Chtchoukine un visionnaire de l'art moderne
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29 Picasso, 22 Matisse, 12 Gauguin... La très attendue collection de Serguei Chtchoukine est à la Fondation Vuitton à Paris, en grande partie réunie pour la première fois depuis la dispersion en 1948 de cet ensemble unique de 278 chefs d’œuvre de l'art moderne. 127 œuvres sont présentées après avoir fait le voyage depuis le Musée Pouchkine à Moscou et le musée de l'Ermitage à Saint-Petersbourg. 

Jamais autant de pièces de cette collection mythique constituée entre 1898 et 1914 par ce grand industriel moscovite n'avaient été montrées en un seul lieu. 

Encore méconnue du grand public, la collection est complétée par 31 œuvres des avant-gardes russes, prêtées pour la plupart par la Galerie Tretiakov à Moscou et la collection Costakis à Thessalonique. 

Avec cette "collection d'art français le plus radical de son temps, Serguei Chtchoukine se trouve à l'épicentre même de la révolution des arts", explique Anne Baldassari, commissaire de l'exposition intitulée "Icônes de l'art moderne" (du 22 octobre au 20 février). 

Lors de ses premiers voyages à Paris, Chtchoukine, négociant russe en textiles, initié par le marchand Paul Durand-Ruel, s'intéresse d'abord aux Impressionnistes, particulièrement à Monet, dont la collection compte pas moins de 13 œuvres. Viennent les rejoindre 8 Cézanne, 16 Gauguin, 5 Degas, 4 Van Gogh....

En 1907, il rencontre les grands collectionneurs Leo et Gertrude Stein et le marchand Ambroise Vollard, qui le mettent en contact avec Matisse et Picasso. 

Dès lors, ses achats sont exponentiels, même si, face à l'académisme en cours dans l'art russe de l'époque, il a des doutes. Mais il ne peut pas s'empêcher de craquer pour les couleurs de Matisse... Au total, l'exposition se déploie dans quatorze salles (2.500 m2). 
Rien à voir avec l'entassement des œuvres dans les cinq pièces du Palais Troubetskoï, la demeure de Chtchoukine à Moscou. Cinquante toiles se serrent sur les murs d'un cabinet de 25 m2, comme le montrent, dans l'exposition, les photos d'époque.

Le plus étonnant est que nombre de ces acquisitions vont contre le propre goût de Chtchoukine plutôt porté, au début, vers les toiles symbolistes ou romantiques, tels Edward Burne-Jones ou Maurice Denis, présentées dans la chapelle du palais. "Picasso le choque, ça le torture", souligne Anne Baldassari, ancienne directrice du Musée Picasso. 
De même, après avoir commandé à Matisse des panneaux monumentaux sur la "Danse" et la "Musique", il s'effraie du scandale suscité par ces œuvres lors du Salon d'automne, renonce à les acheter, puis change d'avis, pris de remords.
Chtchoukine a très tôt le souci de faire découvrir sa collection au plus grand nombre : il ouvre sa demeure tous les dimanche matin, puis jusqu'à trois jours par semaine.

En leur donnant accès très tôt à l'avant-garde picturale, ces œuvres vont exercer une influence considérable sur les jeunes artistes russes. Des œuvres exceptionnelles de Malevitch (dont le radical "Carré noir" et "Quatre carrés"), Vladimir Tatline ou Liubov Popova, sont ainsi confrontées, dans l'exposition, avec une série de chefs d’œuvres de Picasso. 

Révolution de 1917 en Russie. En sa qualité de visionnaire de l’art moderne encensé par tous les artistes progressistes, Chtchoukine est plutôt bien vu par le nouveau pouvoir, notamment par Anatole Lounatcharsky, commissaire du peuple à l’éducation, l’expert culturel de Lénine.

Mais il sent que le vent va tourner.... Il profite du rétablissement des communications avec l’Allemagne après la paix de Brest-Litovsk pour partir clandestinement par le train en août 1918. Ses fonds ayant été prudemment placés en Suède, il aborde l’exil avec une certaine sérénité. Chtchoukine lui-même vit paisiblement à Paris jusqu’à sa mort en janvier 1936. Dans le grand appartement qu’il avait acheté à Auteuil, il s’était entouré de quelques œuvres de Raoul Dufy, d’Henri Le Fauconnier et de Pedro Pruna.

Nationalisée en 1918 par un décret signé de Lénine en personne, la collection Chtchoukine est utilisée pour constituer officiellement en 1920, à Moscou, le "Musée de l'art moderne occidental", le premier du genre. 

En 1931, une politique d’échange avec le musée de l’Ermitage à Leningrad est décidée afin de faire bénéficier le musée des Beaux-arts Pouchkine de Moscou d’œuvres de maîtres anciens. La collection est alors répartie entre le musée Pouchkine à Moscou et l'Ermitage à Saint-Petersbourg (Leningrad). 

Staline proclame sa dissolution en 1948 et ordonne, sous 15 jours, la dispersion des œuvres dans les musées de province ou leur pure et simple destruction. Il faut toute la réactivité et l’entregent des directeurs des musées de l’Ermitage à Leningrad et Pouchkine à Moscou pour obtenir qu’à des fins "d’étude d’histoire de l’art" par la communauté scientifique, les œuvres soient réparties entre les deux musées tout en étant interdites d’exposition.

Elles n'en sortiront qu'au compte-gouttes pour des expositions d'art moderne. 

Courrez donc les voir à la Fondation Vuitton : http://www.fondationlouisvuitton.fr/expositions/icones-de-l-art-moderne.html
Page FaceBook : https://www.facebook.com/FondationLouisVuitton

N'hésitez pas à suivre les mini visites guidées de 15 minutes disséminées tout au long de la journée et un peu partout dans les salles de l'exposition.
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