36, quai des Orfèvres
Credits image :
Le 36, quai des Orfèvres est le bâtiment où se trouve la Préfecture de police de Paris, sur l'île de la Cité.


Comme de nombreuses autres corporations, les policiers ont créé au fil des années leur propre jargon. Eh oui ! Cela donne souvent de très jolies images qui font presque des policiers des poètes !

Monte-en-l'air
Le "monte-en-l'air" est un voleur qui escalade les façades de maisons ou d'immeubles pour s'introduire dans les appartements. L'expression apparaît au sein de la police parisienne au cours des années 1880. Georges Brassens leur rend hommage dans sa chanson "Stances à un cambrioleur" : 
Prince des monte-en-l'air et de la cambriole,
Toi qui eut le bon goût de choisir ma maison
Cependant que je colportais mes gaudrioles,
En ton honneur j'ai composé cette chanson.

Amazone
La police française a repris le terme pour désigner une prostituée, mais pas n'importe laquelle : celle qui attend son client au volant de sa voiture. À Paris, l'amazone a connu son heure de gloire, notamment aux alentours de la place de la Madeleine. Il en reste toujours quelques-unes sur les Grands Boulevards, mais force est de constater qu'elles se font rares. Georges Brassens leur rend un hommage affectueux dans sa chanson "Le Mauvais Sujet repenti" :
Elle avait la taill' faite au tour
Les hanches pleines, Et chassait l' mâle aux alentours
De la Mad'leine...
A sa façon d' me dir' : "Mon rat
Est-c' que j' te tente ?"
Je vis que j'avais affaire à
Un' débutante...

Panier à salade
Le panier à salade désigne, depuis le XIXème, le fourgon de police. La caisse du fourgon de police utilisé pour le transport des détenus est, à l'origine, en osier très épais. À la même époque, le panier à salade utilisé par les familles est lui aussi fabriqué en osier très épais. D'où la métaphore, née de la double analogie d'aspect et de comportement (les secousses dues aux routes pavées de l'époque). Honoré de Balzac, dans son roman Splendeurs et misères des courtisanes, consacre à ce véhicule un paragraphe le décrivant et indiquant l'étymologie probable de l'expression populaire qui le désigne :

"Cette ignoble voiture à caisse jaune, montée sur deux roues et doublée de tôle, est divisée en deux compartiments. Par devant, il se trouve une banquette garnie de cuir sur laquelle se relève un tablier. C'est la partie libre du panier à salade, elle est destinée à un huissier et à un gendarme. Une forte grille en fer treillissé sépare, dans toute la hauteur et la largeur de la voiture, cette espèce de cabriolet du second compartiment où sont deux bancs de bois placés, comme dans les omnibus, de chaque côté de la caisse et sur lesquels s'asseyent les prisonniers; ils y sont introduits au moyen d'un marchepied et par une portière sans jour qui s'ouvre au fond de la voiture. Ce surnom de panier à salade vient de ce que primitivement, la voiture étant à claire-voie de tous côtés, les prisonniers devaient y être secoués absolument comme des salades."

Angine de comptoir
L'angine de comptoir est une ivresse publique et qu'on parle d'une personne qui ressort d'un bar dans un état très alcoolisé. Le terme est utilisé dès les années 1850. La loi sur l'ivresse publique date de 1873. 

Faire les urines
L'expression fait référence à la recherche d'antécédents judiciaires d'une personne. On dira que les urines sont claires si la personne n'a pas d'antécédents, et qu'elles sont troubles si la personne est déjà connue de la justice.

Beurrer le marmot
Il s'agit de convaincre un suspect de passer aux aveux, en employant des méthodes "peu orthodoxes". 

Un Cref
Acronyme de "con qui regarde en face". L'expression fait référence aux automobilistes qui ne peuvent s'empêcher de ralentir pour regarder ce qui se passe lors d'un accident ou d'un incident sur la route, provoquant inévitablement des embouteillages. On en fait tous partie, non ? Surtout quand il y a un "moulin à vent"...

Moulin à vent
C'est le malheureux policier chargé de la circulation.

Aller à la poule
C'est aller déposer plainte au poulailler, au commissariat donc, où se trouvent les "poulets".

Un picard
Chez le policier, le "picard" ne désigne pas seulement l'habitant de Picardie. L'expression est très récente et s'appuie sur le nom des célèbres magasins de produits surgelés. Un "picard" est ainsi un sans-abri retrouvé mort de froid sur la voie publique. Ça fait froid dans le dos, hein ?

Le mur des lamentations
L'expression désigne le mal-aimé tableau répartissant les permanences judiciaires au sein des commissariats de police et des casernes de gendarmerie. Là où on se partage les "accordéons". Et où on dit qui va "faire du bitume" ou qui va être "cul-de-jatte" ou "aller aux éponges"

Accordéon
C'est tout simplement un dossier judicaire important.

Faire du bitume 
C'est être de garde statique sur la voie publique.

Cul-de-Jatte
Le "cul-de-jatte" est ce policier qui ne fait que des procédures, ne sortant jamais de son commissariat.

Aller aux éponges
C'est juste aller passer une visite médicale des poumons...


Mais bon, en face d'eux, nous ne sommes pas en reste. Ils en ont de bien jolis noms, les policiers.... 

"Gardiens de la paix", transformés depuis peu tantôt en "forces de l'ordre" et tantôt en "forces de sécurité"

Mais ils ont aussi des noms bien plus truculents. En voici quelques-uns : mouche à dard, poulet, ripou, condé, cogne, guignol, barbouze, croquemitaine, fliquette, pandore, flic, flicard, flicaillon, poulaga, perdreau, flic, keuf, bleus...

