ange, scène biblique bien connue. On se situe peut-être dans le cadre d'un pardon (une sorte de pèlerinage breton, avec une messe et une procession, qui mêle religion catholique et croyances profanes ou superstition). Par le cadrage, nous sommes invités à participer à la scène avec elles, puisque les femmes sont au premier plan et occupent beaucoup de place sur l'image, mais se trouvent de dos ou de profil.
Mais que regardent-elles? Le sujet de leur "vision", c'est ce duel entre Jacob et l'ange au loin, un sujet maintes fois représenté dans la peinture classique. Un combat qui tient autant de la lutte bretonne que de l'affrontement entre deux sumos – n'oublions pas que Gauguin était fasciné par les estampes japonaises d'Hiroshige ou de Hokusai. D'ailleurs, ce tronc d'arbre qui divise la toile en deux en diagonale, qui structure la composition, est aussi un emprunt manifeste à l'art pictural japonais. Grâce à cette astuce visuelle, Gauguin sépare le monde physique, naturel – les femmes et la vache – du monde mystique, surnaturel – le combat entre Jacob et l'ange. Mais le peintre, dans un geste génial, parvient à unifier ces deux mondes par l'usage de la couleur : ce rouge vermillon qui inonde l'arrière-plan, rouge parfaitement fantaisiste, rouge de la violence peut-être, mais aussi rouge du rêve, et rouge qui nous propulse dans un monde nouveau.
C'en est fini de l'impressionnisme, et Gauguin invente avec ce tableau le synthétisme : il cherche à synthétiser la forme et l'idée par le rejet des détails et les couleurs en aplat cernées de noir. Nostalgique d'une spiritualité simple et presque naïve, pré révolution industrielle, Gauguin donne aussi à voir une Bretagne fantasmée, dont il réinvente jusqu'à l'imaginaire mystique pour mieux coller à son idéal.
« Le paysage et la scène de la lutte n'existent que dans l'imagination des gens dans la prière, à la suite du sermon », expliquait-il au sujet de cette œuvre.
On pourrait extrapoler un peu et y voir une métaphore de la peinture, de la puissance de l'imagination. A partir d'une histoire forte, on peut, comme ces Bretonnes, fabriquer une vision qui transforme une réalité prosaïque en instant mystique. A partir d'un instant de vie, le peintre est capable de projeter une certaine représentation des protagonistes et de ce qu'elles imaginent. Nous sommes donc simultanément spectateurs de la vision des Bretonnes et de celle du peintre. Avec sa « Vision », Gauguin invente le paysage mental. Rien que ça!
Mes Sorties Culture / Sonia Zannad
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com