La Raie, une nature morte qui interpelle
Voilà un tableau qui attire bon nombre de visiteurs au musée du Louvre, et qui valut à Chardin, peintre de natures mortes du 18e siècle, une renommée immédiate. Dans la grande tradition des natures mortes hollandaises, on y voit, disposées sur une table, divers ustensiles de cuisine et victuailles. Pichet en grès, pot à épices, bouteille en verre, chaudron en cuivre, couteau, assiette, pot à sel y côtoient deux barbots, des huitres et des poireaux. Et par-dessus cet ensemble, au centre de la composition, accrochée au mur, presque crucifiée : une raie.

Animant la scène, un chat (bien vivant, lui) fait le dos rond comme s’il avait peur de quelque chose, ou comme s’il voulait jouer.Ce qui me fascine dans ce tableau, c’est son sujet principal, cette raie en majesté, qui ressemble à un fantôme. Elle a quelque chose de fantastique, avec le contraste du blanc de sa peau et du rouge des viscères exhibées, couleurs qui se détachent fortement de l’ensemble des autres éléments, dans des tons sombres et éteints.

Il y a surtout un détail très étrange, c’est ce regard vide, ce regard et cette bouche qui « humanisent » l’animal et qui nous sautent aux yeux ; cette raie en appelle bien plus à notre compassion qu’à notre gourmandise. Je ne trouve pas la scène appétissante : je trouve qu’elle donne à réfléchir sur notre rapport au vivant, aux animaux, à notre domination sur le monde animal. Chardin était peut-être un antispéciste avant l’heure, de ceux qui refusent de hiérarchiser le vivant et considèrent que les animaux sont « sentients », c’est-à-dire capables de ressentir les émotions, la douleur, le bien-être. Difficile, en tous cas, de rester indifférent face à ce curieux « portrait » qui provoque une sorte de malaise.
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