"Les petits enfants au lait", ou la tendresse selon Doisneau
De Robert Doisneau, nous connaissons tous quelques clichés aussi célèbres que la Joconde : on pense bien sûr au Baiser de l’hôtel de ville (1950), et à ses ribambelles de gamins facétieux dans les faubourgs de Paris.

Aussi réaliste que poétique, son œuvre regorge de photos bien moins connues mais qui révèlent son talent inimitable pour convoquer de la magie dans le quotidien. Son secret tient autant à une patience infinie – une fois qu’il avait trouvé le cadre parfait, il attendait que les protagonistes entrent en scène et qu’une scène le surprenne - qu’à sa capacité d’émerveillement, qui le place en tête du groupe des photographes dits humanistes, ceux qui s’intéressent à leurs semblables, aux petits riens qui font le sel de la vie, qui portent un regard tendre sur les relations humaines. Il fut lui-même un grand amoureux de la vie, qui ponctuait volontiers ses phrases de grands éclats de rire et ne se prenait jamais au sérieux.

Plantons d’abord le décor : d’après l’historien Nicolas Delbaere, « La Société Laitière Maggi organise son approvisionnement de lait à partir de trains aménagés. Le lait, collecté par environ 40 laiteries dispersées autour des régions plus ou moins proches de la capitale, est convoyé jusqu’aux différents dépôts parisiens. Jusqu’au milieu des années 1930, la SLM connaît une formidable expansion, avec la vente de près de 100 millions de litres de lait par an. » C’est précisément dans un de ces dépôts Maggi que se rendent les enfants.

Dans cette image, ce qui me plaît, c’est justement qu’il ne se produit aucun événement ; elle montre juste la vie de tous les jours dans le Paris de 1932. En l’occurrence, deux enfants, deux frères, qui vont chercher du lait dans une Société Laitière. Bien sûr, l’association symbolique entre les enfants et le lait représente déjà un clin d’œil du photographe, mais sa forme permet d’enrichir le récit.

L’usage du noir et blanc prend ici tout son sens, avec les immeubles en construction, à gauche, plongés dans l’ombre, et le soleil qui éclaire à la fois les petits et la boutique peinte en blanc où ils se rendent, les nimbant d’une lumière hivernale éclatante et lactée.

Dans la composition, rien n’est laissé au hasard : vous avez peut-être déjà fait l’expérience de vous rendre sur certains lieux de votre enfance et de les trouver minuscules ; ici, a contrario, nous sommes à hauteur du regard des enfants et tout semble immense et disproportionné. Cette impression est d’ailleurs accentuée par la vaste portion de trottoir en pente qui s’interpose entre nous et les petits. Au premier plan, la boutique et son perron fait de quelques marches ont l’air faits pour des géants ; les enfants, eux,  ressemblent à de petites figurines dans un décor de théâtre.

En résumé, un cliché plein de tendresse et de douceur empreint d’une douce nostalgie. 
Vous aussi, publiez vos propres articles
sur TartinesDeCulture !
Je m'inscris