Du lien entre les Antilles et le Prix de Rome
Credits image :
Guillaume Guillon-Lethière, enfant naturel d’une esclave affranchie et de Pierre Guillon, fonctionnaire royal, naît en Guadeloupe en 1760. Présentant des dispositions pour la peinture, son père l’emmène en France en 1774. Il est reçu au Prix de Rome en 1784, avec son tableau religieux "La Cananéenne aux pieds de Jésus-Christ".

Sa carrière est lancée... Il est exposé très régulièrement au Salon, le célèbre peintre Ingres lui tire le portrait (1815), nommé à différents postes : directeur de l’Académie de France à Rome (1811), membre de l’Institut (1820), professeur à l’École des Beaux-Arts (1818)... Il reçoit les insignes de Chevalier de la Légion d'Honneur en 1818. Les thèmes de son abondante œuvre sont résolument académiques et classiques : religion, mythologie, histoire, portrait.

Son tableau "La Patrie en danger" fait référence à la mobilisation militaire de 1793, pour défendre la toute jeune République Française, en réponse à l'entrée en guerre de la Prusse et de l'Autriche contre la France : dans une ville, les hommes partent pour sauver le pays. Cette levée en masse suscite un fort mécontentement paysan et provoque des émeutes, entraînant notamment les guerres de Vendée.

Avant de parler de son chef d’œuvre, "Le Serment des Ancêtres", un peu d’histoire...

En 1801, Toussaint Louverture publie une constitution proclamant l'autonomie de Saint-Domingue, riche colonie française. Napoléon veut en finir avec les généraux noirs et mulâtres. Il y envoie le général Leclerc qui arrive en 1802 à la tête d'une puissante expédition militaire composée d'une flotte impressionnante : 23 vaisseaux et 21 frégates transportent 31,000 hommes. Les Français arrivent à vaincre Toussaint Louverture et à l’emprisonner en France.

Mais ils doivent alors affronter Jean-Jacques Dessalines, son principal lieutenant, qui parvient à contraindre l’armée française à se rendre. Il est considéré comme le père de l’indépendance de Haïti, proclamée le 1er janvier 1804.

Mais l’indépendance ne s’est pas jouée si facilement. Alexandre Pétion, fils d'un riche colon français et d'une mulâtresse, est envoyé à Paris pour étudier à l'Académie militaire. Pendant la guerre d'indépendance, il rejoint le parti "mulâtre" contre le général Toussaint Louverture. Mais, en 1802, une alliance pour chasser les troupes françaises est signée entre Jean-Jacques Dessalines, le "noir" né dans l’esclavage, et Alexandre Pétion, le "mulâtre". Elle intervient peu après l'annonce du rétablissement de l'esclavage décidé par Napoléon.

"Le Serment des Ancêtres", datant de 1822, narre cette rencontre historique.

C’est le seul tableau où Guillon-Lethière, premier homme de couleur à s’imposer dans le monde de la peinture occidentale, évoque ses origines. Il spécifie, pour la première fois dans sa carrière, à côté de sa signature, la mention "né à la Guadeloupe", manifestant sa solidarité avec la jeune république noire d’Haïti.
Le peintre est au courant de l’humiliation et la fin tragique de Toussaint Louverture. De plus, du fait de leurs origines, son ami le Général Alexandre Dumas et lui-même subissent le racisme et ses conséquences : il doit montrer dans une œuvre la grandeur de ce peuple auquel il appartient.

"Le Serment des Ancêtres" est une allégorie. En effet, Pétion et Dessalines ne se sont pas retrouvés autour d’un tel autel pour faire ce serment. Le personnage à la barbe blanche descendant du ciel, entrouvrant les bras en direction de deux officiers, identifié par le mot "Yahvé" écrit en caractères hébraïques au-dessus de sa tête, est Dieu bénissant Haïti. Des chaines brisées, sous les pieds des deux hommes, disent leur victoire sur l’esclavage, et sur la stèle, la mention "l’Union fait la force" est la devise de Haïti.

Ce tableau connaît une bien curieuse destinée. Offert à Haïti, transporté clandestinement, il arrive à Port-au-Prince en mars 1823.
Disparu depuis la fin du 19e siècle, il est retrouvé en 1991 dans la cathédrale de la capitale haïtienne et restauré à Paris par le Louvre. Exposé au Louvre, puis à l’Unesco, puis en Guadeloupe, il rentre enfin à Haïti en 1998 où il est déposé au Palais National. À la suite du tremblement de terre de 2010, retrouvé par les pompiers français dans les ruines du palais présidentiel, il est de nouveau restauré au Louvre et rendu à Haïti. 

Guillaume Guillon-Lethière est mis à l’honneur au Musée du Louvre du 13 novembre 2024 au 17 février 2025, avec une exposition simplement nommée "Guillon-Lethière, né à la Guadeloupe". Dans cette monographie d'envergure consacrée à un artiste aujourd'hui largement oublié, la plupart des œuvres sont présentées à Paris pour la première fois depuis le 19e siècle.


Les tableaux cités dans l’article : 

1 - "La Cananéenne aux pieds de Jésus-Christ", 1784, Musée des Beaux-Arts, Angers, France

2 - "L’enrôlement des volontaires" ou "La Patrie en danger ", 1799, Musée de la Révolution française, Vizille, France

3 - "Le Serment des Ancêtres", 1822, Palais National, Port-au-Prince, Haïti


Pour ceux qui veulent aller plus loin :  

Pour ceux qui veulent en savoir plus, lisez "La correspondance de Guillaume Guillon Lethière". Celle-ci jette un jour nouveau sur la présence artistique française à l'étranger sous l'Empire.

Choisisez un banc et plongez-vous dans "Le manuscrit de Port-Ebène", bon roman de Dominique Bona, qui a lieu lors de la guerre d'indépendance de Haïti. Jean Camus, éditeur pied noir, découvre un manuscrit écrit par une jeune aristocrate du 18e siècle, venue à Saint-Domingue pour rejoindre son mari, un riche colon, planteur de canne à sucre...

Pour en savoir plus sur la guerre d'indépendance de Haïti, lisez "Le petit roman de Haïti" de Marc Menant, où il parle des vrais héros de cette bataille contre la servitude : Boukman, Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henry Christophe et les plus radicaux oubliés par l'Histoire, Hyacinthe, Capois, Lamour Derrance qui écrasèrent les troupes de Bonaparte.

En cette fin de 18e siècle, Haïti est une contrée rongée par la malaria, hantée par la violence de la colonisation, déchirée entre les intérêts contradictoires raciaux et de classe sociale. La grande fresque de Madison Smartt Bell, consacrée à la révolte haïtienne, débute avec "Le soulèvement des âmes", et continue avec "Le Maître des carrefours". Ce puissant roman historique éclaire le passé tumultueux d’un peuple cherchant les chemins de sa liberté.


Comme tout finit en chanson... Frantz Casseus (1915-1993) est un guitariste et compositeur haïtien, dont le travail porte sur la musique classique et la musique traditionnelle. Harry Belafonte a rendu célèbre cette ballade "Merci Bon Dieu" que Frantz Casseus a composée.


Bon voyage à Haïti !

Publié la première fois le 6 octobre 2020

Vous aussi, publiez vos propres articles
sur TartinesDeCulture !
Je m'inscris