Freud, le petit-fils et le grand-père
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Tout le monde le sait, avec le temps, tout s’en va. Et comme le chante si bien notre ami Léo Ferré :
Et l'on se sent blanchi comme un cheval fourbu
Et l'on se sent glacé dans un lit de hasard
Et l'on se sent tout seul peut-être mais peinard
Et l'on se sent floué par les années perdues


Et nos corps le savent si bien, la graisse s’installe, les vergetures lui emboîtant le pas, tout devient mou, s’écoulant comme du beurre fondu dans le caniveau de la vieillesse. La peau se ride, se flétrit, s’affaisse. Les seins tombent. Le regard se fait plus bas...  


Je m’appelle Lucian Freud. Je peints des corps gras, obèses, ou bien émaciés, cadavériques, dans des positions inconfortables, mettant en scène des situations perturbantes, inquiétantes, très inquiétantes, nous rappelant le glaive sur nos têtes... Bref, notre corps, jeune ou vieux, celui que l’on traîne, ou bien qui s’accroche à nous.  

En 1934, pour échapper à l'antisémitisme nazi, mon père emmène sa famille à Londres. J’ai 12 ans. Après mes études secondaires, j’entre en 1938 à la Central School of Arts and Crafts de Londres.

Je commence à me faire connaître en illustrant un recueil de poèmes de Nicholas Moore, en 1944. C'est le début d'une belle carrière, au cours de laquelle je me lie d'amitié avec Giacometti, Picasso, mais surtout Francis Bacon.

Mes portraits sont peints dans une texture épaisse, dans des tons bruns, gris et blancs, ne cachant aucun détail, en particulier du visage. Mes modèles nus sont perdus dans des ateliers désolés, sur des lits ou des sofas défoncés, dans des poses et des attitudes crues. Aucun détail n'est caché. Ils n’ont même plus l’air humains ! On dirait des tas de chair inertes…  

Mes toiles se vendent très très cher, mon tableau Benefits Supervisor Sleeping s'est vendu à plus de 33 millions de dollars chez Christie's.

Mon style quasi caricatural ne vous choque-t-il pas, avec son côté morbide ?  


Je m’appelle Sigmund Freud. Oui, oui, je suis le célèbre psychanalyste. C’est connu, je suis barbu et je fume des gros cigares. J’ai aussi largement gouté à la cocaïne, mais bon, c’était pour les besoins de la science...

Ah ah ah, la psychanalyse a une dette envers le tabac : du petit déjeuner au coucher, je fume sans arrêt, jusqu'à 20 cigares. Mes préférés: les trabuccos, petits cigares cubains, ventrus et courts. De 1923 à ma mort, j’ai été soigné d’un cancer du maxillaire, pour lequel on m’a opéré plus de 25 fois. Malgré la maladie, je n’ai jamais cessé de fumer.

Mes derniers jours arrivent. Je dois sûrement ressembler aux corps émaciés, squelettiques que mon petit-fils va peindre, et peindre, et peindre… quand je ne serai plus de ce monde. Je dois sûrement payer d’avoir refusé d’emmener mes sœurs avec moi, en 1938. Elles ont toutes péri dans un camp nazi.


Nous sommes Lucian et Sigmund Freud, le petit-fils et le grand-père. Je suis le psychanalyste le plus connu au monde, celui dont les livres ont été brûlés par les nazi. Je suis un peintre figuratif qui a osé peindre Elizabeth II. Le cancer a raison de moi, le 23 septembre 1939. Je suis mort le 20 juillet 2011.  

Avec le temps, tout s’en va…


Je vous laisse écouter notre cher Léo


Et, entre nous, vaut mieux ne pas trop tenir compte du temps qui passe.



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