Voyage au coeur des réserves du MuCEM
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Depuis 5 ans, Hervé Chadaillac est chef d'équipe installateurs au CCR  (le Centre de Conservation et de Ressources) du MuCEM (Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée), à Marseille. Ce musée pas comme les autres, qui se définit comme un “musée de société”,  gère aujourd’hui une collection plurielle et originale, composée notamment de plus de 250 000 objets, 350 000 photographies, 200 000 affiches, estampes et cartes postales, 150 000 ouvrages… cadenas en forme de coeur, chevaux de manège en bois, vinyles de Dalida, sacs en papier kraft ou plastique ornés de logos disparus et autres curiosités: c’est une collection insolite et très riche qui nous invite à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons en explorant ce qu’on nomme les “arts et traditions populaires”. Evidemment, tous ces objets ne sont pas exposés en permanence. Ils sont jalousement conservés dans des réserves, et confiés aux bons soins d’Hervé et de son équipe qui s’emploient à  les manipuler, les présenter, les transporter et les conserver avec d’infinies précautions dans les réserves qui se trouvent non pas sur le vieux port comme les bâtiments bien connus du musée, mais dans le quartier de la Belle de Mai, face aux archives municipales.  

Intarissable sur son métier - “on ne connaît pas la routine”, dit-il - Hervé est un passionné qui ponctue souvent ses phrases d’un rire franc, le rire de celui qui ne se prend pas au sérieux. Mais il ne faut pas se fier à sa grande modestie: il y a du génie inventif en lui, et une énorme capacité de travail! D’ailleurs, ses collèguent le surnomment affectueusement “Mac Gyver”, pour sa propension à trouver des solutions adaptées à chaque objet, qu’il s’agisse de conserver des bijoux, des banderoles ou même… du pain. Fort d’une longue expérience et d’un enthousiasme à toute épreuve, aucun casse-tête de conservation ne semble résister à Hervé!
  Nous vous invitons donc à découvrir son monde, son métier et à l’accompagner dans les coulisses du CCR (et donc, dans les coulisses d’un grand musée).  

MSC: Comment devient-on installateur en chef?


Hervé Chadaillac
: Je suis menuisier, et après un concours "bois / agencement", je suis arrivé à I'atelier d'encadrement dorure du Louvre, sur la partie bois (fabrication de cadres, entre autres) en lien direct avec I'atelier d'installation du musée pour les missions d'accrochage et de décrochage des oeuvres,  en fonction des mouvements des oeuvres entre les salles, les réserves et les ateliers...J'y suis resté 14 ans. J'ai évolué avec cet atelier, et je me suis éclaté.    

MSC: Vous êtes toujours en relation avec vos anciens collègues?


HC:
Oui! Je ne sais pas tout faire – même si je suis comme Bob l'éponge, et que j'absorbe tout ce que je vois... Quand j'ai besoin d'un renseignement, je passe un coup de fil à mes anciens collègues, qu'il s'agisse d'un souci de fournisseur, d'un problème de matériel, d'un souci technique. On a gardé de super relations.  

MSC: Et pourquoi, finalement, avoir troqué le Louvre contre le MuCEM?
 

HC:
J'avais envie de bouger, mais au sein du Louvre, pour un poste de conducteur de travaux. Une personne du ministère de la culture (que je connais bien) est venue me parler du MuCEM-CCR. S'en est suivie une proposition de poste, pour développer un atelier d'installation et un atelier de menuiserie en cadres. Après une visite sur le site marseillais, ma décision était prise, et ma mutation a suivi !    

MSC: Quand vous êtes arrivé, qu'est-ce qui était en place?


HC:
Rien du tout! Je dis toujours "mes" réserves, "mes ateliers", non parce qu'ils m'appartiennent, mais parce que quand je suis arrivé, il n'y avait rien! La zone atelier avait été définie sur les plans, mais au début, il n'y avait que 4 murs qui servaient de zone de stockage. Une fois l'espace libéré, je me suis occupé de l'implantation de l'atelier bois (machines, modification du réseau électrique, espaces de travail...etc): en somme, il a fallu tout créer ex nihilo. L’installation des collections dans les 17 réserves du CCM a nécessité 160 semi remorques et 2 ans de déballage... Aujourd'hui, les ateliers fonctionnent à plein régime, et nous sommes 4 à y travailler comme installateurs, avec chacun des spécialités différentes.      

MSC: Le bâtiment dans lequel vous vous trouvez ne se trouve pas sur le vieux port, contrairement aux bâtiments du musée.


HC:
Non, nous sommes sur un autre site, mais c'est un très beau bâtiment, très bien conçu, de Corinne Vezzoni. Le bâtiment font 10 000 m2, dont 8000 m2 de réserves. Nous devons y conserver toutes les matières possibles et imaginables: cuir, papier, matériaux synthétiques... Mais aussi photos, diapos, bandes sonores... C'est pourquoi nous avons aussi des chambres à basse température, (5,8, 11 et 16°). Nous conservons entre autres une maquette... en saindoux, représentant I'hotel de ville de Charleville-Mézières, réalisée par un boucher/charcutier, qui fait 1m20 sur 80 de haut. Ça peut faire sourire, mais c'est magnifique!  

MSC: Quelles sont les qualités requises pour exercer ce métier?


