Credits image :
Centre Pompidou
Le
16 March 2018,
Après avoir visité une vaste rétrospective consacrée à
Fernand Léger ("Le beau est partout", Bozar, Bruxelles), j'ai fait
quelques recherches sur le net, histoire de compléter mes connaissances. Et,
magie des recherches qui mènent à des découvertes imprévues - certains appellent ça "sérendipité" - c'est sur Youtube que je suis tombée sur un joyau du
cinéma expérimental intitulé "Ballet Mécanique", un film de 16
minutes signé Léger. Une oeuvre
dadaïste/cubiste/surréaliste dont je n'avais jamais entendu parler, qui rassemble
pourtant de grands noms et symbolise une collaboration artistique
franco-américaine des plus pointues : Fernand Léger, Man Ray, Kiki de
Montparnasse, Dudley Murphy, et George Antheil. Résultat : un film étrange,
intriguant et sans précédent.
Kiki de Montparnasse, figurante de choix
Un œil, une bouche maquillée, un sourire : l'égérie du photographe Man Ray apparaît à plusieurs reprises dans le film, apportant un semblant d'humanité à ce monde désincarné où les objets et la mécanique règnent en maître. Mais si on aperçoit Kiki, c'est toujours de façon partielle, presque fétichiste, et un peu à la manière des représentations cubistes dont Léger était friand. Le visage est déconstruit, suggéré, et revêt une dimension surréaliste. Seule la femme du réalisateur, Katherine Murphy, est mise en scène dans des apparitions bucoliques et réalistes. Elle respire le parfum d'une fleur, fait de la balançoire… Comme un contrepoint rassurant à la furie des machines et d'une vie fragmentée. Son apparence et ses attitudes contrastent franchement Plusieurs années avant "Les Temps modernes" de Charlie Chaplin, le film apparaît visionnaire. Et d'ailleurs, Léger aimait beaucoup Chaplin, dont il avait vu certains films. Les images du début qui représentent un Charlot de bric et de broc (on reconnaît la canne, le melon et la moustache) font d'ailleurs directement référence à l'acteur et au personnage avec lequel il a fini par se confondre.
Une œuvre d'avant-garde
Le terme "expérimental" prend ici tout son sens. Célébration des machines, des outils, des objets, à une époque où le monde n'en était pas encore complètement inondé, il y a dans ces images et leur rythme saccadé une frénésie annonciatrice des formidables accélérations technologiques que connaîtra le 20è siècle. Les séquences s'enchaînent sans lien apparent entre elles, selon les mariages inédits qu'affectionnent les surréalistes, provocant un véritable vacarme visuel.
Des images hypnotiques
La musique, aussi abstraite que les images, instaure un climat de nervosité parfois malaisante. Elle repose elle aussi sur le principe de la mécanique : percussions, sonneries, bruits de sirènes… Mais le plus frappant, ce sont les images, qui n'ont rien à envier à des clips d'aujourd'hui. On sent que le réalisateur prend plaisir à tester des procédés : renverser son sujet, utiliser la caméra avec un mouvement de balancier, placer un prisme devant l'objectif pour obtenir un effet de kaléidoscope. C'est comme si les toiles de Léger prenaient vie, comme si la mécanique de ses compositions se mettait en action sous nos yeux. "Le premier film sans scénario", dit le carton du début. C'est en effet un film totalement libre, mais pas anarchique pour autant : les motifs récurrents se collent à la rétine pour devenir hypnotiques. Je vous suggère d'expérimenter à votre tour et de visionner le film plusieurs fois : sans le son, avec le son, et avec un autre son sélectionné par vos soins. Vous le percevrez chaque fois d'une manière différente.
Voici le lien si vous êtes curieux !
Sonia Zannad / Mes sorties culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com
Kiki de Montparnasse, figurante de choix
Un œil, une bouche maquillée, un sourire : l'égérie du photographe Man Ray apparaît à plusieurs reprises dans le film, apportant un semblant d'humanité à ce monde désincarné où les objets et la mécanique règnent en maître. Mais si on aperçoit Kiki, c'est toujours de façon partielle, presque fétichiste, et un peu à la manière des représentations cubistes dont Léger était friand. Le visage est déconstruit, suggéré, et revêt une dimension surréaliste. Seule la femme du réalisateur, Katherine Murphy, est mise en scène dans des apparitions bucoliques et réalistes. Elle respire le parfum d'une fleur, fait de la balançoire… Comme un contrepoint rassurant à la furie des machines et d'une vie fragmentée. Son apparence et ses attitudes contrastent franchement Plusieurs années avant "Les Temps modernes" de Charlie Chaplin, le film apparaît visionnaire. Et d'ailleurs, Léger aimait beaucoup Chaplin, dont il avait vu certains films. Les images du début qui représentent un Charlot de bric et de broc (on reconnaît la canne, le melon et la moustache) font d'ailleurs directement référence à l'acteur et au personnage avec lequel il a fini par se confondre.
Une œuvre d'avant-garde
Le terme "expérimental" prend ici tout son sens. Célébration des machines, des outils, des objets, à une époque où le monde n'en était pas encore complètement inondé, il y a dans ces images et leur rythme saccadé une frénésie annonciatrice des formidables accélérations technologiques que connaîtra le 20è siècle. Les séquences s'enchaînent sans lien apparent entre elles, selon les mariages inédits qu'affectionnent les surréalistes, provocant un véritable vacarme visuel.
Des images hypnotiques
La musique, aussi abstraite que les images, instaure un climat de nervosité parfois malaisante. Elle repose elle aussi sur le principe de la mécanique : percussions, sonneries, bruits de sirènes… Mais le plus frappant, ce sont les images, qui n'ont rien à envier à des clips d'aujourd'hui. On sent que le réalisateur prend plaisir à tester des procédés : renverser son sujet, utiliser la caméra avec un mouvement de balancier, placer un prisme devant l'objectif pour obtenir un effet de kaléidoscope. C'est comme si les toiles de Léger prenaient vie, comme si la mécanique de ses compositions se mettait en action sous nos yeux. "Le premier film sans scénario", dit le carton du début. C'est en effet un film totalement libre, mais pas anarchique pour autant : les motifs récurrents se collent à la rétine pour devenir hypnotiques. Je vous suggère d'expérimenter à votre tour et de visionner le film plusieurs fois : sans le son, avec le son, et avec un autre son sélectionné par vos soins. Vous le percevrez chaque fois d'une manière différente.
Voici le lien si vous êtes curieux !
Sonia Zannad / Mes sorties culture
Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com