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ROLLA. Henri GERVEX (1852 - 1929) © Photo RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / A. Danvers
Le
19 September 2017,
Ce sublime tableau du peintre Gervex a toute une histoire…
Où on commence par Alfred de Musset (1810-1857)
Voici un extrait du poème Rolla de Alfred de Musset :
De tous les débauchés de la ville du monde
Où le libertinage est à meilleur marché,
De la plus vieille en vice et de la plus féconde,
Je veux dire Paris, — le plus grand débauché
Était Jacques Rolla. — Jamais, dans les tavernes,
Sous les rayons tremblants des blafardes lanternes,
Plus indocile enfant ne s’était accoudé
Sur une table chaude ou sur un coup de dé.
Et sa fin, terrible :
Rolla lui répondit par un léger sourire.
Il prit un flacon noir qu’il vida sans rien dire ;
Puis, se penchant sur elle, il baisa son collier.
Quand elle souleva sa tête appesantie,
Ce n’était déjà plus qu’un être inanimé.
Dans ce chaste baiser son âme était partie,
Et, pendant un moment, tous deux avaient aimé.
Rolla, long poème de 784 vers, obtient un succès considérable. Musset y conte l'histoire de Jacques Rolla, un grand débauché parisien.
L'écrivain en profite pour régler ses comptes avec les philosophes du siècle précédent qu'il accuse d'avoir hâté la disparition de la foi et entraîné l'avènement de la volupté sans amour.
On retrouve les grands thèmes qui resteront chers au poète : le tragique et continu affrontement ambigu entre pureté et corruption. À travers Rolla, Musset tente, non sans une certaine grandiloquence, le portrait d'une génération empêtrée dans ses contradictions et qui finit par croire que, le bonheur devenu impossible, il ne reste que l'ivresse ou le suicide.
Pour continuer par Gervex (1852-1929)
En 1878, le peintre Henri Gervex, ancien médailliste du Salon, voit son œuvre Rolla brutalement retirée de l’exposition par l’administration des Beaux-Arts, un mois avant la manifestation.
Henri Gervex est pourtant un peintre qui a déjà une certaine renommée et qui est normalement dispensé de subir le verdict du jury.
Il s’est inspiré, pour peindre sa toile, du poème de Musset composé en 1833, l’histoire tragique d’un jeune bourgeois Jacques Rolla épris de Marie, une prostituée issue de la misère. L’homme s’est ruiné et pense en finir, tout en contemplant la femme avec qui il vient de passer la nuit.
Pour illustrer le poème de Musset, Gervex situe la scène dans une chambre à coucher élégante au parfum capiteux, décorée d’étoffes et de mobilier luxueux. Le peintre présente un homme au bord d’une fenêtre ouverte, le regard plongé sur une jeune femme étendue nue dans son lit, un sujet considéré comme sulfureux, hautement immoral.
Si le nu féminin au centre du tableau d’une facture parfaitement lisse et d’un blanc de porcelaine est conforme aux nus académiques du XIXe siècle, c’est le cadre dans lequel l’artiste a situé son modèle qui choque.
Nous ne sommes plus dans le contexte mythologique prétexte aux nus de l’époque et c’est notamment le morceau de peinture situé dans l’angle droit du tableau qui fait scandale. On y découvre une nature morte composée d’un jupon, d’une jarretière et d’un corset ainsi qu’un escarpin rouge, manifestement jeté à la hâte un peu plus loin.
La disposition désordonnée de l’ensemble suggère que la jeune femme s’est déshabillée très rapidement.
C’est le peintre Degas qui aurait soufflé à son ami Gervex la représentation de ce corset dégrafé, un détail fortement érotique, pour expliciter la scène et souligner le fait qu’il s’agissait bien d’une fille de joie endormie après avoir reçu un client. La canne qui ressort ostensiblement des sous-vêtements apparaît d’ailleurs comme une métaphore de l’acte sexuel.
Le client d’un certain rang social est évoqué à travers le chapeau haut de forme et l’amour vénal est aussi rappelé par la table de nuit sur laquelle pendent des bijoux, un bracelet et un collier de perles. On se situe manifestement dans les hautes sphères de la courtisanerie.
L’effet de contraste entre le jeune homme au désespoir et la jeune fille voluptueusement abandonnée dans son sommeil est saisissant. L’homme est, d’après le poème, sur le point de se suicider.