HC:
Quand un objet rentre dans les collections, je me demande tout de suite comment je vais le conserver, comment le ranger, où je vais le ranger. Et, s’il est présenté en collection, comment l’exposer. C'est une forme de gymnastique, une logique, une capacité à trouver des solutions. Comment on peut conserver, sécuriser  ces objets de toute sorte, qui sont dans des états parfois difficiles? Il faut toujours s’adapter à l’objet et proposer quelque chose pour le conserver du mieux que l’on peut et le plus longtemps possible. Et puis il faut garder en tête que tout peut être amélioré : à nous de nous balader dans nos réserves et de remarquer ce qui peut être optimisé. Il y a une part de créativité aussi. Evidemment il faut aimer "bricoler", travailler de ses mains. En tous cas, l'objet est notre obsession, c'est toujours lui qui est gagne!  

MSC: Vous devez sans cesse relever des défis!


HC: Oui, car les objets ne doivent jamais petre en contact direct avec le support. Ils doivent être en contact avec un revêtement neutre, qui s'interpose entre l'objet et le support. Il faut trouver les bons matériaux, faire du sur-mesure, pour que les objets soient bien protégés et ne bougent pas. Comme on a un atelier et des idées, on fabrique parfois notre propre mobilier. C'est ce qu'on a fait, par exemple, pour ranger des affiches de grandes dimensions qui ne rentrent pas dans notre mobilier (NDLR: le mobilier est le même dans les 17 réserves, avec des racks, des tablettes, des rayonnages, des vitrines, des tiroirs (4500), des meubles à déplacement latéral comme aux archives). On utilise beaucoup les mousses "plastazote" (qui sont neutres et pérennes), la toile tissée et le papier de soie pour emballer en partie les objets, mais souvent, on invente des systèmes sur-mesure. Par exemple, pour notre collection de coiffes, on innove en fabriquant des « boudins » en coton décati, remplis de billes de polystyrène ignifugées. Pour les bijoux (et tout autre objet, d'ailleurs), il faut faire en sorte qu'ils ne bougent pas quand on ouvre les tiroirs. On a aussi une collection d'objets liés aux sports de quille, avec une centaine de boules en bois de tous diamètre: mon idée, ça a été de les poser des anneaux de tringles à rideaux en bois, avec une astuce pour gainer I'anneau à l'aide d'une gaine thermo-rétractable (neutralité du support oblige). Ainsi posées, elles sont stabilisées. Il y a aussi d'autres problématiques, liées à la sécurité. En cas d'incendie, on a un plan d'évacuation. Mais comment déplacer les objets? Notre orgue de Gavioli (NDLR: un orgue de barbarie forain) est imposant, on ne peut pas le déplacer comme ça. Il a fallu créer une structure métallique, assemblée autour de I'orgue, qui reçoit une bâche ignifugée dont la façade est rabattable.    

MSC: Quel sens donnez-vous à votre travail?


HC:
Travailler sur les expositions, c'est souvent l'occasion de faire de belles rencontres. En fin de compte, on recrée des histoires humaines, et on incite les gens à réagir.   Par exemple, pour l’expo sur le clou forgé : on a une forge du Queyras dans nos collections,  qui est en pièce détachées. Pour l'expo, ila  fallu la remonter, mais aussi recréer un atelier complet, un décor d'atelier de forgeron. Donc on a dû imiter la vieille pierre noircie, avec de la peinture, pour obtenir un résultat aussi réaliste que possible. Parmi les visiteurs, il y avait une fille de forgeron, qui m'a dit qu'elle avait cru rentrer dans l'atelier de son père. Ça fait vraiment plaisir à entendre!   Pour une autre exposition, "Rêvons la ville", les élèves des quartiers défavorisés de Marseille devaient choisir chacun une paire d'objets dans les réserves. Je les ai rencontré et j'ai écouté les histoires qu'ils partageaient à propos de leurs choix. L'un des élèves avait choisi une boule à neige et un flacon de détergent. Une association pas évidente a priori... Mais il m'a expliqué, et c'était très émouvant: il voyait son monde comme une boule à neige, dans laquelle il était comme enfermé. Et le détergent, c'était pour faire exploser la boule à neige... J'ai adoré cet échange.   C'est pour faire plaisir aux gens qu’on travaille. Pour qu'ils puissent s’exprimer au travers de nos collections.  

MSC: Peut-on visiter les réserves?


HC:
Oui, nous avons une salle d’exposition et une réserve visitable sur inscription tous les 1ers mardis de chaque mois. Les expositions se font selon les idées d'un conservateur ou d'un artiste, à partir de nos collections. La visite dure 1h30. C'est ce qu'on appelle "L'Appartement témoin", dans une réserve de 800 m2. Quand je mène la visite (nous nous relayons), j'explique comment nous travaillons, quelles sont les contraintes techniques auxquelles nous devons faire face par rapport à la problématique de l'objet et de son support. Ce sont des visites que j'aime beaucoup animer, venez, c'est gratuit! A noter: pour la Nuit des musées et les Journées du patrimoine, les grandes réserves (dédiées aux objets issus de l'agriculture, de l'industrie et des arts forains) sont également ouvertes au public.    

Si vous voulez visiter l'Appartement témoin, toutes les informations pratiques se trouvent ici    
Vous pouvez aussi faire une visite virtuelle des réserves par ici      

Propos recueillis par Sonia Zannad / Mes sorties culture

Ecrivez à la rédaction : szannad@messortiesculture.com

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