Le
9 March 2024,
Les expositions d'art contemporain, ces derniers temps, tendent à nous confronter aux réalités sociales, politiques, environnementales les plus dures de notre monde. Et c'est en effet un des rôles de l'art de nous ouvrir les yeux et de nous tendre un miroir pour provoquer des prises de conscience. Ce qui n'empêche pas certains artistes, certaines en l'occurrence, de choisir un prisme très différent, comme le font Farah Atassi et Ulla van Brandeburg, rassemblées pour la première fois par la commissaire Marjolaine Levy pour une exposition en duo, à la Fondation Pernod-Ricard pour l'art contemporain, sous le titre "La société des spectacles". Leur parti-pris? Nous inviter à circuler dans les espaces d'un spectacle imaginaire, rassembler en un même lieu symbolique la scène, les artistes et les coulisses, pour mieux affirmer qu'il n'y a pas de frontières entre l'art et la vie. Parmi leurs outils, l'installation, le film, la peinture mais surtout un grand point commun : l'usage débridé des couleurs vives, qui font l'effet immédiat de vitamines pour les yeux et l'esprit.
Partout, de grands rideaux peints de couleurs vives (recto et verso), œuvres emblématiques d'Ulla van Brandeburg, ponctuent et structurent l'espace, proposant différentes perspectives sur les salles et les oeuvres présentées. Certains pans sont en partie pliés, retenus par un lien, d'autres pas. A la frontière entre le rideau de scène, les pendrillons (ces rideaux sur les côtés de la scène qui permettent de cacher les coulisses depuis la salle) et la toile peinte, ils peuvent aussi évoquer des vêtements ou des voiles de bateaux. Sommes-nous visiteurs, spectateurs? Ou bien déjà entrés sur scène? Pourquoi le rideau provoque-t-il toujours un effet de solennité, et semble aussi contenir une promesse ? A quel voyage sommes-nous conviés? Qu'attendons-nous des artistes en général, et du spectacle vivant en particulier? Ce sont certaines des questions qui viennent à l'esprit en déambulant à travers les salles de l'exposition.
Plus conceptuels sont les films projetés sur les murs (colorés, eux aussi), évocation des danseurs, acteurs ou circassiens du début du 20e siècle en plein pantomime, qui rendent hommage aux travaux modernistes de Sonia Delaunay sur la loi du contraste simultané des couleurs. Il ne s'agit pas d'y chercher du sens : Delaunay voulait justement se concentrer sur la forme pure : rien à comprendre et rien à raconter. Ici, seules importent la vibration des couleurs ses effets sur nos sens. Ça et là, des maquettes signées elles aussi Ulla van Brandeburg viennent à nouveau suggérer un atelier, un spectacle en construction, dans une mise en abyme efficace.
Côté peintures, les toiles d'apparence lisses et ordonnées de Farah Atassi se présentent comme de petites scènes de théâtre, elles aussi. Les rideaux sont figurés et s'ouvrent sur des jambes de danseuses comme autant d'éléments graphiques, des fruits comme autant de ponctuations, des corsages, des masques et des instruments de musique comme autant de citations – on pense aux cubistes, à Picasso, mais aussi au pop art américain. Tout s'emboîte et pourtant inutile, là aussi, de chercher quelle histoire nous est racontée. Le sens de cette reconfiguration est ailleurs : avec tous ces éléments disparates, ce vocabulaire visuel que nous avons tous plus ou moins consciemment intégré, il s'agit pour Farah Atassi de proposer un monde neuf, frais, de poser peut-être un regard plus innocent ou du moins ancré dans le présent sur ce qui nous entoure, pour composer avec le réel, avec le passé, sans s'interdire de le transcender. Et si possible, sans éluder le dialogue avec ceux qui ne s'expriment pas comme nous : le travail commun de ces femmes au style si différent nous montre la voie, peut-être pas si utopique que ça.
Alors, à la réponse "peut-on changer le monde à travers l'art", on a envie de répondre oui, quand les artistes savent communiquer autant de générosité, d'énergie et de joie de vivre, tout semble possible.
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Merci à la directrice de la Fondation, Antonia Scintilla, pour son accueil.
Exposition La société des spectacles, jusqu'au 20 avril 2024 à la Fondation Pernod Ricard, entrée libre
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Sonia Zannad / Mes Sorties Culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com
Partout, de grands rideaux peints de couleurs vives (recto et verso), œuvres emblématiques d'Ulla van Brandeburg, ponctuent et structurent l'espace, proposant différentes perspectives sur les salles et les oeuvres présentées. Certains pans sont en partie pliés, retenus par un lien, d'autres pas. A la frontière entre le rideau de scène, les pendrillons (ces rideaux sur les côtés de la scène qui permettent de cacher les coulisses depuis la salle) et la toile peinte, ils peuvent aussi évoquer des vêtements ou des voiles de bateaux. Sommes-nous visiteurs, spectateurs? Ou bien déjà entrés sur scène? Pourquoi le rideau provoque-t-il toujours un effet de solennité, et semble aussi contenir une promesse ? A quel voyage sommes-nous conviés? Qu'attendons-nous des artistes en général, et du spectacle vivant en particulier? Ce sont certaines des questions qui viennent à l'esprit en déambulant à travers les salles de l'exposition.
Plus conceptuels sont les films projetés sur les murs (colorés, eux aussi), évocation des danseurs, acteurs ou circassiens du début du 20e siècle en plein pantomime, qui rendent hommage aux travaux modernistes de Sonia Delaunay sur la loi du contraste simultané des couleurs. Il ne s'agit pas d'y chercher du sens : Delaunay voulait justement se concentrer sur la forme pure : rien à comprendre et rien à raconter. Ici, seules importent la vibration des couleurs ses effets sur nos sens. Ça et là, des maquettes signées elles aussi Ulla van Brandeburg viennent à nouveau suggérer un atelier, un spectacle en construction, dans une mise en abyme efficace.
Côté peintures, les toiles d'apparence lisses et ordonnées de Farah Atassi se présentent comme de petites scènes de théâtre, elles aussi. Les rideaux sont figurés et s'ouvrent sur des jambes de danseuses comme autant d'éléments graphiques, des fruits comme autant de ponctuations, des corsages, des masques et des instruments de musique comme autant de citations – on pense aux cubistes, à Picasso, mais aussi au pop art américain. Tout s'emboîte et pourtant inutile, là aussi, de chercher quelle histoire nous est racontée. Le sens de cette reconfiguration est ailleurs : avec tous ces éléments disparates, ce vocabulaire visuel que nous avons tous plus ou moins consciemment intégré, il s'agit pour Farah Atassi de proposer un monde neuf, frais, de poser peut-être un regard plus innocent ou du moins ancré dans le présent sur ce qui nous entoure, pour composer avec le réel, avec le passé, sans s'interdire de le transcender. Et si possible, sans éluder le dialogue avec ceux qui ne s'expriment pas comme nous : le travail commun de ces femmes au style si différent nous montre la voie, peut-être pas si utopique que ça.
Alors, à la réponse "peut-on changer le monde à travers l'art", on a envie de répondre oui, quand les artistes savent communiquer autant de générosité, d'énergie et de joie de vivre, tout semble possible.
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Merci à la directrice de la Fondation, Antonia Scintilla, pour son accueil.
Exposition La société des spectacles, jusqu'au 20 avril 2024 à la Fondation Pernod Ricard, entrée libre
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Sonia Zannad / Mes Sorties Culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com