Dans cette toile, Henri Gervex livre aux spectateurs une version moderne du drame de Musset. Il rend compte d’une réalité scandaleuse de plus en plus dénoncée à la fin du XIXe siècle, celle du jeune homme riche éperdument amoureux, acculé à la ruine puis au suicide par sa maîtresse, une courtisane cupide et insatiable. Le tableau est du reste probablement inspiré des amours entre Gervex et la grande courtisane Valtesse de Bigne.
En passant par François Villon (1431-1463)
Flore est, parmi les divinités d’Italie, une des plus antiques et des plus puissantes. Elle est considérée comme divinité de la fertilité, et plus particulièrement des fleurs sauvages. C'est par ce biais qu'elle est assimilée à la dignité de la fertilité, « fertilité » pris dans son sens large : c'est par la floraison des plantes sauvages que les abeilles réalisent leur œuvre et donnent naissance à la nature verdoyante au printemps.
La déesse Flore joue ainsi dans le monde végétal le même rôle essentiel que Vénus dans le monde des êtres animés, hommes et animaux. Cependant, durant les fêtes où Flore est célébrée, les prostituées sont à l'honneur.
Dans la Ballade des dames du temps jadis, le poète Villon la cite, en tant que courtisane, pour sa beauté :
Dites-moi où, n'en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo, parlant quant bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu'humaine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint-Denis ?
Pour son amour eut cette essoine.
Semblablement, où est la roine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
La roine Blanche comme un lis
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied, Bietrix, Aliz,
Haramburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine
Qu'Anglais brûlèrent à Rouen ;
Où sont-ils, où, Vierge souvraine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
Prince, n'enquerrez de semaine
Où elles sont, ni de cet an,
Que ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d'antan ?
Pour finir par Brassens
Lui qui disait si bien : « ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière… » a mis en chanson le poème de François Villon. Je vous laisse écouter ceci
Allez, je vois bien que la rêverie s’est emparée de vous...
Vous pouvez découvrir les tableaux de Gervex au Musée d’Orsay, avec ses visites guidées
Et lire les poèmes de Alfred de Musset dans son recueil Poésies nouvelles
Ainsi que les poésies complètes de François Villon ou sa vie romancée dans l’excellent livre de Jean Teulé Je, François Villon
Où on commence par Alfred de Musset (1810-1857)
Voici un extrait du poème Rolla de Alfred de Musset :
De tous les débauchés de la ville du monde
Où le libertinage est à meilleur marché,
De la plus vieille en vice et de la plus féconde,
Je veux dire Paris, — le plus grand débauché
Était Jacques Rolla. — Jamais, dans les tavernes,
Sous les rayons tremblants des blafardes lanternes,
Plus indocile enfant ne s’était accoudé
Sur une table chaude ou sur un coup de dé.
Et sa fin, terrible :
Rolla lui répondit par un léger sourire.
Il prit un flacon noir qu’il vida sans rien dire ;
Puis, se penchant sur elle, il baisa son collier.
Quand elle souleva sa tête appesantie,
Ce n’était déjà plus qu’un être inanimé.
Dans ce chaste baiser son âme était partie,
Et, pendant un moment, tous deux avaient aimé.
Rolla, long poème de 784 vers, obtient un succès considérable. Musset y conte l'histoire de Jacques Rolla, un grand débauché parisien.
L'écrivain en profite pour régler ses comptes avec les philosophes du siècle précédent qu'il accuse d'avoir hâté la disparition de la foi et entraîné l'avènement de la volupté sans amour.
On retrouve les grands thèmes qui resteront chers au poète : le tragique et continu affrontement ambigu entre pureté et corruption. À travers Rolla, Musset tente, non sans une certaine grandiloquence, le portrait d'une génération empêtrée dans ses contradictions et qui finit par croire que, le bonheur devenu impossible, il ne reste que l'ivresse ou le suicide.
Pour continuer par Gervex (1852-1929)
En 1878, le peintre Henri Gervex, ancien médailliste du Salon, voit son œuvre Rolla brutalement retirée de l’exposition par l’administration des Beaux-Arts, un mois avant la manifestation.
Henri Gervex est pourtant un peintre qui a déjà une certaine renommée et qui est normalement dispensé de subir le verdict du jury.
