"Mon travail répond à mon parcours de vie" : une rencontre avec Shuck One
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Grande figure du Graffiti Art, activiste de la première génération du graffiti français, Shuck One est un artiste libre, infatigable et engagé dont le travail se déploie de manière explosive et spectaculaire sur tous les continents depuis plus de trente ans. Né à Pointe-à-Pitre où il est déjà sensible à l'art du graffiti, arrivé à Paris à l'âge de 13 ans en 1984, il déploie ses tags dans le métro et devient un pionnier du mouvement avec son collectif "Basalt".Depuis 1995, il est passé des murs à la toile, et ses projets protéiformes intègrent les collections publiques et privées en France et dans le monde. 

MSC : Votre art se déploie sur différents supports, prend des formes très différentes, s'exprime selon différents formats…pourquoi cette diversité?
 

Shuck One : Mes envies, qui correspondent à des thématiques qui me préoccupent et qui évoluent au fil du temps, ont besoin de volume, d'espace pour toucher les gens et leur amener de nouvelles perspectives, au sens propre et au sens figuré. Le graffiti a été pour moi un champ d'expression important, mais parfois trop étroit par rapport à ce que j'ai vécu, les murs aussi, j'ai eu très vite besoin d'un champ d'action plus large au sens physique et intellectuel. C'est ainsi que je permets à ceux qui découvrent mon travail de pénétrer dans mon univers. 

MSC : Beaucoup de vos œuvres, notamment les sculptures, représentent la bombe de peinture, pourquoi est-ce un symbole important pour vous? S'agit-il d'une arme d'expression? D'un autoportrait?
 

Shuck One : Oui, la bombe est mon outil fétiche, mon outil d'écriture. J'ai réussi mon parcours dans l'enseignement supérieur, jusqu'au bac +5, et pour moi le travail artistique est un prolongement de la réflexion et du travail intellectuel. Je me suis nourri de ce qui existait en peinture depuis le 17e et le 18e siècle, j'ai voulu me constituer une culture aussi complète que possible. Et j'ai eu envie de sacraliser mon outil d'expression, la bombe, de l'ennoblir en la représentant justement dans des matières nobles : le bronze, le verre…(NDLR : Shuck One a travaillé avec un maître verrier à Murano pour créer des bombes dans cette matière). C'est aussi une sorte d'autoportrait et de portrait du monde, car à travers la peinture qu'elle contient, la bombe me permet de représenter le monde, de donner à voir, à réfléchir. Toutes les couleurs propulsées par ce biais renvoient des images de notre monde. 

MSC : L'une de ces œuvres inclut aussi votre main qui brandit la bombe, dans le geste qui précède la création
 

Shuck One : C'est pour moi une façon de montrer que tout commence par l'observation, l'intellectualisation, puis le cerveau envoie des messages au bras et à la main qui ensuite les transcrit dans l'art. C'est un art éminemment vivant, un art qui ne critique pas, qui ne méprise pas mais qui inclut, doté d'une énergie qui vient de la rue et qui met au jour les maux de notre société. C'est toute la puissance du graffiti, qui est âme et résonance.

MSC : Il y a aussi dans votre travail une dimension très explosive, et qui finalement n'est pas si abstraite qu'il y paraît au premier abord
 

Shuck One : Cette dimension explosive exprime ma fierté, ma dignité, mais aussi un art issu d'un melting-pot. J'affirme ma présence dans le monde, mon originalité à travers cette forme d'expressionnisme abstrait. Mais quand on s'y intéresse en profondeur, quand on prend le temps de développer, le sens se déploie, et d'autres éléments apparaissent. Avant de commencer une œuvre, quand je me mets en condition pour travailler, c'est comme un rituel, je me prépare, je me demande comment, à travers mon œuvre, je vais transmettre mes messages aux autres. 

MSC : La dimension rythmique de vos œuvres est très sensible. Est-ce que vous travaillez en musique?
 

Shuck One : J'ai été élevé au jazz, j'ai grandi avec le rap et aujourd'hui je reviens aux sources, je ne travaille qu'avec du jazz. Pour moi c'est une musique qui permet de parler de tout, de "planer", mais qui est aussi profondément structurée et qui me permet donc de garder un certain self-control. La vibration du jazz se mêle à celle de mon travail. 

MSC : Votre travail comporte-t-il une dimension mystique, voire spirituelle?
 

Shuck One : En étant de culture afro-caribéenne et afro-descendant, vivant aujourd'hui entre Paris et Florence, la spiritualité est effectivement présente dans certaines de mes œuvres. Pour moi, elle représente une forme de légèreté qui permet de voyager, de faire des voyages spirituels. Vivre des moments agréables face au tableau, c'est un moyen d'offrir des portes de sortie, même quand je traite de sujets difficiles. Pour moi la couleur bleue, que j'aime particulièrement, est synonyme de longs voyages spirituels et d'émancipation. Je souhaite rappeler à travers mes œuvres que nous sommes là pour être avec les autres, des êtres de complémentarités, d'infinité, et surtout voués à l'émancipation. 

MSC : Vous êtes aussi un activiste, et vous invitez souvent à une prise de conscience. Pour l'œuvre Trans-mission, présentée à Venise, pourquoi avoir intégré les objets en plastique récupérés?
 

Shuck One : On trouve les choses, on les met quelque part, et le travail de réflexion continue. Mon but avec cette œuvre, c'est de faire comprendre qu'il ne faut pas jeter mais plutôt conserver, réutiliser, revoir notre façon de consommer. J'ai voulu sublimer ces déchets. 

MSC : Quels sont vos projets en cours?
 

Shuck One : Je travaille sur toute une série à partir de tôles accidentées récupérées dans des garages. Des pare-chocs, des parties de voitures abîmées. Je retrace les événements, je donne une autre vie à ces rebuts, ces objets qu'on refuse habituellement de regarder, d'observer, qui sont jetés. Je leur donne une autre vie. Et au fond, plus ces tôles sont froissées, endommagées, plus je vais leur donner une nouvelle force et une deuxième vie. Je suis un grand fan de David Cronenberg, et pour cette série, le film Crash m'inspire beaucoup. 

Pour plus d'informations :  Le site de Shuck One   et son compte Instagram @shuck_one_official

Propos recueillis par Sonia Zannad.


Mes Sorties Culture / Sonia Zannad

szannad@messortiesculture.com 




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