D'un baiser à l'autre
Sculpteur d'origine roumaine, né à la fin du 19e siècle, Brancusi a révolutionné le monde de l'art par sa modernité, inventant une expression faite de formes stylisées, simplifiées à l'extrême, développant un vocabulaire singulier et reconnaissable au premier coup d'œil. Après des études aux Beaux-Arts de Bucarest, il décide très vite d'explorer l'Europe pour comprendre l'art de son temps.

C'est à pied qu'il entreprend le long voyage qui le mènera jusqu'à Paris, où il décide d'installer son atelier De 1916 jusqu’à sa mort en 1957, il habitera et travaillera dans cet atelier de l'impasse Ronsin. Il y recevra ses amis artistes, y organisera des fêtes, toujours sur fond de musique blues ou jazz, qu'il adorait. 

C'est d'abord auprès de Rodin qu'il perfectionne son art, pour mieux s'en émanciper ensuite, car, selon une de ses formules restée célèbre "Rien ne pousse à l'ombre des grands arbres". Et l'une des œuvres de Brancusi s'inspire directement d'une célèbre sculpture de Rodin : le Baiser (1882). 

Chez Rodin, c'est un couple qui devait à l'origine orner usa Porte de l'Enfer, projet gigantesque, mais qu'il décide finalement de traiter séparément. Il s'agit de Paolo et Francesca, personnages issus de La Divine Comédie, poème de Dante Alighieri (1265-1321). Tués par le mari de Francesca qui les avait surpris en train de s’embrasser, les deux amoureux furent condamnés à errer dans les Enfers. On surprend donc les amoureux lors d'un baiser langoureux que leur inspire la lecture de la légende de Lancelot et Guenièvre, autre couple mythique et adultère – Guenièvre était la femme du roi Arthur. Dans la main de Paolo, posée sur son dos, on aperçoit en effet le livre qu'il vient de laisser tomber pour mieux enlacer son amante. 

Le modelé souple, les formes voluptueuses, l'étreinte sensuelle, et le soin apporté à la représentation très réaliste des mains et des pieds des amants font de cette sculpture un succès immédiat. Rodin, qui travaille à l'époque avec Camille Claudel, décide de faire passer au second plan le thème de la Divine Comédie nomme cette œuvre simplement "Le Baiser", tout simplement. Il lui donne ainsi une connotation bien plus universelle. 

Brancusi connait ce Baiser, et il décide, en 1907, de l'interpréter à sa manière. C'est à dire de façon radicalement différente. Plutôt que le réalisme, il choisit la stylisation extrême. Plutôt que le modelage, il opte pour la taille directe. Cette déclaration d'indépendance passe par une forme d'archaïsme paradoxalement très moderne : dans son baiser, les deux amants ne forment qu'un bloc, cubique. Leur fusion est totale, la force de leur union se ressent immédiatement. Ils n'ont plus qu'une bouche, leurs yeux et leurs bras se confondent, leur corps et leur visage ne font qu'un. Si on distingue la femme de l'homme, ce n'est que par les cheveux longs taillés dans le calcaire. D'autres baisers suivront, qui reprennent les caractéristiques du premier, jusqu'à devenir une sorte de signature pour le sculpteur. Et paraît-il, l'une de ses oeuvres préférées.


Sonia Zannad / Mes Sorties Culture

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