Auparavant, les policiers étaient "mouches à dard". Lorsqu'ils étaient en civils, ils étaient toujours équipés de canne qu'ils utilisaient pour se défendre en cas d'attaque (tel un dard). Comme leurs informateurs étaient surnommés les "mouchards" ils ont ainsi gagné le nom de "mouche à dard".

Le terme "poulet" pour désigner les agents de police, est issu du XIXe siècle. Durant la commune de Paris, les bâtiments de la police parisienne brûlent. En 1871, la Préfecture de Police de Paris s'installe dans une caserne sur l'île de la Cité, construite sur l'emplacement de l'ancien marché aux volailles. Le sobriquet de poulet ne tarde alors pas à venir qualifier les policiers parisiens puis nationaux. On dit aussi "poulaga" ("la maison poulaga" désigne la police au sens large), "poulard", voire "perdreau".

"Pandore" est une chanson très populaire au XIXème. Écrite en 1852, aussitôt interdite, vu son caractère irrévérencieux envers la maréchaussée, elle reste très populaire pendant plus d'un siècle. Les gendarmes sont ainsi appelés des "pandores" en langage populaire. 

Pourquoi les "flics" ? En ce qui concerne l'origine de ce mot, rien n'est certain ; il existe en effet au moins trois hypothèses qui sont les suivantes :
- Flic viendrait du mot flick, de l'argot des malfaiteurs allemands et qui a le sens de "garçon, jeune homme".
- Flic pourrait également venir d'un autre mot allemand : Fliege, qui signifie "mouche", par transposition du mot d'argot français mouche, qui signifie "policier".
- Flic serait issu de la forme flica, qui signifie "claquer", qui serait une variante du latin fligere "battre" ou du germanique flinke, "frapper"; ceci faisant allusion aux armes des policiers.
Comme on peut le constater, l'origine de ce mot n'est pas certaine, ceci démontrant combien l'étymologie n'est pas une science exacte !

Le croque-mitaine est un personnage maléfique présenté aux enfants pour leur faire peur et ainsi les rendre plus sages. Est-ce que ça marche encore ?

Et "condé" ? Emprunt putatif au vocabulaire des colonies africaines, du portugais conde (gouverneur). Désigne à l'origine (argot du XIXe siècle) une autorisation, puis celui qui la donne ou la reçoit, enfin un policier. 

Le "barbouze" est un terme argotique péjoratif désignant les membres des diverses officines chargées de la lutte contre l'OAS par des méthodes que ne pouvaient employer officiellement ni la police ni l'armée. Ils agissaient donc de façon semi-clandestine ("en fausse barbe"). Par la suite, ce terme a été employé pour désigner les policiers.

Dans les spectacles de marionnettes du XIXe siècle, on aime rosser les gendarmes. D'où le surnom de "guignol".


Georges Brassens n'avait pas son pareil pour les nommer. Je vous laisse lire les paroles de sa chanson "Hécatombe" : 


Au marché de Brive-la-Gaillarde 
À propos de bottes d'oignons, 
Quelques douzaines de gaillardes 
Se crêpaient un jour le chignon. 
À pied, à cheval, en voiture, 
Les gendarmes mal inspirés 
Vinrent pour tenter l'aventure 
D'interrompre l'échauffourée. 

Or, sous tous les cieux sans vergogne, 
C'est un usag' bien établi, 
Dès qu'il s'agit d'rosser les cognes 
Tout le monde se réconcilie. 
Ces furies perdant toute mesure 
Se ruèrent sur les guignols, 
Et donnèrent je vous l'assure 
Un spectacle assez croquignol. 

En voyant ces braves pandores 
Être à deux doigts de succomber, 
Moi, j'bichais car je les adore 
Sous la forme de macchabées. 
De la mansarde où je réside 
J'excitais les farouches bras 
Des mégères gendarmicides 
En criant :"Hip, hip, hip, hourra !" 

Frénétiqu' l'une d'elle attache 
Le vieux maréchal des logis 
Et lui fait crier : "Mort aux vaches, 
Mort aux lois, vive l'anarchie !" 
Une autre fourre avec rudesse 
Le crâne d'un de ces lourdauds 
Entre ses gigantesques fesses 
Qu'elle serre comme un étau. 

La plus grasse de ces femelles 
Ouvrant son corsage dilaté 
Matraque à grands coups de mamelles 
Ceux qui passent à sa portée. 
Ils tombent, tombent, tombent, tombent, 
Et s'lon les avis compétents 
Il paraît que cette hécatombe 
Fut la plus belle de tous les temps. 

Jugeant enfin que leurs victimes 
Avaient eu leur content de gnons, 
Ces furies comme outrage ultime 
En retournant à leurs oignons, 
Ces furies - à peine si j'ose 
Le dire tellement c'est bas - 
Leur auraient même coupé les choses, 
Par bonheur ils n'en avaient pas.

Et l'écouter


Je ne peux que vous conseiller de lire "Parlez-vous keuf ? Dictionnaire du jargon des policiers et gendarmes" de Gilles Braun


Un vrai commissaire, plus vrai que vrai, c'est Maigret, le héros de Simenon, dont je conseille de lire "L'affaire Saint-Fiacre"


Ca peut sembler désuet, mais voyez-vous, le Maigret que je préfère, c'est Jean Gabin


Pour les insomniaques, l'intégrale Nestor Burma, de Léo Malet



Et puis, soyons fous, jouons à l’enquête policière à Palais Royal à Paris en suivant le guide ou en revivant les grandes affaires criminelles à Versailles.



Je vous laisse dans une rue glauque, sombre et mouillée, des flaques de sang au pied, un chien aboyant au loin.... Assassin ou assassiné ? 


Bonne nuit !

Vous aussi, publiez vos propres articles
sur TartinesDeCulture !
Je m'inscris