Bons baisers d'ici...
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Un baiser peut cacher plus que l’amour ou l’amitié. Que peuvent cacher certains baisers mythiques de l’art ?

Le baiser glacé de la guerre froide

5 octobre 1979, Berlin, 30e anniversaire de la RDA. Lorsque les deux hommes s’embrassent, le photographe Régis Bossu déclenche son appareil. Léonid Brejnev, secrétaire général du Parti communiste de l’URSS, embrasse sur la bouche Erich Honecker, président du Conseil d'État de la RDA. C’est le "baiser fraternel socialiste", salutation entre personnalités d'États communistes, qui consiste en une étreinte suivie de trois baisers alternés sur les joues. Pour montrer une proximité exceptionnelle, les baisers se font sur la bouche.

Cette photo sert de modèle, en 1990, au street artist russe Dmitri Vrubel (1960-2022), qui réalise une fresque sur la partie du Mur de Berlin connue sous le nom d'East Side Gallery. L'œuvre comporte deux légendes, l'une en russe et l'autre en allemand, "Mon Dieu, aide-moi à survivre à cet amour mortel". Plutôt que l’amitié, cette peinture n’évoque-t-elle pas la soumission, voire l’étouffement de la RDA par l’URSS ?

Dmitri Vrubel étudie à l’université d’État de Moscou, où il organise des expositions clandestines d’œuvres d’art. En 1991, il peint la fresque "Danke, Andrej Sacharow", hommage à Andreï Sakharov, Prix Nobel de la paix en 1975. En 2001, il crée un calendrier intitulé les "Douze humeurs de Poutine", montrant le dirigeant dans un état émotionnel différent chaque mois.

Le baiser du traître

Hans Breinlinger (1888-1963) est un peintre allemand. Il crée plus de 80 vitraux et de nombreux chemins de croix, ainsi que des tableaux religieux. Ses premières œuvres se caractérisent par des couleurs vives, peintes au pinceau large, à la spatule ou aux doigts.

L'arrestation de Jésus est l'un des épisodes bibliques majeurs. Peu après la Cène, Jésus prie alors que les apôtres dorment. Des gardes du Sanhédrin font irruption, l’apôtre Judas, traître, embrasse Jésus, le désignant ainsi aux gardes qui se saisissent de Jésus. Jusqu’à nos jours, c’est un thème récurrent dans l’art. Sans le baiser de Judas, y-aurait-il eu crucifixion, résurrection et… christianisme ? Pour que Jésus devienne Jésus-Christ, ne faut-il pas que Judas existe ? Grave question… autour d’un simple baiser.

Le baiser politique

Reconnu pour ses grandes peintures d'histoire et pour la grande finesse de ses portraits, Francesco Hayez (1791-1882) est un artiste italien du romantisme du milieu du 19e siècle. Dans "Le Baiser", décor moyenâgeux, on découvre un couple qui s’enlace. Autour d’eux, les ombres dominent, menaçantes. Ce baiser semble être réalisé en cachette et à la hâte, presque volé. Il existe trois autres versions de ce tableau. Cette représentation du baiser, peinture datant de 1859, a une dimension... politique.

Est-ce un baiser d’adieu, comme le laisse entendre le pied du jeune homme sur une marche, prêt au départ, volontaire engagé pour l’indépendance italienne ?

Ou bien parle-t-il de l’accord passé, en 1858, entre Cavour et Napoléon III ? Accord qui stipule que la France obtient le comté de Nice et le duché de Savoie, et accorde au royaume de Sardaigne son assistance militaire en cas de conflit avec l'empire d'Autriche-Hongrie. Le 26 avril 1859, l’Empire austro-hongrois déclare la guerre au Piémont et la France entre en guerre contre l’Autriche-Hongrie, permettant aux nationalistes italiens de parvenir à la création du royaume d’Italie en 1861. Hayez appartient aux cercles nationalistes. La couleur (bleu, blanc, rouge) des vêtements des amants envoie un message politique, faisant du tableau une sorte d’allégorie célébrant la collaboration entre les deux nations. Sauf que... Napoléon III ne respecte pas complètement les clauses de l’accord, et signe une paiX séparée avec l’Autriche-Hongrie.

Le baiser de la brute

Gustav Klimt (1862-1918) s’illustre par son utilisation de l’or au travers de ses toiles. "Le Baiser", œuvre majeure, est considéré comme le symbole de l’amour, cette peinture inspirant aujourd’hui encore des milliers d’artistes. Un homme debout et une femme agenouillée entre ses bras. A l’exception des pieds de la femme, d’un de ses bras à demi caché et des têtes des deux personnages, le tableau forme une unique mêlée de couleurs où l’or domine, la femme du tableau ayant l’air abandonné et heureux.

Symbole de l’amour, vraiment ? Mais que dire alors de la position de la femme, agenouillée ? Certes, elle a un bras passé autour du cou de l’homme et semble s’abandonner à lui, mais ses paupières closes pourraient bien évoquer la soumission ou le refus bien plus que la passion. Elle a les lèvres fermées, elle ne sourit pas du tout et ne manifeste aucun plaisir. L’homme la tient immobile et approche sa tête comme pour exprimer sa domination, ses mains tenant le visage de la femme comme pour la forcer. Est-ce un baiser spontané ou un baiser forcé ? Peut-être que la femme ne veut pas, que l’homme brutal insiste et la fait mettre à genoux, lui arrachant un baiser de force. Et, n’ayant pas d’échappatoire, peut-être ferme-t-elle les yeux pour ne rien voir, pour oublier cette violence.


Beaucoup de baisers dans l'histoire de l'art. Découvrez celui, insolite, de Orlan ou celui, artificiel, de Doisneau

Les baisers qui sont affichés :
1 – Mon Dieu, aide-moi à survivre à cet amour mortel, Dmitri Vrubel, 1990, East Side Gallery, Berlin, All.
2 – Le baiser de Judas, Hans Breinlinger, 1920, Musée des Beaux-Arts de Constance, All.
3 – Le Baiser, Francesco Hayez, 1859, Pinacothèque de Brera, Milan, Italie
4 – Le Baiser, Gustav Klimt, 1908-1909, Palais du Belvédère, Vienne, Autriche


Votre rédacteur vous propose : 

Autour du baiser dans l'art, un somptueux livre sobrement intitulé Le Baiser est un petit livre-cube riche de 250 baisers parmi les plus beaux de la peinture, accompagnés d'une jolie citation.

De qui le grand Léonard de Vinci peut-il bien s'inspirer pour représenter le Judas du grand œuvre de sa vie, La Cène ? Une canaille des milieux malfamés de Milan devrait faire l'affaire ! Un roman haut en couleurs Le Judas de Léonard et l'un des plus retors imaginé par Leo Perutz.

Il y a beaucoup de livres autour de l'œuvre de Klimt. Taschen édite d'excellents livres sur l'art, à un prix modique. 

Le film La femme au tableau nous emmène à la recherche d'un des tableaux les plus célèbres de Klimt. Une septuagénaire excentrique confie à un avocat une mission : l'aider à récupérer l'un des plus célèbres tableaux de Gustav Klimt, exposé dans le plus grand musée d'Autriche, dont elle assure que celui-ci appartenait à sa famille ! D'abord sceptique, le jeune avocat se laisse convaincre... 


Votre rédacteur vous quitte et vous laisse avec Cyrano :

"Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce?
Un serment fait d’un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer;
C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d’un peu se respirer le cœur,
Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme!"
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac

et toujours en chanson, avec François Morel, et... un baiser.


Bons baisers !


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