Avec Ron Mueck, une émotion de taille
Sculpteur australien né en 1965, Ron Mueck travaille depuis 1986 en Angleterre, sur l'île de Wight. Taiseux, il ne donne jamais d'interview, et chacune de ses œuvres, réalisées minutieusement à base de résine, silicone, et peinture, l'accapare pendant des mois, parfois des années.

Connu pour ses sculptures hyperréalistes, chacune de ses expositions crée l'événement et attire un public nombreux. L'artiste aime jouer sur les changements d'échelle, provoquant une "inquiétante étrangeté". La texture de la peau, les cheveux, les expressions, tout est si réaliste que ses personnages pourraient s'animer d'un instant à l'autre sans que nous soyons étonnés. 

Seulement voilà : l'échelle de ses œuvres, elle, n'a rien d'humain. Par exemple, au fil de ses expositions, les visiteurs ont pu découvrir In Bed (162 × 650 × 395) : une femme d'âge mûr se trouve dans son lit, jambes relevés formant une bosse sous la couette, la tête relevée sur l'oreiller et le menton calé dans la main, qui donne à voir un moment de réflexion soucieuse et solitaire au format XXL, de même qu'un couple de personnes âgées en maillot de bain, sous un parasol (Under an umbrella). Elle est assise, lui allongé; la tête sur les cuisses de sa compagne et elle le regarde tendrement. Parfois, Ron Mueck inverse les proportions dans l'autre sens avec des miniatures, comme cette femme nue et corpulente qui ploie en arrière sous le poids d'un amas de fagots de bois qu'elle porte dans ses bras (Woman with sticks, 70 × 183 × 120 cm), ou cette femme triste et fatiguée, un bébé calé sur son ventre et protégé par un pardessus gris, qui porte des sacs de provisions comme on porte un destin trop lourd (Woman with shopping,113 × 46 × 30 cm). C'est précisément de ce jeu sur les proportions que naît l'émotion.

J'aimerais m'attarder ici sur deux œuvres en particulier, deux nouveau-nés (visibles en ce moment à la fondation Cartier à Paris). L'un, géant, est une petite fille (A girl, 0.5 x 134.5 x 501 cm) posée sur le flanc, dont le cordon ombilical vient d'être coupé. En la découvrant dans une salle baignée de lumière naturelle, les visiteurs sont tour à tour fascinés, amusés ou touchés. On ne voit jamais ces détails physiques d'aussi près, aussi nettement, et il est incongru de se retrouver nez-à-nez avec le tout début de la vie, les yeux mi-clos, la petite bouche, le corps fripé et maculé de sang et de divers  liquides organiques. On ressent soudain la force de l'événement, l'avènement dans le monde après des mois à l'abri, la violence de cette transition, mais aussi son importance : quand il paraît, le bébé n'envahit-il pas tout l'espace physique et mental de ses parents ? Mueck souligne ici un paradoxe : en lui donnant des proportions géantes, il révèle la perfection de ce corps, son caractère sacré, la puissance de vie qui survient ; mais il en révèle aussi l'absolue vulnérabilité, renforcée encore par le contexte de l'exposition, avec tous ces regards inquisiteurs qui se posent sur le bébé, qui lui tournent autour comme s'il s'agissait d'une bête curieuse.

Un autre nouveau-né (Baby) , minuscule, bien plus petit que nature (18.4 x 21.5 x 49.5 cm) attend les visiteurs dans une salle du sous-sol, tout seul sur un immense mur gris, accroché à la verticale, comme crucifié. Pour cette oeuvre, le sculpteur a pris pour modèle une image trouvée dans un manuel de médecine montrant un bébé tenu en l’air par les pieds quelques minutes seulement après l’accouchement : il a simplement inversé la position. Ce bébé qui semble nous regarder de travers – on aperçoit un œil brillant - est si petit qu'il donne envie de s'approcher autant que possible, pour distinguer chaque détail. Mueck joue ici sur un autre paradoxe : ce bébé est si petit qu'on pourrait l'oublier, le trouver insignifiant. Perdu sur ce grand pan de mur, et à la merci du monde, sa taille comme sa position sont vecteurs d'émotion et font au contraire appel à notre instinct de protection.  Grâce au jeu sur l'échelle, Ron Mueck fait mouche une fois de plus, et touche en plein cœur.      

Mes Sorties Culture / Sonia Zannad

szannad@messortiesculture.com 
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