Barbara Kruger a un message pour vous
L'artiste américaine Barbara Kruger, âgée aujourd'hui de 77 ans, fut directrice artistique pour plusieurs magazines du groupe Condé Nast dans les années 1960, pendant l'âge d'or de la publicité made in USA. Manier les images et le texte, les slogans, maximiser l'impact d'un message, elle sait faire. Et toute la force de subversion de son travail vient précisément de cette maîtrise totale des codes graphiques et visuels. 

Ses œuvres sont identifiables au premier coup d'œil : il s'agit souvent d'images publicitaires agrandies, sous forme de photos en noir et blanc dont elle détourne le sens premier en y ajoutant un bandeau de texte blanc sur fond rouge. Le plus souvent, les textes courts et percutants qui barrent ses images s'adressent au visiteur par des pronoms personnels : toi, je nous… Une façon d'interpeller chacun et chacune personnellement, tout en usant des techniques des médias de masse.  

La typographie et les couleurs renforcent une impression générale d'agressivité : ces messages sont des ordres, ils ne nous laissent pas le choix. Barbara Kruger questionne ainsi notre rapport au pouvoir, à la propagande, à la publicité, notre crédulité et notre obéissance parfois aveugle aux injonctions sociétales. En voyant ses compositions, on réalise soudain à quel point nous sommes sans cesse bombardés de messages et de diktats contradictoires, et à quel point il est urgent de prendre des distances et de s'interroger sur les idéologies sous-jacentes.

L'esthétique de Barbara Kruger repose sur un effet de choc, de surprise et une forme d'humour. Elle n'hésite pas à jouer sur la séduction de l'image pour mieux insister, par contraste, sur le sens du texte qu'elle lui adjoint : Un beau visage féminin, par exemple, se voit barré par le texte "Your body is a battleground" ("Ton corps est un champ de bataille"). Par dessus un autre visage, on peut lire "How come that only the unborn have the right to life?" ("Comment se fait-il que seuls ceux qui ne sont pas nés aient droit à la vie?").

Des messages souvent féministes, toujours politiques, qui s'en prennent aussi à la société de consommation et à la dictature des apparences. En 2022, l'artiste a investi 3 étages du MomA (Museum of Modern Art) à New York, recouvrant l'espace du sol au plafond avec du vinyl autocollant imprimé sur lequel on pouvait lire à la fois ses textes et  des extraits de George Orwell et de Virginia Woolf.

L'immersion totale dans le texte lui permet de souligner les volumes architecturaux et donne aux visiteurs la sensation d'une saturation mentale, ou d'un brouhaha géant : impossible en effet de tout embrasser d'un même regard, tandis que l'on peut lire les différentes phrases dans l'ordre que l'on veut, modifiant à l'envi le sens de l'œuvre. Elle invite les visiteurs, selon ses propres termes, à comprendre  "comment les espaces nous forment autant que nous les formons" : l'artiste nous rappelle ainsi la nécessité de nous impliquer et d'interroger notre propre rôle au sein de la société plutôt qu'à recevoir passivement les mots et les images dont on nous abreuve.  

Mes Sorties Culture / Sonia Zannad 

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