Il s’est inspiré, pour peindre sa toile, du poème de Musset composé en 1833, l’histoire tragique d’un jeune bourgeois Jacques Rolla épris de Marie, une prostituée issue de la misère. L’homme s’est ruiné et pense en finir, tout en contemplant la femme avec qui il vient de passer la nuit.
Pour illustrer le poème de Musset, Gervex situe la scène dans une chambre à coucher élégante au parfum capiteux, décorée d’étoffes et de mobilier luxueux. Le peintre présente un homme au bord d’une fenêtre ouverte, le regard plongé sur une jeune femme étendue nue dans son lit, un sujet considéré comme sulfureux, hautement immoral.
Si le nu féminin au centre du tableau d’une facture parfaitement lisse et d’un blanc de porcelaine est conforme aux nus académiques du XIXe siècle, c’est le cadre dans lequel l’artiste a situé son modèle qui choque.
Nous ne sommes plus dans le contexte mythologique prétexte aux nus de l’époque et c’est notamment le morceau de peinture situé dans l’angle droit du tableau qui fait scandale. On y découvre une nature morte composée d’un jupon, d’une jarretière et d’un corset ainsi qu’un escarpin rouge, manifestement jeté à la hâte un peu plus loin.
La disposition désordonnée de l’ensemble suggère que la jeune femme s’est déshabillée très rapidement.
C’est le peintre Degas qui aurait soufflé à son ami Gervex la représentation de ce corset dégrafé, un détail fortement érotique, pour expliciter la scène et souligner le fait qu’il s’agissait bien d’une fille de joie endormie après avoir reçu un client. La canne qui ressort ostensiblement des sous-vêtements apparaît d’ailleurs comme une métaphore de l’acte sexuel.
Le client d’un certain rang social est évoqué à travers le chapeau haut de forme et l’amour vénal est aussi rappelé par la table de nuit sur laquelle pendent des bijoux, un bracelet et un collier de perles. On se situe manifestement dans les hautes sphères de la courtisanerie.
L’effet de contraste entre le jeune homme au désespoir et la jeune fille voluptueusement abandonnée dans son sommeil est saisissant. L’homme est, d’après le poème, sur le point de se suicider.
Dans cette toile, Henri Gervex livre aux spectateurs une version moderne du drame de Musset. Il rend compte d’une réalité scandaleuse de plus en plus dénoncée à la fin du XIXe siècle, celle du jeune homme riche éperdument amoureux, acculé à la ruine puis au suicide par sa maîtresse, une courtisane cupide et insatiable. Le tableau est du reste probablement inspiré des amours entre Gervex et la grande courtisane Valtesse de Bigne.
En passant par François Villon (1431-1463)
Flore est, parmi les divinités d’Italie, une des plus antiques et des plus puissantes. Elle est considérée comme divinité de la fertilité, et plus particulièrement des fleurs sauvages. C'est par ce biais qu'elle est assimilée à la dignité de la fertilité, « fertilité » pris dans son sens large : c'est par la floraison des plantes sauvages que les abeilles réalisent leur œuvre et donnent naissance à la nature verdoyante au printemps.
La déesse Flore joue ainsi dans le monde végétal le même rôle essentiel que Vénus dans le monde des êtres animés, hommes et animaux. Cependant, durant les fêtes où Flore est célébrée, les prostituées sont à l'honneur.
Dans la Ballade des dames du temps jadis, le poète Villon la cite, en tant que courtisane, pour sa beauté :
Dites-moi où, n'en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo, parlant quant bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu'humaine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint-Denis ?
Pour son amour eut cette essoine.
Semblablement, où est la roine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
La roine Blanche comme un lis
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied, Bietrix, Aliz,
Haramburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine
Qu'Anglais brûlèrent à Rouen ;
Où sont-ils, où, Vierge souvraine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
Prince, n'enquerrez de semaine
Où elles sont, ni de cet an,
Que ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d'antan ?
Pour finir par Brassens
Lui qui disait si bien : « ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière… » a mis en chanson le poème de François Villon. Je vous laisse écouter ceci
Allez, je vois bien que la rêverie s’est emparée de vous...
Vous pouvez découvrir les tableaux de Gervex au Musée d’Orsay, avec ses visites guidées
Et lire les poèmes de Alfred de Musset dans son recueil Poésies nouvelles
Ainsi que les poésies complètes de François Villon ou sa vie romancée dans l’excellent livre de Jean Teulé Je, François Villon